Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: Yvonne, née à Bergen-Belsen - Le débrief

Europe 1 Europe 1 3/22/23 - 13m - PDF Transcript

Pour commenter son histoire du jour, Christophe Ondelat reçoit un invité, acteur direct de son récit.

Voilà donc l'histoire Yvonne Salamand que j'ai tiré de votre livre. Je suis né à Bergen-Belsen, qui parait chez Plon.

Vous n'avez pas pleuré et vous l'avez écrit, vous ne pleurez pas jamais.

C'est vrai. Je ne pleure pas, non.

Ça ne veut pas dire que vous n'êtes pas ému, ou ça veut dire que vous n'êtes pas ému?

Non, ça ne veut pas dire que je ne suis pas ému. Je suis ému, bien entendu, mais bon, pleurer, non.

J'ai pleuré une fois quand j'ai appris la mort de ma mère.

C'était la dernière fois.

C'est la dernière fois.

Cette relation fusionnelle que vous décrivez, elle existe dans votre souvenir depuis le début de votre histoire,

ou bien, elle est devenue vraiment fusionnelle quand vous avez su ce qui s'était passé, vraiment.

Je pense qu'elle l'a été depuis le début.

Depuis le début, je raconte dans mon livre le souci qu'elle a eu toute sa vie de me suralimenter tout le soir.

Quand elle montait ce coucher, elle m'a porté un fruit, elle a toujours été tellement préoccupée par moi

et vraiment sédant à toutes mes volontés quand même. Je pense que j'ai été très gâté.

Donc, dans votre enfance où vous ne savez rien, vous sentez qu'il y a quelque chose entre vous deux qui dépasse la relation mère-fille habituelle?

Oui, et puis il y a quand même quelque chose de particulier dont ce souci pour me suralimenter qu'elle n'avait pas avec ses autres enfants

et puis il y avait une différence de morphologie entre mes deux frères, ma sœur et moi.

Donc, j'étais toujours plus flouette, donc je pense qu'elle avait un souci particulier depuis le début pour moi.

Quand vous comprenez bien, dans votre enfance, donc avant ce moment à 16 ans où vous vous dites

parce que vous commencez à comprendre qu'un bébé c'est 9 mois, etc. et que ça ne colle pas tout ça,

qu'est-ce que vous savez de l'histoire de votre mère avant, au tout début de votre adolescence?

Bien, je connaissais parce qu'il y a eu beaucoup d'articles, le fait sur elle, en sa qualité d'anciennes résistantes.

Elle faisait partie d'une association d'anciennes déportées, il y avait des manifestations.

Donc, je connaissais toute l'histoire. Si ce n'est, je ne connaissais pas l'existence de ma naissance dans le camp.

Elle vous raconte toute l'histoire, mais à aucun moment, elle ne dit, toi aussi tu es né à Birkel Benson?

À aucun moment. Je pense que ça a été un accord entre mes parents et mon père.

Pour lui, c'était fondamental que je pense être né de lui.

C'est une question d'époque ça aussi, peut-être?

Peut-être. D'ailleurs, dès que j'avais quelque chose, il me disait, assez moi qui ai dû te le transmettre.

Voilà, il a été un père merveilleux.

Alors, je suppose évidemment qu'en tant que, puisque c'est votre histoire, vous avez une explication et puis vous êtes devenu psychiatre après.

Est-ce que vous êtes d'ailleurs psychiatre et un peu psychanaliste?

Oui, bien sûr.

Votre génération, c'est un peu, c'est en général le cas. Qu'est-ce que vous pouvez dire là-dessus?

Ce qui me reste, en tout cas, encore aujourd'hui, c'est l'horreur dès que j'entends parler l'allemand.

Une horreur terrible, je ne le supporte pas. J'imagine...

Donc vous êtes germanophone, hein?

Complètement.

Complètement.

Voilà. J'imagine que toute petite, collée sur sa peau, et qu'est-ce qu'on entendait?

Que des hurlements, je veux dire, des aboiements de chiens, des ordres en allemand, ça doit être terrible.

Je veux dire, j'ai dû sûrement ressentir tout ça et m'en protéger. Je l'analyse comme ça.

Et vous sentez, vous pensez que c'est indispensable pour votre survie?

Bien sûr.

Et vous ne pensez pas que votre mère, à un moment, vous dit, chut, des doigts?

C'est possible, mais il m'en est resté, là, encore quelque chose. Je ne supporte pas les pleurs des bébés.

Pour moi, un bébé, ça ne doit pas poursuivre.

Est-ce que ça va avoir avec le fait que vous n'avez pas eu d'enfant?

Oui, oui, oui. Bien sûr. Non mais ça a été mes problèmes de santé aussi, hein.

Parce qu'on ne sort pas indemne d'une telle épreuve.

Il y a des séquelles, nous, ça?

Bien sûr, bien sûr.

Dans votre développement?

Oui, oui, oui.

C'est-à-dire, vous ne pouvez pas, vous n'avez pas pu avoir d'enfant?

Non.

Mais de toute façon, en auriez-vous voulu?

Non, non plus.

Enfin, à une certaine période, je n'aurais voulu, mais c'est passé maintenant.

Votre trauma, comme on dit, est-ce qu'il a aussi à voir avec le fait que vous soyez devenu psychiatre?

Bien entendu, bien entendu.

Bon, il y a eu quand même un événement facilitateur.

C'est-à-dire que pour ma mère, il fallait être médecin.

Oui, comme papa.

De toute façon.

Comme elle aurait dû être.

Et comme ses enfants l'étaient tous les autres.

Il fallait être médecin.

Et après, me disait-elle, on réfléchit à ce qu'on veut faire dans la vie.

Donc, dans le fait que je sois médecin, j'ai commencé mes études de médecine,

ce qui est très rare, à 32 ans.

Avant, j'étais orthophoniste, puis j'avais fait des études de lettre.

Et elle m'a dit, enfin, tu fais des études, enfin.

Donc, ils m'ont aidé mes parents.

Bref, pourquoi psychiatre? D'abord, j'ai été orthophoniste.

Quand on m'a amené un enfant qui avait eu une dyslexie, une dysorthographie,

je recevais les parents. Je parlais avec les parents.

Donc, je veux dire, la psychiatrie était pas très loin déjà.

Et puis, quand j'ai fait médecine, il n'y a eu que deux métiers qui mouraient plus.

La chirurgie et la psychiatrie.

La chirurgie, j'avais des problèmes de santé.

Je pouvais pas me retrouver à 6 heures du matin dans un bloc.

Donc, ça a été la psychiatrie, mais c'est un métier que j'adore.

Et que vous avez exercé jusqu'à il y a très, très peu de temps.

Oui, et que peut-être je vais encore exercé, peut-être auprès de médecins du monde.

Enfin, je vais voir. Après, mon livre, peut-être.

Il y a là-dedans l'envie de réparer les traumas des autres,

ou d'aider les autres à réparer leurs traumas.

Oui, d'aider les autres, c'est sûr.

Mais vous, il y a quelqu'un qui s'est occupé de réparer vos traumas?

Oui, oui, j'ai consulté. J'ai fait une analyse personnelle, bien sûr.

Avant de devenir vous-même...

Voilà, vous-même analyse.

Je voulais juste dire un mot sur le deuil, l'impossibilité du deuil que je décris d'ailleurs.

Ne pleurez votre mère en vérité devant sur sa tombe, là, comme le fait tout le monde, quoi.

Non. Et c'est pour ça que je ne suis pas allé, je me suis forcé une seule fois à y aller.

Parce que je trouve que c'est une mauvaise expression.

Faire son deuil.

Faire son deuil, je trouve que ce n'est pas faisable de faire son deuil, c'est impossible.

On ne le fait pas son deuil. Voilà, je voulais juste faire cette...

Avec Hélène et avec qui que ce soit?

Exactement.

Mais plus encore avec Hélène?

Plus encore.

Vous le racontez très très bien dans le livre.

Le grand mystère de votre vie, c'est que votre mère n'a jamais vraiment voulu vous raconter votre naissance.

On comprend que vous lui avez posé la question, n'est-ce pas?

Bien sûr.

Plusieurs fois?

Plusieurs fois.

Et c'était un refus, catégorique?

Oui, oui.

Enfin, elle m'a raconté une histoire invraisemblable.

C'est-à-dire?

Mon père serait rentré avec un uniforme de la Croix-Rouge internationale dans le camp de Bergen-Belsen et il m'aurait conçu.

Il serait reparti après, dans son camp prisonnier.

Elle n'a jamais voulu aller au-delà.

Non.

Mais elle n'a pas su que Francine Christophe, vous avez donné des informations?

Non, à la fin de sa vie, quand je lui ai dit, je sais, c'est papa, pas mon géniteur, je sais qui c'est.

C'est Louis?

C'est Louis.

Elle a convenu et elle a organisé en rendez-vous avec Louis et moi.

Mais la naissance, ce moment-là, c'est-à-dire que la couverture, le drap qu'elle a lavé, tout ça, ça reste des suppositions.

Oui.

Bien sûr.

Elle ne m'a pas parlé.

Parce que c'était trop douloureux.

Je pense, moi.

Pour elle.

Je pense.

Comme tous les anciens déportés, elle n'a pas parlé pendant des dizaines d'années.

Elle n'a fini par écrire tout ce qu'elle a écrit que je mets dans mon livre, que peut-être dix ans avant sa mort.

Je crois que c'était indisible, vraiment.

Ça, c'est quelque chose qu'on constate dans beaucoup de récits de déportés que j'ai racontés, y compris ici.

C'est cette capacité qu'ont-tu les survivants à tracer leur vie sans se retourner.

Et dans notre génération, pour notre génération qui vient pour un oui, pour un rien, et qui se prétend traumatiser par pas grand chose,

on a du mal à comprendre.

Et vous, vous avez compris?

Comment dire?

Je pense que si on n'a pas pu parler, je pense que c'était des êtres humains comme eux qui exerçaient cette barbarie sur eux.

Et ça, je pense que ça doit être terrible.

C'est-à-dire que ce n'est pas croyable même, qui est tant de barbarie chez un êtres humains.

Et que c'est insurmontable, et que donc, comme on ne peut pas le surmonter, on n'en parle pas.

Je pense.

Et après, on trace sa vie, parce que, ce que j'entends, c'est sous-tendu,

mais c'est que votre mère a été hyperactive ensuite, qu'elle a tracé sa vie, et que si on n'avait pas su, on n'aurait rien vu.

C'est sûr.

Oui, elle a quand même tracé sa vie, oui, ils ont eu un autre enfant.

Juste après?

Voilà, en 1947, mon frère Roger, qui est devenu un grand savant, lui aussi.

Peu de temps après, elle s'est arrêtée de travailler quand même.

Il faut dire qu'elle a souffert, le martyr, tellement elle avait reçu deux coups.

Pendant des années, elle pouvait plus s'allonger.

Et à l'époque, il n'y avait pas d'imagerie médicale.

Mon père était médecin, il l'a menée chez des spécialistes.

Et tout le long de l'usée, vous savez que ce qu'elle a souffert est un peu dérangé.

Jusqu'au jour où, à Paris, on a fait le diagnostic, elle avait un orinome de la moelle épinaire.

On lui a enlevé, ça a été fini.

Elle a souffert des années, elle a plus pu travailler.

Et alors, votre père, donc Nathan, il a su que vous saviez?

Non.

Non.

Il ne l'a pas su.

Non, non.

Ça s'est fait après sa mort.

Voilà.

Après sa mort.

Il ne l'aurait pas supporté et c'est pas grave qu'il ne l'ait pas su.

Il ne voulait pas le savoir.

Et d'ailleurs, il a bien fait.

Mon père, c'est lui.

Le père, c'est celui qui aime, disait Pagnol.

Il avait bien raison.

Et Louis, vous avez gardé quel genre de relation avec lui?

Très peu, très peu.

Très peu.

Je suis allé le voir une fois.

On s'est vu peut-être deux, trois fois.

Mais il faut dire que c'était un ami de mes parents et je l'ai vu toutes.

Toutes votre enfance, elle était là.

Voilà.

Merci beaucoup Yvonne Salamon d'avoir livré tout ça.

À travers ce récit que j'ai tiré donc de votre livre.

Je suis né à Bergen-Belsen, qui est un formidable livre dont je n'ai évidemment pas tout raconté comme toujours.

En 30 minutes, c'est pas possible.

Et donc, vous pourrez vous nourrir d'autres épisodes de cette histoire en lisant ce livre qui est publié par Plan.

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L’histoire bouleversante d’Yvonne Salamon née dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Pendant les six mois qu’elle passe dans le camp, la petite Yvonne, ne pleure jamais… Elle est restée cachée en silence, contre le sein de sa mère. Les SS ne savent pas qu’elle est née.