Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: Stéphane Saison, l’épreuve du feu - Le récit
Europe 1 8/27/23 - 21m - PDF Transcript
Je vais vous raconter aujourd'hui une histoire de pompier. L'histoire de
Stéphane Saison qui est là en face de moi. Bonjour à vous. Bonjour. Vous avez été pendant
20 ans sapeur-pompier chez les pompiers de Paris qui ont un statut un peu à part en France
puisque ce sont des militaires. Vous racontez tout ça dans un livre qui paraît chez Eddie
Livre, le TA et on comprendra le titre tout à l'heure au fil de mon récit. Il vous est
arrivé beaucoup de choses pendant ces 20 années de service dont un incendie dans lequel vous
avez bien failli mourir et dans lequel surtout vous avez perdu un camarade. Vous en avez payé le
prix lourdement puisque vous avez été victime dans les années qui ont suivi d'un syndrome de
stress post-traumatique reconnu dont vous êtes d'ailleurs sorti aujourd'hui. Vous nous raconterez
ça tout à l'heure. Voici donc votre histoire que j'ai écrite avec Lorenzo Caligaro, réalisation de
Céline Lebrun.
Au tout début de cette histoire, de ses 15 ans à ses 20 ans, Stéphane est pompier volontaire chez lui
dans la somme. C'est là que naît sa vocation. En juin 1990, il décroche son bac et naturellement,
il postule à ce qui est considéré comme le must chez les pompiers la brigade des sapeurs
pompiers de Paris. Beaucoup de prétendants, très peu d'élus, mais il les reçut et en septembre
1990, sous le matricule 54-169, il commence sa formation et ensuite comme il a le bac,
on l'oriente vers une formation de caporal. Et enfin en août 1991, Stéphane est affectée à la
caserne de Ménile Montan, comme chef d'équipe. Il est heureux, il en rêvait.
Au début la routine, des accidents, des blessés, des feux de poubelle. Et puis une nuit de juin 1992,
à 4h12, au même moment, la lumière s'allume dans sa chambre. Il faut y aller, d'autant que derrière
il y a une sonnerie plus longue, c'est un feu. Stéphane saute dans son uniforme, il court jusqu'à son
fourgon. Et c'est parti, ils vont pas loin, c'est à 400 mètres, un entrepôt de robinettrie qui est
en flamme. Quand ils arrivent, le feu dévore la toiture. Vous deux vous établissez une lance au
premier étage. Stéphane et son binôme doivent empêcher absolument que le feu n'atteigne l'immeuble
voisin. Stéphane se cale devant une porte avec sa lance et là des morceaux de plafond se mettent à
tomber derrière lui. Il donne un coup de lance pour les éteindre et d'un coup c'est tout le plafond qui s'effondre.
Il se retourne, il veut sortir trop tard, il est coincé par un mur de flamme. Là il trébuche sur
des gravats, il tombe en arrière entraîné par sa bouteille d'oxygène et des morceaux de toiture,
des morceaux de zinc en fusion lui tombent dessus. Il s'encle sale brûle à la cuisse et au visage. Il
est fichu et il entend... Sortez le delà ! On l'attrape par les aisselles, on le traîne sur le sol,
il se retrouve dehors, il est couvert de zinc, son casque a fondu. On le met dans une ambulance,
on le déshabille et là il mesure l'étendue des dégâts. Il a de grosses cloques sur la
cuisse droite, des brûlures sur le visage et les oreilles et une brûlure derrière la tête sans doute
provoquée par le bouton pression de son casque qui depuis d'ailleurs a disparu, on l'a remplacé par
un velcro. Mais bonne nouvelle, ça ne mérite pas l'hôpital, on le soigne à l'infirmerie de la
caserne. D'abord on lui fait des pansements et puis quelques jours plus tard on lui perce et on lui
découpe toutes les cloques. Bien, pendant quelque temps vous n'allez pas décaler d'accord, après
vous allez faire attention au soleil. Votre peau est fragile désormais, surtout au niveau du visage. Faites
attention. Le temps de cicatriser, on le colle au standard, on lui donne une médaille pour actes de
courage et de dévouement et dans quelques semaines il pourra à nouveau décaler, c'est à dire retourner
sur le terrain. Sauf qu'attention, il a déjà été blessé une fois. Est-ce que Stéphane ne serait
pas un chat noir, un type qui attire les emmerdements et les tuiles ? Et là il décide de se former pour
prendre un grade, caporal chef, et quelques mois plus tard sous officier, sergent. Du coup il change de caserne,
on le nomme à Bondy puis à Charonne dans le 20e arrondissement de Paris.
Un soir de février 1998, vers 23h, Stéphane et son équipe sont sonnés pour ce qu'on appelle chez les
pompiers une personne tombée avec notion de hauteur. Ils arrivent sur place, la police est déjà là,
un policier leur fait traverser une première cour puis une deuxième et ils arrivent dans une
troisième cour avec une grille, une grille de deux mètres de haut et sur la grille, le corps d'une
femme en palais, elle serait tombée du 6e étage. Il nous faut du renfort et du matériel de désincarcération
ok ? La femme est en arrêt cardiaux respiratoire, on installe de l'éclairage et puis il n'y a plus
rien à faire, elle est morte et qui décroche le corps de la grille ? Eh bien Stéphane et ses collègues.
Je n'ai pas le temps de tout vous raconter de ces années là, disons qu'avec le temps une forme
d'usure s'installe chez Stéphane, physique et psychologique, il se rend compte qu'il est moins
disponible pour les gens, qu'il a perdu de l'empathie pour les victimes. L'usure, l'usure.
Alors il se dit, il faut que je prenne l'air, il rêve d'aller à Kourou en Guyane sur la base de
lancement de la fusée Ariane, mais comme il faut faire trois vœux de mutation, il écrit aussi
Aubert-Villiers, et évidemment il est nommé à Aubert-Villiers en Seine-Saint-Denis en se disant
ça sera plus calme qu'à Paris, tu parles, les gens d'urbanes. Et nous le retrouvons donc à
Aubert-Villiers en février 2003. Stéphane est chef d'agré, dans le sabir des pompiers ça veut dire
patron de son fourgon. Un incendie à la Courneuve dans la fameuse cité des 4000, celle que Nicolas
Sarkozy voulait nettoyer au quartier. Sur place, beaucoup de fumée noire, le feu a pris au
rez-de-chaussée d'un immeuble de 18 étages, des flammes s'échappent du hall d'entrée,
un feu de poubelle en vérité qui a mis le feu au bâtiment, il descend du fourgon et à ce moment
là, il reçoive une pluie de projectifs, il court se mettre à l'abri, le long de la façade et sous
les porches, ça tombe de partout, et la Stéphane se prend une pierre en pleine poire, et les autres
luttent. Remonte Stéphane, remonte dans le camion, il se hisse dans le fourgon, il pisse le sang, il
en met partout, le conducteur du fourgon enclenche la première, il se dégage, là-dessus les flics
arrivent, ça se calme et les autres rejoignent dans le camion. Stéphane est évacué vers
l'hôpital militaire-percy, Aclamar, au sud-ouest de Paris, plaid de 5 centimètres entre le nez
et la lèvre, fracture de deux dents, 13 points de suture, 21 jours d'arrêt maladie, et tout ça
à cause de petits cons qui ont lancé des pierres à des hommes qui venaient à leur secours, dans leur
immeuble, dans leur quartier désespérant, il porte plainte, normal, classé sans suite, comme d'habitude.
Mais l'année 2003 n'est pas terminée, nous voici au mois d'août, un dimanche, il est 23h29.
C'est un feu de garage, un passe péricat. C'est au fond, faites attention, c'est squatté. Squatté,
ça veut dire qu'il y a peut-être des victimes là-dedans, un bâtiment de deux étages, on voit
une lueur orange, ça brûle à l'intérieur des voitures. Stéphane envoie d'abord deux hommes, Ludo et Thierry.
On cherche des victimes, ok ? Et équipé de son appareil respiratoire, il s'enfonce à son tour
dans le bâtiment en feu avec Claire, une chef d'équipe, et là d'un coup, des morceaux de toit se
mettent à tomber. Thierry, Ludo, redoulez ! Il leur crie de faire marche arrière, mais avec le bruit
et le masque, ils n'entendent pas. Alors ils tirent sur le tuyau, ils ne le sentent pas. Et là,
ça se merde tomber de partout. Ça va s'effondrer. Stéphane attrape Claire, il se mette à courir vers
la porte. Trop tard, trop tard, le bâtiment s'effonde sur eux. Une avalanche de gravat. C'est fini,
ils sont cuit. Le bâtiment s'effondre comme un château de cartes. Et miracle,
le souffle de l'effondrement projette Stéphane vers l'extérieur. Il se relève à gare. Le bâtiment
n'est plus qu'un tas de gravats fumants. Et autour de lui, c'est la panique. Ça court dans tous
les sens. Où est Claire ? Où sont Ludo et Thierry ? Claire était à côté de lui. Où est-elle ?
Stéphane s'approche du tas et il l'entend gémir. C'est Claire, coincée entre une poutre et une
voiture. Claire est évacuée vers l'hôpital Bégin. Et maintenant, Thierry et Ludo s'étaient dans le
bâtiment quand ils s'étaient fondrés, en train d'attaquer les flammes à la lance. Les autres
pompiers commencent à déblayer le tas de gravats à la main. Ils leur font une demi-heure pour dégager
Ludo vivant. Dès qu'il est dégagé, Stéphane va le voir. Ça va Ludo ? Ça va ? Même ma femme n'est pas aussi
chaude. L'humour, même dans les pires circonstances. Ludo est évacué par hélicoptère vers l'hôpital
militaire Bercy, pronostic vital engagé. Et maintenant Thierry, des chiens sont arrivés,
brave bêtes qui se mettent à chercher un homme parmi les gravats brûlants. Les recherches durent
50 minutes. Et puis à un moment, un chien marque et il faut plus d'une demi-heure pour dégager Thierry,
ou plutôt le corps de Thierry. Parce qu'il est mort. On l'évacue vers l'hôpital mais il est mort.
Il s'appelait Thierry Saganta. Il avait 20 ans. Le jour est en train de se lever. Le soleil pointe
son nez. Des pompiers tout frais viennent relever les autres et Stéphane décide de rentrer tout
seul à pied à la casère. Quelques jours plus tard, un hommage au caporal Saganta a lieu au poste
de commandement à Saint-Denis. Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy est là et la famille en
l'arme. Et c'est Stéphane qui porte le coussin avec les médailles. Et Claire est là aussi,
en fauteuil. Des flashs de l'accident ressurgissent. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire, ou pas ? Comment
en est-on arrivé là ? Le sentiment de culpabilité est très fort. Alors je reste en retrait. J'ai vite
de regarder les parents. Je leur dirai bien un mot, mais je n'en ai pas le courage. J'ai peur de leur
réaction. J'ai peur de leur question. Est-ce qu'ils vont m'en vouloir ? Le lendemain, Stéphane est de
garde. Enfin, il pense être de garde parce que quand il arrive au rassemblement, on lui annonce que
toutes ses gardes sont annulées. Interdiction de décaler. Le sport oui, l'entraînement oui,
mais décaler non. On le protège. À part ça, les nouvelles de Ludo ne sont pas bonnes. On l'a placé dans
un coma artificiel. Son pronostic vital est toujours engagé. 15 jours plus tard, Stéphane
retrouve le droit de décaler. Mais attention, saison. Au moindre signe de pas bien, on vous
arrête. C'est pas négociable. Et c'est vrai que Stéphane appréhende le prochain feu. Est-ce
qu'il va avoir peur ? Est-ce qu'il va perdre ses moyens ? Est-ce qu'il va y prendre autant de plaisir ?
Ludo restera un an à l'hôpital perci. Il en sortira avec de graves séquelles. Il a été gréfé,
remparti, amputé. Il est maintenant handicapé. Quelle année 2003 ? Le caillassage à la courneuve,
la mort d'un frère d'arme. Même si entre deux, Stéphane a vécu un moment formidable,
la naissance de son fils. Mais qui peut sortir un dème de ça ? Personne. Il écrit. Les douleurs et
les peines accumulées ont été tellement fortes qu'elles ont réussi à occulter mon bonheur de
devenir père. Je suis vidé d'émotion. Et dans les mois qui suivent, le mal le ronge toujours. Et si
j'avais fait comme si. Et si on avait fait plutôt comme ça. Et Thierry serait-il toujours vivant. Et
pourquoi ai-je été épargné ? Stéphane ne dort plus. Et pourtant il est épuisé. Et il n'en parle
à personne. Il se referme. On lui propose de changer de caserne. Il ne veut pas. Il veut rester dans
le groupe. Le même groupe. Finalement, Stéphane décide de mettre un terme à sa carrière sur le terrain.
Il y a d'autres manières d'être pompier. Il intègre le centre de formation des cadres. Il
va s'occuper de l'entretien des véhicules et du matériel. Mais cela va-t-il vraiment l'éloigner de
ses angoisses ? Pas sûr. Maintenant, il s'occupe de la maintenance du matériel au centre de formation
des cadres. Au début, ça lui fait beaucoup de bien. Finit les sonneries la nuit. Finit tout ce stress
au quotidien. Il a fait sa part. Place aux autres. Sauf qu'à peine arrivé dans sa nouvelle caserne,
à la Courneuve. Éclate les émeutes de banlieue d'octobre 2005. Et il est obligé de reprendre
du service ses fourgons sans réquisitionner. Souvenez-vous, 10 000 voitures brûlées,
300 bâtiments détruits, 3 semaines d'état d'urgence.
Et puis à la fin, Stéphane retrouve son poste au chaud. Et à partir de là, il se met à
faire un cauchemar, toujours le même, qui revient en boucle. Trois ans après, toutes les
nuits, il voit le tas de gravats du 25 août 2003. Le tas dont il est sorti, mais pas tiré. Il ne
dort plus. Il est épuisé. Ça revient plusieurs fois par nuit. Et les bons conseils de son entourage
ne servent pas à grand chose. T'as eu de la chance. T'as été courageux. C'est pas ta faute. Tu es
un héros. Tu es une victime. Il faut oublier. Ces phrases toutes faites sont censées faire du
bien. Mais elles font du mal en vérité. Et donc Stéphane décide de consulter un psychiatre.
En se disant tout de même, je suis pas fou. Enfin, je pense pas. Le courant ne passe pas
très bien avec le psy. Mais le verdict tombe. Bien. Je crois que vous êtes victime de ce
qu'on appelle un syndrome de stress posttraumatique. Il demande alors à changer de psychiatre. Et il
va le voir une fois par semaine. Il lui raconte son histoire. Et parfois, il pleure. À un moment,
il croit qu'il va mieux. Mais les cauchemars reprennent. Toujours la même scène. Toujours le
même tas. Il se réveille en sueur. Et dans la journée, il se met à ruminer, à se cacher,
à éviter les gens. Il devient égris. Il s'emporte. Du coup, les gens s'éloignent. On lui colle
alors un traitement antidépresseur et des somnifères. Un traitement de cheval qu'il faut qu'il
prenne au lit. Parce que sinon, c'est sa femme qui doit le tirer jusqu'au plumard. Et ça dure
comme ça pendant deux ans. En 2009, Stéphane se va attribuer une pension d'invalidité définitive,
de 30%. Son traumatisme psychique est reconnu comme un traumatisme à part entière. Et en 2010,
après 20 ans de service, il quitte les sapeurs-pompiers de Paris pour intégrer le service de sécurité
incendie de la gare de l'Est. Et aujourd'hui, il ne fait plus de cauchemains.
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En 2003, Stéphane Saison, sapeur-pompier de Paris, est grièvement brûlé dans un incendie à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Il doit désormais apprendre à lutter contre le syndrome de stress post-traumatique…