Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: Stéphane Saison, l’épreuve du feu - L'intégrale

Europe 1 Europe 1 8/27/23 - 37m - PDF Transcript

Je vais vous raconter aujourd'hui une histoire de pompier. L'histoire de

Stéphane Saison qui est là en face de moi. Bonjour à vous. Bonjour. Vous avez été pendant

vingt ans sapeur pompier chez les pompiers de Paris qui ont un statut un peu à part en

France puisque ce sont des militaires. Vous racontez tout ça dans un livre qui paraît

chez Eddie Livre, le TA et on comprendra le titre tout à l'heure au fil de mon récit.

Il vous est arrivé beaucoup de choses pendant ces vingt années de services dont un incendie dans

lequel vous avez bien failli mourir et dans lequel surtout vous avez perdu un camarade. Vous en

avez payé le prix lourdement puisque vous avez été victime dans les années qui ont suivi d'un

syndrome de stress post-traumatique reconnu dont vous êtes d'ailleurs sorti aujourd'hui. Vous

nous raconterez ça tout à l'heure. Voici donc votre histoire que j'ai écrite avec Lorenzo Caligaro,

réalisation de Céline Lebrun.

Européen, Christophe Andelat.

Au tout début de cette histoire, de ses 15 ans à ses 20 ans,

Stéphane est pompier volontaire chez lui dans la somme. C'est là que naît sa vocation.

En juin 1990, il décroche son bac et naturellement, il postule à ce qui est considéré comme le must

chez les pompiers, la brigade des sapeurs pompiers de Paris. Beaucoup de prétendants,

très peu d'élus. Mais il les reçut et en septembre 1990, sous le matricule 54-169,

il commence sa formation. Et ensuite, comme il a le bac, on l'oriente vers une formation de caporal.

Et enfin, en août 1991, Stéphane est affectée à la caserne de Ménile Montant,

comme chef d'équipe. Il est heureux, il en rêvait.

Au début, la routine, des accidents, des blessés, des feux de poubelle. Et puis une nuit,

de juin 1992, à 4h12, au même moment, la lumière s'allume dans sa chambre. Il faut y aller.

D'autant que derrière, il y a une sonnerie plus longue, c'est un feu. Stéphane saute dans son

uniforme, il court jusqu'à son fourgon. Et c'est parti. Ils vont pas loin, c'est à 400 mètres,

un entrepôt de robinetterie qui est en flamme. Quand ils arrivent, le feu dévore la toiture.

Vous deux, vous établissez une lance au premier étage. Stéphane et son binôme doivent empêcher

absolument que le feu n'atteigne l'immeuble voisin. Stéphane se cale devant une porte avec sa lance.

Et là, des morceaux de plafond se mettent à tomber derrière lui. Il donne un coup de lance pour

les éteindre. Et d'un coup, c'est tout le plafond qui s'effond. Il se retourne, il veut sortir.

Trop tard, il est coincé par un mur de flamme. Là, il trébuche sur des gravats, il tombe en

arrière entraîné par sa bouteille d'oxygène et des morceaux de toiture, des morceaux de zinc en

fusion, lui tombe dessus. Il sent que ça le brûle à la cuisse et au visage. Il est fichu et il entend.

Sortez le delà ! On l'attrape par les aisselles, on le traîne sur le sol, il se retrouve dehors.

Il est couvert de zinc, son casque a fondu. On le met dans une ambulance, on le déshabille et

là, il mesure l'étendue des dégâts. Il a de grosses cloques sur la cuisse droite, des brûlures

sur le visage et les oreilles et une brûlure derrière la tête sans doute provoquée par le bouton

pression de son casque qui depuis d'ailleurs a disparu. On l'a remplacé par un velcro.

Mais bonne nouvelle, ça ne mérite pas l'hôpital. On le soigne à l'infirmerie de la caserne.

D'abord, on lui fait des pansements et puis quelques jours plus tard, on lui perce et on lui découpe

toutes les cloques. Bien ! Pendant quelques temps, vous n'allez pas décaler, d'accord ? Après,

vous allez faire attention au soleil. Votre peau est fragile désormais, surtout au niveau du visage.

Faites attention. Le temps de cicatriser, on le colle au standard, on lui donne une médaille pour acte

de courage et de dévouement et dans quelques semaines, il pourra à nouveau décaler, c'est-à-dire

retourner sur le terrain. Sauf qu'attention, il a déjà été blessé une fois. Est-ce que Stéphane

ne serait pas un chat noir, un type qui attire les emmerdements et les tuiles ? Et là, il décide de

se former pour prendre un grade, caporal chef, et quelques mois plus tard sous officier, sergent.

Du coup, il change de caserne. On le nomme à Bondy puis à Charonne dans le 20e arrondissement de Paris.

Un soir de février 1998, vers 23h, Stéphane et son équipe sont sonnés pour ce qu'on appelle chez les

pompiers une personne tombée avec notion de hauteur. Ils arrivent sur place. La police est déjà là.

Un policier leur fait traverser une première cour puis une deuxième et ils arrivent dans

une troisième cour avec une grille, une grille de deux mètres de haut et sur la grille, le corps

d'une femme en palais. Elle serait tombée du 6e étage. Il nous faut du renfort et du matériel de désincarcération, ok ?

La femme est en arrêt cardio-respiratoire. On installe de l'éclairage et puis il n'y a plus rien à faire.

Elle est morte. Et qui décroche le corps de la grille ? Et bien Stéphane et ses collègues.

Je n'ai pas le temps de tout vous raconter de ces années-là. Disons qu'avec le temps,

une forme d'usure s'installe chez Stéphane. Physique et psychologique. Il se rend compte qu'il

est moins disponible pour les gens, qu'il a perdu de l'empathie pour les victimes. L'usure, l'usure.

Alors il se dit, il faut que je prenne l'air. Il rêve d'aller à Kourou, en Guyane, sur la base

de lancement de la fusée Ariane. Mais comme il faut faire trois vœux de mutation, il écrit aussi

Aubert-Villiers. Évidemment, il est nommé à Aubert-Villiers, en Seine-Saint-Denis. On se

disant, ça sera plus calme qu'à Paris. Tu parles. Les gens d'Urbaine. Et nous le retrouvons donc à

Aubert-Villiers, en février 2003. Stéphane est chef d'agré. Dans le sabir des pompiers,

ça veut dire patron de son fourgon. Un incendie. À la Courneuve, dans la fameuse cité des 4000,

celle que Nicolas Sarkozy voulait nettoyer au quartier.

Sur place, beaucoup de fumée noire. Le feu a pris au rez-de-chaussée d'un immeuble de 18 étages.

Des flammes s'échappent du hall d'entrée. Un feu de poubelle, en vérité, qui a mis le feu au bâtiment.

Il descend du fourgon. Et à ce moment-là, il reçoive une pluie de projectifs. Il court se mettre à

l'abri, le long de la façade et sous les porches, ça tombe de partout. Et la Stéphane se prend une

pierre en pleine poire. Bim ! Et les autres luttrient.

Remonte, Stéphane ! Remonte dans le camion !

Ils se hissent dans le fourgon. Ils pissent le sang. Il en met partout. Le conducteur du fourgon

enclenche la première. Ils se dégagent. Là-dessus, les flics arrivent. Ça se calme. Et les autres le rejoignent dans le camion.

Faut t'amener à l'hôpital, hein ? Faut faire des poids.

...

Stéphane est évacuée vers l'hôpital militaire-percy, Aclamar, au sud-ouest de Paris.

Pleuie de 5 cm entre le nez et la lait. Fracture de 2 dents. 13 points de suture.

21 jours d'arrêt maladies. Et tout ça, à cause de petits cons qui ont lancé des pierres

à des hommes qui venaient à leur secours, dans leur immeuble, dans leur quartier.

Desespérants. Ils portent plainte. Normal. Classez sans suite. Comme d'habitude.

Mais l'année 2003 n'est pas terminée. Nous voici au mois d'août, un dimanche. Il est 23h29.

C'est un feu de garage. Un passe péricain.

C'est au fond. Faites attention, c'est squatté.

Squatté ? Ça veut dire qu'il y a peut-être des victimes là-dedans.

Un bâtiment de deux étages. On voit une lueur orange. Ça brûle à l'intérieur. Des voitures.

Stéphane envoie d'abord deux hommes. Ludo et Thierry.

On cherche des victimes, ok ?

Et équipé de son appareil respiratoire, il s'enfonce à son tour dans le bâtiment en feu, avec Claire, une chef d'équipe.

Et là d'un coup, des morceaux de toit se mettent à tomber.

Thierry, Ludo ! Redoulez !

Il leur crie de faire marche arrière, mais avec le bruit et le masque, il n'entend pas.

Alors il tire sur le tuyau, il ne le sente pas.

Et là, ça se met à tomber de partout. Ça va s'effondrer.

Stéphane attrape Claire, il se met à courir vers la porte.

Trop tard ! Trop tard ! Le bâtiment s'effonde sur eux !

Une avalanche de grava. C'est fini ! Ils sont cuit !

Le bâtiment s'effondre comme un château de cartes.

Et miracle, le souffle de l'effondrement projette Stéphane vers l'extérieur.

Qui se relève, agar. Le bâtiment n'est plus qu'un tas de gravats fumants.

Et autour de lui, c'est la panique, ça court dans tous les sens.

Où est Claire ? Où sont Ludo et Thierry ?

Claire était à côté de lui. Où est-elle ?

Stéphane s'approche du tas et il l'entend gémir.

C'est Claire, coincée entre une poutre et une voiture.

J'ai mal au dos ! J'ai très mal au dos !

Claire est évacuée vers l'hôpital Bégin.

Et maintenant, Thierry et Ludo, ils s'étaient dans le bâtiment quand ils s'étaient fondrés,

en train d'attaquer les flammes à la lance.

Les autres pompiers commencent à déblayer le tas de gravats, à la main.

Ils leur font une demi-heure pour dégager Ludo, vivant.

Dès qu'il est dégagé, Stéphane va le voir.

Ça va Ludo ? Ça va ?

Même ma femme n'est pas aussi chaude.

L'humour, même dans les pires circonstances.

Ludo est évacué par hélicoptère vers l'hôpital Militaire-Percy.

Un pronostic vital engagé.

Et maintenant Thierry, des chiens sont arrivés.

Braves bêtes qui se mettent à chercher un homme parmi les gravats brûlants.

Les recherches durent 50 minutes.

Et puis à un moment, un chien marque.

Et il faut plus d'une demi-heure pour dégager Thierry.

Ou plutôt, le corps de Thierry.

On l'évacue vers l'hôpital, mais il est mort.

Il s'appelait Thierry Saganta.

Il avait 20 ans.

Le jour est en train de se lever.

Le soleil pointe son nez.

Des pompiers tout frais viennent relever les autres.

Et Stéphane décide de rentrer tout seul à pied, à la caserne.

Quelques jours plus tard,

un hommage au caporal Saganta a lieu au poste de commandement,

à Saint-Denis.

Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy est là.

Et la famille en larmes.

Et c'est Stéphane qui porte le coussin avec les médailles.

Et Claire est là aussi, en fauteuil.

Des flashs de l'accident ressurgissent.

Qu'est-ce que j'ai bien pu faire ?

Ou pas ?

Comment en est-on arrivé là ?

Le sentiment de culpabilité est très fort.

Alors je reste en retrait.

J'ai vite de regarder les parents.

Je leur dirai bien un mot, mais je n'en ai pas le courage.

J'ai peur de leur réaction.

J'ai peur de leur question.

Est-ce qu'ils vont m'en vouloir ?

Le lendemain, Stéphane est de garde.

Enfin, il pense être de garde.

Parce que quand il arrive au rassemblement,

on lui annonce que toutes ses gardes sont annulées.

Interdiction de décaler.

Le sport, oui.

L'entraînement, oui.

Mais décaler, non.

On le prend.

On le prend.

On le prend.

On le prend.

On le prend.

On le prend.

On le prend.

On le prend.

On le prend.

Mais décaler, non.

On le protège.

A part ça, les nouvelles de Ludo ne sont pas bonnes.

On l'a placé dans un coma artificiel.

Son pronostic vital est toujours engagé.

15 jours plus tard, Stéphane retrouve le droit de décaler.

Mais attention, saison.

Au moindre signe de pas bien, on vous arrête.

C'est pas nécociable.

Et c'est vrai que Stéphane appréhende le prochain feu.

Est-ce qu'il va avoir peur ?

Est-ce qu'il va perdre ses moyens ?

Est-ce qu'il va prendre autant de plaisir ?

Ludo restera un an à l'hôpital perci.

Il en sortira avec de graves séquelles.

Il a été greffé, en partie amputé.

Il est maintenant handicapé.

Quel année 2003 ?

Le caillassage à la courneuve, la mort d'un frère d'arme.

Même si entre deux, Stéphane a vécu un moment formidable,

la naissance de son fils.

Mais qui peut sortir un dème de ça ?

Personne.

Il écrit.

Les douleurs et les peines accumulées ont été tellement fortes

qu'elles ont réussi à occulter mon bonheur de devenir père.

Je suis vidé d'émotion.

Et dans les mois qui suivent, le mal le ronge toujours.

Et si j'avais fait comme si.

Et si on avait fait plutôt comme ça.

Et Thierry serait-il toujours vivant.

Et pourquoi j'étais épargné ?

Stéphane ne dort plus.

Et pourtant, il était puisé.

Et il n'en parle à personne.

Il se referme.

On lui propose de changer de caserne.

Il ne veut pas.

Il veut rester dans le groupe, le même groupe.

Finalement, Stéphane décide de mettre un terme à sa carrière sur le terrain.

Il y a d'autres manières d'être pompiers.

Il intègre le centre de formation des cadres.

Il va s'occuper de l'entretien des véhicules et du matériel.

Mais cela va-t-il vraiment l'éloigner de ses angoisses ?

Pas sûr.

Maintenant, il s'occupe de la maintenance du matériel

au centre de formation des cadres.

Au début, ça lui fait beaucoup de bien.

Finit les sonneries la nuit.

Finit tout ce stress au quotidien.

Il a fait sa part.

Place aux autres.

Sauf qu'à peine arrivait dans sa nouvelle caserne,

à la Courneuve.

Éclate les émeutes de banlieue

d'octobre 2015.

Il s'occupe de la maintenance du matériel

au centre de formation des cadres.

Au début, ça lui fait beaucoup de bien.

Éclate les émeutes de banlieue d'octobre 2005.

Et il est obligé de reprendre du service

ses fourgons sans réquisitionner.

Souvenez-vous, 10 000 voitures brûlées,

300 bâtiments détruits,

3 semaines d'état d'urgence.

Et puis à la fin, Stéphane retrouve son poste au chaud.

Et à partir de là,

il se met à faire un cauchemar,

toujours le même,

qui revient en boucle.

Et après, toutes les nuits,

il voit le tas de gravats du 25 août 2003.

Le tas dont il est sorti, mais pas tiré.

Il ne dort plus.

Il est épuisé.

Ça revient plusieurs fois par nuit.

Et les bons conseils de son entourage

ne servent pas à grand-chose.

T'as eu de la chance.

T'as été courageux.

C'est pas ta faute.

Tu es un héros.

Tu es une victime.

Mais elles font du mal en vérité.

Et donc Stéphane décide de consulter un psychiatre.

En se disant tout de même, je suis pas fou.

Enfin, je pense pas.

Le courant ne passe pas très bien avec le psy.

Mais le verdict tombe.

Bien.

Je crois que vous êtes victime de ce qu'on appelle

un syndrome de stress posttraumatique.

Il demande alors à changer de psychiatre.

Et il va le voir une fois par semaine.

Il lui raconte son histoire.

Et parfois, il pleure.

À un moment, il croit qu'il va mieux.

Mais les cauchemars reprennent.

Toujours la même scène. Toujours le même tas.

Il se réveille en sueur.

Et dans la journée, il se met à ruminer.

A se cacher.

A éviter les gens. Il devient égris.

Il s'emporte.

Du coup, les gens s'éloignent.

On lui colle alors un traitement antidépresseur

et différent.

Un traitement de cheval qu'il faut qu'il prenne au lit.

Parce que sinon, c'est sa femme qui doit le tirer jusqu'au plumard.

Et ça dure comme ça.

Pendant deux ans.

En 2009,

Stéphane devrait attribuer

une pension d'invalidité définitive.

De 30%.

Son traumatisme psychique est reconnu

comme un traumatisme à part entière.

Et en 2010,

après 20 ans de service,

il se laisse à Pompiers de Paris

pour intégrer le service de sécurité incendie

de la gare de l'Est.

Et aujourd'hui,

il ne fait plus de cauchemains.

Et il est avec moi, Stéphane Cézon,

qui a écrit ce très joli livre

Le tas aux éditions

Vous êtes toujours à la gare de l'Est ?

Oui, tout à fait.

Ça consiste à quoi d'ailleurs Pompiers à la gare de l'Est ?

Tout y avoir.

Nous pouvons te confronter

à tout type d'interventions,

du malaise voyageur,

tout est possible.

Mais vous dites que c'est quand même plus cool ?

Oui, c'est beaucoup plus cool.

Le rythme de travail est beaucoup plus cool.

Moins stressant ?

Il faut que vous nous racontiez la suite

de cette histoire.

Vous vous êtes débarrassés de ce poids

en ayant recours à une méthode

qui avant vous avait été utilisée

par les vétérans de la guerre du Vietnam.

Cette méthode s'appelle

le MDR.

Et comme j'ai pas bien compris moi,

en vous lisant, en quoi ça consiste,

je vous laisse l'expliquer. Il s'agit

de travailler par les mouvements des yeux.

C'est ça ? Oui, tout à fait.

Expliquez-moi.

Je suis pas médecin, mais j'explique un peu plus

dans le livre, mais c'est assez...

Le MDR sert à remettre en gros

pour résumer

les souvenirs dans la case Souvenir.

Allez repousser là-haut.

Allez remettre à leur place dans la case Souvenir.

Moi, l'accident, le tas,

je suis resté figé à la date

et à l'instant où j'ai vu le tas.

Et au lieu,

cette image passe dans la case Souvenir

avec le temps, elle est restée au présent.

Donc, c'est pour ça que je la voyais

10, 20, 30, 50 fois par jour,

la nuit.

Et le fait d'avoir fait la technique de le MDR...

Qui consiste en quoi ?

Et en fait...

Des yeux ?

Oui, c'est assez compliqué.

C'est simple, mais à expliquer, ça va être compliqué.

Cet mouvement que vous faites avec les yeux ?

C'est ça, tout à fait, en regardant une baguette.

Elle va faire regarder une baguette, ou un stylo, peu importe.

Vous la fixez le haut du stylo

avec les yeux. Vous bougez pas la tête.

Elle va parler.

Vous pensez... Il y a un peu d'hypnose là-dedans.

Voilà, il y a un peu tout.

Sophie est une méthode un petit peu hybride.

Donc, elle me fait penser au tas.

Il faut que j'aie le tas dans la tête.

Elle me fait regarder son stylo.

Et après,

elle déplace

le stylo devant mes yeux.

Donc, droite, gauche.

Vous ne tournez pas la tête, vous regardez juste

la pointe du stylo, et elle parle pendant ce temps-là.

En fait, on entend ce qu'elle dit, mais on ne comprend pas.

Vous êtes dans un état second ?

Non, mais vous ne l'entendez pas forcément.

Et c'est difficile de réexpliquer ce qu'elle a récité

pendant 30 secondes,

d'une minute.

Elle arrête.

Ça me met la tête dans le brouillard.

Mais c'est mon signe. Elle recommence une fois.

Elle recommence deux fois.

Et c'est terminé.

En une séance, vous avez été guéris

de votre stress post-traumatique.

Absolument.

Et c'est une méthode qui a été largement employée

dans les années 70, pour soigner les vétérans du Vietnam.

Et étrangement,

personne ne vous l'avait proposé avant.

Non, je pense que ce n'est pas assez démocratisé.

Je pense que ce n'est pas assez connu,

peut-être comme technique.

Il y a des méthodes traditionnelles avec le psy.

Les psy m'ont fait du bien au départ.

Les médicaments, on aime ça en France.

Oui, en fait, le psy a bien travaillé.

J'ai quand même vidé une bonne partie du sac

chez le psy 4

à l'hôpital Percy.

Et après, oui,

mais le psy a des limites.

Il ne fait pas dormir le psy.

Et là, ils m'ont carrément

chouté au médicament.

Depuis cette séance

de MDR,

je n'ai jamais plus fait de cauchemar

au sujet du tas.

Absolument pas.

Vous continuez malgré tout à faire des cauchemars

comme moi ?

Oui, bien sûr.

Vous n'avez pas devenu

un béni ? Oui, oui.

Vous avez quand même encore...

Tout à fait. Mais elle m'a remplacé

le tas dans la casse.

Là, je vous en parle, il y a quelques années,

c'est incapable de parler de ça.

Vous l'avez raconté au médecin militaire,

au pompier de Paris,

avec les marins-pompiers de Marseille,

et les pompiers de Guyane,

qui s'occupent de la fusée aérienne,

sont les seuls pompiers militaires

en France.

Et donc, vous êtes soignés par le système

de santé militaire, l'hôpital Percy

et l'hôpital Bégin, en région parisienne.

Vous leur en avez parlé de ça ? Non, absolument pas.

Je n'ai plus aucun contact avec Percy.

Quoi que j'ai envoyé un livre,

parce qu'ils m'ont demandé pour leur malade

et pour remettre dans la bibliothèque de l'hôpital.

Mais je n'ai aucun... Non, je n'ai pas revu le psy

qui m'a suivi il y a 10 ans.

Il arrive, moi, j'en ai croisé,

qu'au bout de 5, 6, 7, 8 ans

d'exercice du métier de sapeur-pompier

à Paris, des pompiers ne soient pas

les hauts-feux. Il n'y a pas tant

de grands feux que ça.

En région parisienne, on peut faire beaucoup

d'accidents de voiture, beaucoup de secours victimes,

beaucoup de choses comme ça. Est-ce que vous croyez

que vous êtes un chanoire ?

Chanoire, quand ça ne peut être incendie.

C'est le type qui n'a pas de peau,

qui est toujours là où ça va mal.

Voilà, il y a une intervention un peu particulière.

Ça serait fort, c'est bon sur place,

ou pas loin. Vous le pensez ?

Ah oui, ça m'a suivi pendant 20 ans

et ça me suit encore maintenant à la gare de l'Est.

C'est-à-dire même à la gare de l'Est,

si ça ne va pas quelque part, c'est vous qu'on envoie.

Enfin, quand on vous envoie, ça ne va pas.

Il y a peu d'interventions importantes

à la gare de l'Est puisque ça n'a pas la même activité opérationnelle

que dans Paris, mais

les interventions importantes, il y a

80% où je suis sur place.

Alors on envient

ce premier accident

celui de juin 1992

parce que vous le dites dans le livre. Il y a 3 choses

qui vous ont profondément marqués

en 20 ans de carrière, 3 événements.

Je les ai racontés tous les 3.

Il y en a eu bien d'autres évidemment.

Mais les 3 qui vous ont profondément marqués

c'est cet accident de juin 1992

évidemment l'incendie

de 2003 et le caillassage

de 2003 aussi.

Commençons par le...

Le juin 1992, vous êtes donc dans

cette entrepôt de robinet

le toit se met à tomber

et le zing

entre en fusion et vous coule

dessus. Est-ce que vous considérez

que cet événement

dont vous vous sortez sans dégâts

quelques brûlures au 2e et 3e

degré, c'est pas grand chose. Vous n'allez même pas

à l'hôpital. Fais partie

de votre trauma.

Il y a de fortes chances, oui. Mais

en 1992, j'avais

22 ans, je pense qu'on est beaucoup plus

insouciant et on fait moins attention

à ce type d'accident. On évacue

plus facilement, on est plus insouciant, on sort plus

et après je pense qu'on absorbe

plus facilement les traumatismes

en étant un peu plus jeunes en service, je pense.

Ah oui, est-ce qu'il est intéressant

parce que vous partez à la retraite relativement

jeune, puisque vous êtes militaire

et en fait ça explique que c'est nécessaire.

Oui, puis il y a des limidages en armée donc

oui, mais psychologiquement c'est nécessaire.

Oui, je pense aussi.

J'ai raconté ensuite

l'épisode de la femme en palais sur une grille

tombée du 6e étage. Il y a d'autres épisodes

que vous racontez dans votre livre, parce que

il ne faudrait pas faire croire que le métier

de sapeur pompier, même à Paris

vous amène à éteindre des feux tous les jours.

Ce n'est pas ça la vie d'un pompier, on est d'accord ?

Oui, on est tout à fait d'accord, oui. Quel dosage d'ailleurs

le feu ? Je veux dire à peu près 5%

je pense. Tout le reste c'est quoi ?

Secours à victime. Le secours à victime a pris

l'heure même en place. C'est-à-dire ?

On a frisé

les 80%, je suppose maintenant ? Oui, oui.

Ça consiste en quoi ? C'est

les infartus, les malaises

pas tout ce qui est malaise,

accidents, dedans je vais considérer

les accidents aussi, ils font partie aussi

les accidents de voiture, les scooters,

les traumatismes, les chutes

de la hauteur, enfin voilà.

Ça, ça reste un grosse gamme

de secours à victime. Vous dites à un moment

donné que vous ressentez de l'usure

si on lit entre les lignes

on lit aussi déjà

une petite pointe de dépression

à cette époque où vous êtes sapeur pompier

où vous faites le tout venant 90%

du temps, le feu le reste

du temps, on sent que

cette accumulation de malheur

de corps qu'on ramasse, d'enfants

morts, de gens déchiquetés

sous le métro, vous avez ramassé des gens

Oui, oui beaucoup. Suicidés sous le métro.

Oui. Le trauma

il commence pas là.

Il commence dans la mesure où on commence

à intervenir sur des cas très particuliers

sur des personnes sous le métro

des fenestrés. Je suis à

les enfants aussi et tout ce que

le commun des mortels ne voit pas.

Ne veut pas voir.

Ne peut pas voir sauf le témoin

évidemment de l'accident mais

et après, oui c'est assez

traumatisant.

Assez ou beaucoup.

Mais en fait, c'est notre métier. C'est le coeur

du métier. On peut pas

alors même si c'est très traumatisant

parce que c'est pas naturel

on va le faire.

Maintenant,

c'est pas logique de voir des corps

coupés en deux ou

décapité ou brûlé

ou calciné

et collé sur le sol dans un appartement.

C'est pas prévu ça.

Dans votre vocation au départ

c'est le feu

qui vous donne envie de faire le métier

ou est-ce que c'est ce travail

à la fois bobologie et de secours

à des victimes hors feu ?

Je me parlais au nom

de beaucoup de pompiers. Je pense que le métier

de pompier est un métier de vocation.

Quand on prend le paquet

on prend tout.

Si on est pompier par vocation

on est altruiste

et l'altruisme ça prend

aider la petite dame qui est tombée

la relever son lit jusqu'à l'incendie

jusqu'à tout ce qui traîne.

Mais le feu tient une place à part quand même.

Si il n'y a pas le feu, la vocation

parce qu'il y a un moment, on en parlera peut-être tout à l'heure

mais il y a un moment très troublant

dans lequel vous dites que

après le grand incendie

d'Aubervilliers

vous dites est-ce que je vais retrouver le plaisir

de combattre le feu. Et la juxtaposition

du mot plaisir au moins incendie

m'a paru étrange.

Vous aimez ça ?

Oui on aime le feu. Maintenant

oui ça paraît complètement surnaturel

effectivement je vous comprends.

Mais c'est vrai que quand c'est le coeur du métier

effectivement c'est intéressant

parce que j'avais peur d'être

confronté à un incendie

et c'est pas prendre du plaisir

oui je le tourne comme ça dans le livre

mais comme c'est le coeur du métier

c'est vraiment grisant.

Il y a quelque chose d'adrenaline

c'est l'adrenaline qui apporte tout ça

et j'avais peur, suite à mes accidents

la peur me fasse reculer et me fasse faire

un peu des bêtises en fait. Le peu être lucide.

Alors le deuxième événement marquant

de votre carrière c'est ce cahillassage

à la cité des 4000 à la Courneuve

bon vous dites pas les choses clairement mais en gros

ils ont mis le feu à des poubelles

ça a contaminé le bâtiment

le but ultime était de vous faire venir

pour vous cahillasser.

Alors le but ultime c'est nous faire venir oui

ça c'est sûr.

C'est un feu mis attentionnellement pour vous faire venir.

Voilà c'est des containers poubelles

dans un sous-imporche

mais dans la mesure où on intervient

sur un feu de poubelles ou sur un incendie

la police va se déplacer.

Mais là elle n'est pas là tout de suite.

Mais généralement la police se déplace

et ils savent que lorsqu'on intervient

que ce soit dans

la cité mais peu importe où

sur un incendie la police va se déplacer

pour le constat, pour venir les propriétaires

et toute la suite des événements

donc ils savent pertinemment que si ils allument

une poubelle ou une voiture

la police va se déplacer. Donc nous on est là

mais on est là juste parce que les gens

voient des flammes par les fenêtres

enfin de leurs fenêtres ils voient des flammes

donc ils appellent la réflexe, ils l'appellent les compiers.

Et on sent que ça a été écrit à Dessin.

Que vous avez des tas de reproches

à faire à ces gamins d'ailleurs vous portez plainte contre eux

on n'arrive pas à les identifier

bref tout ça finit en jus de boudin

mais vous écrivez que vous ne l'aille

c'est pas. Vous l'avez fait

exprès enfin vous souhaitiez le dire

Oui oui tout à fait c'est juste une minorité

la plainte ça a été déposée

par la brigade, enfin sous le couvert

de la brigade c'est pas moi qui est de mon

initiative qui suis allé déposer plainte

c'est sous le couvert de la brigade maintenant

La agression c'est un dépôt de plein systématique

désormais depuis les agressions

Mais pourquoi vous avez souhaité dire que vous ne les haïciez pas

Vous voulez pas comprendre que vous êtes raciste par exemple

Non non non pis j'ai aucune rancune contre ces gens

Non non parce que c'est une minorité

c'est juste une minorité et il faut combiner avec

Dans votre chair aujourd'hui

ce sont deux dents en prothès

J'ai une demi prothèse

Non ça va

Ce qui n'est pas clairement écrit dans votre livre

mais qui me paraît assez clair

c'est que le traumatisme

vient du fait que vous étiez

le chef de ce fourgon

vous étiez chef d'agré

c'est vous qui envoyez Thierry Eludo

en précurseur à l'intérieur de ce bâtiment

Effectivement oui

Et pourquoi vous n'y partez pas le premier

Parce que dans les manœuvres prévues

c'est une manœuvre interne mais

moi arrivé en premier enjeun

j'engage mon équipe

avec les mesures de sécurité

ce qui est prévu

et je ne peux pas m'engager

donc le chef de garde n'est pas

sur place pour lui rendre compte

le renfort n'est pas arrivé

voilà le fameux Olivier dont je parle

tant qu'il n'est pas là

je ne peux pas m'engager avec mon équipe

il faut que je reste à l'extérieur

afin de lui rendre compte de la situation

et lui après prend les mesures pour faire le

une fois qu'il est là j'ai rendu compte

après je peux m'engager avec mon équipe

et vous le faites vous entrez donc dans ce bâtiment avec Claire

j'avais prévu de vous demander

si vous êtes resté en contact avec Claire Eludo

mais mon sentiment est que non

effectivement non

pourquoi ?

en fait je ne sais pas

j'ai peur de les retrouver

j'ai peur de prendre des reproches

la culpabilité en fait

elle est toujours là

surtout elle est un peu décuplée

le fait que je sois responsable

c'est moi le responsable de l'engin

parce que là il y a deux issues

ou bien vous les revoyez jamais plus

ou bien vous êtes les meilleurs potes de la terre

c'est pas que je ne veux pas les voir

mais je pense qu'à terme on va se retrouver

Ludo cherche

plus ou moins on va essayer de s'en voir

et est-ce que eux

ont vécu un stress

semblable aux vôtres ?

j'en ai aucune idée

si ça se trouve vous avez souffert

tous les trois chacun dans votre coin

c'est fort probable oui

jamais personne chez les sapeurs-pompiers de Paris

n'a eu l'idée de vous réunir pour

une sorte de thérapie de groupe

mais là j'ai eu la chance de rencontrer

un connel qui est extraordinaire

qui m'a fait relier

des liens avec la Brigade

et depuis Noël

2017

je commence à remettre les pieds

chez les pompiers de Paris

et où j'avais coupé complètement les ponts en 2010

en partant je m'étais dit

je vais couper le cordon complètement

ça va me faire du bien

et puis ça va évacuer le traumatisme peut-être aussi

maintenant vous y retournez

pour aider les gens comme vous

qui ont vécu des traumas

non j'y vais pas pour aider les gens

enfin c'est une forme de tournée

il me fait venir pour les mini-conférences

pour parler du livre justement

de mon accident et de la prise en charge

du stress post-traumatique

alors ce qu'on voit très bien c'est que votre hiérarchie

s'attend à ce que vous soyez traumatisé

parce qu'il s'est passé

parce que votre chef vous dit

tu décales mais au moindre pas bien

tu arrêtes

on a donc identifié

une hypothèse selon laquelle

ça serait très dur pour vous

mais il se doute bien qu'après un accident comme ça on ne me sort pas un dème

et les médecins ne prennent pas

ils ont raison de prendre des gants

et déjà j'ai été surpris

bon pendant 15 jours ils m'ont mis au placard

ça c'est sûr, je suis resté dans la casée

parce que j'habitais sur place

mais j'ai été interdiction de décaler

ils m'ont protégé en fait

en sain de nuit envoyé un sergent

chaque jour de garde, un sergent arrivé pour prendre mon piquet

j'étais interdiction de décaler pendant 15 jours

et au bout de 15 jours ils ont vu que ça allait un peu mieux

que en fait l'accident

c'est tout fait un peu

ça commence à reprendre un peu la vie normale

dans la caserne

ils ont regardé, ils ont testé, ils ont vu

bon ben voilà, apte

mais ils m'ont prévenu au moindre signal

et c'est pas moi qui ai reussi le signal

c'est surtout les gens qui sont avec moi dans les enjeux

s'ils voient que ça va pas ils vont tout de suite

Est-ce que d'autres pompiers ont été

diagnostiqués victimes d'un stress post-traumatique

ou est-ce que vous êtes le premier ?

je pense pas être le premier, en tout cas s'ils n'ont pas été diagnostiqués

il doit y en avoir énormément

ce sont des médecins militaires

à la base qui vous parlent

de ce syndrome

oui c'est le psychiatre

le psychiatre lui-même

vous touchez donc

une pension d'invalidité à 30%

c'est indiscret, vous demandez combien ça représente ?

je veux vous le dire, ça fait 172€

tous les mois

en plus de votre retraite de militaire

de votre salaire

de pompier à la gare de l'Est

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En 2003, Stéphane Saison, sapeur-pompier de Paris, est grièvement brûlé dans un incendie à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Il doit désormais apprendre à lutter contre le syndrome de stress post-traumatique…