La source: Marie Desplechin et ses sources
Radio France 5/28/23 - Episode Page - 57m - PDF Transcript
France Inter
Je pense qu'Amouka il est vraiment réussi, le moment où vous ne savez pas ce que vous écrivez
en fait vous êtes trahi parce que vous écrivez.
Je me refais en train d'écrire et voir une phrase arriver et me dire non mais t'es pas encore en train de raconter ça
pas encore.
Et bien si.
La source c'est la tannière de celles et ceux qui écrivent le berceau de vos histoires préférées l'endroit où tout est possible.
Et ce qui est super beau c'est que c'est ça qui passe chez le lecteur parce que lui il est recréé
alors lui il sait pas forcément ce qu'il lit mais ça va le toucher un endroit où vous auriez vous même du mal à localiser
et la personne qui vous touche ne sait pas quel est ce qu'elle met en jeu.
La source
Cécile Coulon sur France Inter
Cécile
Elle ressemble à quoi votre mémoire ?
A une belle cuisine bien rangée ?
A un paysage de carte postale ?
Une plage ?
Un versant de montagne ensoleillée ?
Est-ce que c'est propre et en ordre ?
Est-ce que vous acceptez que ce soit le bazar à l'intérieur ?
Le trist qui m'invite chez elle aujourd'hui considère que sa vie est une brocante.
D'ailleurs ces livres ressemblent à de grandes pièces où tout est possible,
où l'on a le droit de tout déranger en un seul ou deux mots,
où la joie règne accompagnée d'une énergie à nul autre pareille.
Je suis en cuisine chez Marie des Pleuchins, autrice pour toutes et tous,
nous buvons un café en fumant une cigarette,
dehors la vie parisienne fait son rafu tranquille et ici nous faisons le nôtre.
Pendant une heure, Marie des Pleuchins me parle de Roubet,
de l'écriture, de la littérature,
qu'elle lit et qu'elle raconte,
tout cela sur un coin de table dans un joli nuage de fumée.
Vous vous trouvez dans ma cuisine, elle n'est pas très grande,
mais c'est vous qui avez choisi de vous installer ici.
Oui, alors que vous avez filmé l'âge dans toutes les autres pièces.
C'est vrai, j'ai même replié la planche à repasser.
Est-ce que vous pouvez me dire si vous avez déjà écrit et travaillé dans cette cuisine ?
Je travaille dans cette cuisine.
C'est un des rares endroits où je travaille,
je travaille sur cette petite table jaune.
Cette petite table en formicat ?
Oui, c'est un endroit idéal, c'est un nid,
on est vraiment très tranquille.
On est dans un appartement à Paris,
dans le dixième arrondissement,
vous connaissez cet endroit de Paris, cet arrondissement de Paris depuis quand
et est-ce qu'il a changé ?
Oui, il a énormément changé, je me suis installée ici
parce que le type que j'ai fini par épouser et y habiter
et à l'époque, le quartier était un quartier,
il ne ressemblait pas du tout, c'est devenu un quartier très urbain
et avant, c'était un quartier travailleur
avec beaucoup de gens qui venaient de tous les pays du monde,
c'était vraiment très marrant,
alors ça reste assez marrant
et c'est un quartier qu'on ne peut pas domestiquer complètement
parce qu'il y a les proximités de la Gare du Nord et de l'Est
et ça y a rien à faire, ils n'arrivent jamais
à faire en sorte que les gens n'arrivent pas par ces gares
et ne traînent pas dans la ville
et en revanche, il y a de moins en moins d'anciens travailleurs,
c'est un ancien quartier de fourreur,
c'est un ancien quartier de presse,
c'est un quartier où il y a beaucoup de théâtre aussi,
c'est un quartier qui est riche d'une histoire merveilleuse
et puis j'y suis depuis très longtemps.
Vous avez fait vos études et vous êtes née à Roubaix,
ça ressemblait à quoi à Roubaix pendant votre enfance ?
Ça a beaucoup changé aussi, c'était une ville ouvrière
et c'est une ville ouvrière et patronale, c'est marrant,
d'abord l'architecture, on voit que c'est l'Europe du Nord,
il y a de la brique, c'est très différent de ici
et c'est une ville où on fait du textile depuis le Moyen-Âge,
il y a une très très longue tradition de gens qui travaillent,
c'est énormément développé avec les révolutions industrielles
et qui est tombée dans une spirale terrible
avec la désindustrialisation et ça, donc moi je l'ai vu.
J'ai vu puisque c'est à partir des années 70,
je me souviens très bien du premier licencié,
c'est un camarade des parents et de mes parents
et voilà, il avait été licencié et c'était une chose grave
et aujourd'hui c'est une ville qui a comme implosé
et en fait, j'adore m'y promener,
c'est une expérience toujours très étrange
parce qu'il y a la trace de la ville que c'était
et c'est la trace architecturale et même la trace populaire
mais c'est une ville qui est vivante par un tas de côtés
et malheureuse par un tas d'autres côtés.
Est-ce que votre écriture est guidée par les endroits qui sont en vous ?
Ah ouais, je pense qu'on est assez nombreux à penser ça,
c'est que la géographie ou la localisation,
c'est fondamental.
Moi, quand j'écris, je ne vois pas les visages des gens
et je jure que c'est vrai, je les décris pas
parce que je ne sais pas quoi y ressemble et je m'en fous
mais je pourrais vous dessiner où ils habitent.
C'est-à-dire que je peux dessiner l'endroit du quartier,
je peux dessiner commencer dans leur appartement,
je sais très bien les lieux
et je ne pourrai pas raconter quelque chose dont je ne pourrai pas faire le plan
et donc quand j'écris, c'est inséparable du lieu
et alors, est-ce que c'est lié au lieu que je connais ?
Oui, mais c'est pas lié au lieu que j'affectionne forcément.
L'histoire de la banlieue parienne, par exemple, c'est une histoire qui est fascinante
et ça m'a toujours beaucoup intéressé.
J'ai vécu à un moment à Drancy, peut-être pas la meilleure période de ma vie.
Et c'est le lieu-là, j'ai écrit des histoires qui se passent là-dedans
et en fait c'est le lieu qui porte l'histoire, c'est le lieu qui est héroïque.
À Pablo Picasso, vous êtes dans un ghetto par le bas.
Il faudrait être un menteur ou un aéry pour ne pas le voir.
Les gens n'ont pas la même couleur de peau.
Leur peau est noir, bistre, ochre, yvoire, blanc, pâle.
Une foule d'éléments distingue les majoritairement riches des majoritairement pauvres.
Les vêtements, les accessoires, l'expression du visage, le maintien du corps, les langues.
Mais le premier, c'est la peau.
On peut rêver du jour où la couleur de la peau
n'évoquera plus que la pigmentation.
Pour le moment, elle parle d'histoire, d'économie, de politique.
Elle tient des discours assourdissants au point de rendre tout le reste inaudible.
La peau parle de l'arrivée des travailleurs d'Afrique du Nord, puis d'Afrique Noire,
puis du sous-continent indien, puis d'Extrême-Orient, leur installation dans un pays
qui avait besoin de main-d'œuvre, la naissance de leurs enfants, de leurs petits-enfants.
Elle parle de la colonisation, des guerres, des rapports nord-suds,
des migrations économiques, de l'exploitation de la main-d'œuvre
et de l'asphyxie de civilisations incapables de maîtriser leur développement.
Bobini Centreville, Marie des Pleuchins et Denis Darzak.
Est-ce que vous vous sentez appartenir à des lieux, ou pas du tout ?
Ah si, je me sens énormément appartenir.
Je peux dire, ça appartient au Nord, bien sûr.
Tout le Nord me va bien.
Mais la métropole, Roubaix, Tourcoinglil et toutes ces villes, c'est une grosse métropole.
Oui, parce que c'est les territoires de l'enfance.
Tout y est, la lumière, les odeurs, la brique, les gens, l'accent, c'est chez moi physiquement.
C'est vraiment des traces qui sont inscrites en vous, d'une manière incroyablement sensuelle.
Parce que dans le Nord, je sais que l'accent, le visage des gens, prendre le métro,
je sais immédiatement que je suis chez moi, c'est marrant à dire.
Même si c'est la population, on peut penser qu'elle a un peu changé.
Mais dans le fond, c'est le pays qui fait les gens, pas les gens qui font le pays.
J'appartiens totalement, j'appartiens beaucoup à Paris.
Je suis arrivée à 18 ans.
J'ai mérité le prix de m'habituer à la ville.
C'était horrible.
Ah, c'était affreux, je comprenais rien.
C'est comme si j'avais du mali, en fait.
Je ne comprenais pas comment ça marchait.
C'était horrible.
En fait, il y a des marquettes.
Ils étaient amoureuses d'un type qui m'a évidemment largué juste avant que j'arrive.
J'avais 18 ans et je ne connaissais pas du tout la ville.
J'étais allée une fois avec mes parents et nous deux fois.
C'est-à-dire que je ne savais pas prendre le métro.
Je n'avais aucun repère pendant un an.
Les gens me disaient que je ne savais pas où étaient les cinémas.
C'était extrêmement hostile, comme environnement,
parce que c'était complètement inconnu.
Et la deuxième chose qui était encore plus terrible,
c'est que dans le Nord, quand vous débarquez dans un café,
à l'île, à Roubaix ou à ton coin,
si vous n'avez pas parlé au bout d'un quart d'heure à quelqu'un
ou si quelqu'un ne vous a pas adressé la parole,
le problème, c'est vous.
C'est-à-dire que c'est très facile de parler avec les gens
et en arrivant à Paris, c'est l'inverse de ça.
À Paris, les gens ne vous parlent pas,
vous les rencontrez, vous n'invitez pas chez eux.
Quand j'étais gamine, si quelqu'un arrivait dans ma rue,
mes parents, ils invitaient tout de suite.
On faisait visiter toute la maison,
si quelqu'un arrivait dans ma classe au lycée
et qui débarquait d'ailleurs et tout ça.
Mais pendant 10 ans, le pauvre invite le à dîner
avec son papa qu'on lui montre.
Et donc pour moi, c'était normal.
C'est une culture de la proximité, c'est une culture de...
Et je suis arrivée à Paris, l'inverse de ça.
Les gens sont audieux, tout le monde s'en fout de vous.
Personne ne vous fait venir chez lui.
Vous ne rentrez pas chez les gens que vous pouvez les connaître
pendant des mois et des mois et vous ne voyez pas commencer chez eux.
Et donc moi, je ne comprenais rien.
C'est comme si j'avais la gale, donc je pouvais errer complètement seul.
Pas d'amis, c'était horrible.
Est-ce que ça veut dire que votre mémoire,
c'est une immense brocante ?
Ah ouais, c'est un bazar.
C'est un bazar, ouais.
Mais j'aime bien, mon appartement est un bazar,
ma vie est un bazar, ma mémoire aussi,
c'est très hétéroclé.
Quelque fois, j'ai très, très peur de perdre la mémoire,
ce qui arrive à tout le monde.
Mais tout ce qui est rangé dedans,
c'est que je le mets dans des cahiers, mais ce serait perdu quand même.
Et puis je ne sais pas qui ça intéresserait.
Mais oui, bien sûr, un bazar, oui.
Et j'aime bien les poètes en bazar aussi.
Mais je pensais, je parlais avec une fille,
j'ai t'invité à l'anniversaire d'une copine et elle était là.
Et on a à peu près le même âge.
Et on a en commun d'avoir appris et de réapprendre régulièrement
la chanson du mal aimé d'Apollinaire.
Voilà, qui est difficile à retenir,
parce qu'il n'y a pas de succession logique,
sauf dans quelques passages intérêts du poème,
et qui fait soixante-streufs.
Et donc je conseille à tout le monde, c'est un très bon exercice.
Et Apollinaire, c'est un bazar.
Et je pense que ce que j'adore, c'est lui,
et qui fait un peu de favoris, c'est ce côté bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
C'est un bazar.
Ces regards laissaient une traîne d'étoiles
dans l'histoire tremblant.
Dans ses yeux nageaient les sirènes.
Ils nous baissaient, mordus, sanglants.
Faisaient pleurer et nous faisaient maraînes.
Mais en vérité, je l'attend.
Avec mon cœur, avec mon âme.
Et sur le pont des reviens temps,
si jamais revient cette femme,
je lui dirais, je suis content.
Voie où la flamboyance se mène
et tous les records explosés.
On a congédier les sirènes
qui va monter dans la fusée.
Des traînées blanches dans un ciel
qu'on ne pourra pas remplacer.
Prenons place dans la nacelle.
Regardons passer la fusée.
Par en dessous si on savait
combien de vagues et de regrets
combien de vagues et de regrets.
Voilà qu'au bord du crépuscule
sortit l'immeuble d'entrepôt.
Des corps agités se bousculent
tout autour de tables de jeux.
Ils questionnent tous les possibles
les cartes flambent dans leurs yeux
de regarder les autres vivant
aux autres parfois tous les mots.
Derrière tout ça si on savait
combien de vagues et de regrets.
Des nuits d'intention sommeil
peut-on ne pas les réveiller.
Peut-on renoncer à l'envie
de défendre une grande idée.
Plus haut des planètes s'inquiètent
on y a entendu respirer.
Armaggedon est en retard
mais il ne devrait pas tarder.
Si au final on décomptait
toutes les vagues, tous les regrets.
Mais non, pas de marée
dépenser sans aller retour.
Non, pas de nausée
pas de doutes et pas de détour.
Pourtant chaque jour c'est un miracle
l'aube accepte de se lever.
Tant de raisons donnant rien faire
rien qu'à nous voir nous activer.
Que des brumes providentiel
face de nous des innocents.
Il n'est pas d'affaires aux humaines
qui ne rongrassent au phare avant.
Si au moins tout ne repose
que sur des vagues et des mauvaises.
Mais non, pas de marée
dépenser sans aller retour.
Non, pas de nausée
pas de doutes et pas de détour.
Non, pas de marée
Non, pas de nausée
Parans de soucis on savait
combien de vagues et de regrets.
Dans le dixième arrondissement de la capitale
Marie-Déplechamps me raconte sa ville natale, rubée
sa découverte de Paris et ses premières histoires.
Alors j'ai des souvenirs exquis
de ma mère et on devait pas être grands
parce que je me souviens la chambre
où habiter mon petit frère et ma petite soeur
ils étaient encore bébés, ma mère nous lisait huburois
et donc il y avait
aura corneuse au cul, je veux le perdre, hubu, merde.
Et je me souviens de nous sautant sur le lit
c'était un grand de joie, ça c'était un très bon souvenir.
Et j'ai très bon souvenir aussi d'un été
où je devais avoir une dizaine d'années
et mon père lisait pendant les vacances
il y avait un certain nombre de vacances où il nous a lu des livres
et ce mois d'août là il nous a lu
l'histoire d'Angleterre de Morois
et James à la grosse pêche avec le même enthousiasme
et même enthousiasme me partageait
et je me souviens aussi d'un autre truc
je me souviens de la
de la découverte
de la magie d'inventer une histoire
je dis inventer pas des histoires
et les gens qui inventent des histoires pour leurs enfants je pense pas que c'est...
enfin moi je l'ai jamais fait
mais il me parlait d'une un personnage
je savais pas que c'était un personnage qui s'appelait
l'abominable à délaïde
et il me disait
l'abominable à délaïde a fait ceci
ou ce n'est pas ce qu'aurait fait l'abominable à délaïde et tout
et donc moi qui ai toujours des mal à faire
à séparer la fiction de la réalité
je pensais qu'elle existait vraiment
qu'elle existait
je disais mais où elle est
ou alors est-ce qu'elle est dans un livre
et je me suis rendu compte que c'est une histoire qui est inventée
et qu'en fait c'est juste ce truc d'échange
je faisais qu'elle existait vraiment
c'est un vrai personnage
mais qu'il avait la capacité de la faire surgir
et c'était tellement incarné
c'était magique
Certaines grandes personnes
ont oublié qu'elles ont été enfants
elles ne se souviennent plus de leurs aventures d'autrefois
de leur bonheur
de leur malheur
petits et grands
d'autres en revanche
se souviennent très bien
elles se rappellent même qu'un jour
quelque chose a changé
et les a changés
ils pouvaient s'agir d'un événement terrible
et difficile à vivre
ou d'un tout petit pas grand chose
un presque rien
parfois c'était comme si le monde s'écroulait
d'autrefois c'était comme si un monde apparaissait
l'enfance ne s'efface pas
jamais
qu'il se souvienne ou pas
tous les hommes et toutes les femmes ressemblent
à celui et celle qu'ils ont été
quand ils avaient 2, 5, 10 ou 12 ans
leur enfance n'a pas disparu
elle s'est transformée avec l'âge
elle s'est épanouie
préface du livre Enfance
co-écrit avec Claude Pontich
Marie Dépleuchin, est-ce que vous vous avez lu des textes
à haute voix, à vos enfants ?
mais jamais les miens
mais oui j'ai lu énormément, pendant leur enfance
j'ai lu énormément, oui
et j'ai lu avec d'autant plus de plaisir
que je le lisais pour moi
et pendant le confinement
j'étais avec 2 ados
qui lusent pas
la vie devant soi de Gary
et c'était un bonheur de le relire
et on a lu Marie Claire de Marguerite Audoux
si vous ne l'avez pas lu
je vous conseille vivement de le lire
très vite, c'est un magnifique texte
et on a lu quelque très très bon bouquin
pour ados aussi
c'était magique, on le faisait tous les soirs
on devrait même se le faire entre adultes
mon père lis souvent à ma mère
aujourd'hui encore
est-ce que c'est important de relire des livres
et
est-ce qu'on peut être déçu
par un texte qu'on a adoré la première fois
je ne sais pas pour les autres
mais pour moi c'est très très important
et je relis beaucoup
je relis même énormément
il y a des livres qui résistent
et il y a des livres qui ne résistent pas
et c'est pas grave quand ils ne résistent pas
parce que vous pouvez retrouver
vous vous rendez compte
que c'est de l'ado
vous savez pourquoi vous l'avez aimé
à ce moment-là
vous savez pourquoi vous aviez tellement besoin
de le lire
c'est jamais une totale déception
mais après on peut s'en séparer
en vain ce qu'on relit et qui tienne
ce qui est merveilleux c'est qu'il change
à chaque lecture
ça c'est vraiment magique
on peut retrouver des choses qu'on a aimé
mais surtout les vrais bons
vous voyez un tas de choses que vous aviez pas vues
et vous pourriez vous dire j'y vais 300 ans
c'est ce que vous y amenez aussi
puisque la lecture c'est le lecteur qui fait le livre
c'est vous qui faites tout
le livre c'est une proposition
et c'est vous qui l'apportez
et donc effectivement il change avec vous
au moins de décembre
les vaches restèrent tout à fait
à l'étable
je croyais qu'il en serait de même
des moutons
mais le frère du fermier m'expliqua
que la Sologne était un pays très pauvre
et que les fermiers
ne récoltaient pas assez de fourrage
pour nourrir toutes leurs bêtes
à présent
je m'en allais seul
le long des prêts est dans les bois
tous les oiseaux étaient partis
le brouillard s'étendait
sur les terres labourrées
et les bois étaient pleins de silence
il y avait des jours
où je me sentais si abandonnée
que je croyais que la terre s'était décroulée
autour de moi et quand un corbeau
passait en criant dans le ciel gris
sa voix forte et enrouée
semblait manoncer les malheurs du monde
les moutons eux-mêmes
ne sautaient plus
le marchand avait emmené tous les mâles
et les petites femelles ne savaient plus jouer entre elles
elles marchaient serrer les unes
contre les autres
et même quand elles ne mangeaient pas
elles restaient la tête baissée
quelques-unes me faisaient penser
à des petites filles que j'avais connues
je les caressais en les forçant
à lever la tête
mais leurs yeux restaient tournés en bas
et leurs prunelles fixes ressemblaient
à du verre sans reflet
Marie-Claire, Marguerite Audou
Marie-Dépleuchin, est-ce que vous vous souvenez
de la première histoire
ou en tout cas de vos premiers écrits
parce qu'il y a eu des journaux
des poèmes de petites histoires
ou est-ce que c'est venu bien après ?
Ah non, c'est venu tout le temps
en fait c'était là tout le temps
parce que dès qu'on a l'outil en main
on voit très bien à quoi il peut servir
donc je voyais je faisais des poèmes
des poèmes pour les anniversaires des uns et des autres
c'est toujours le cadeau le moins cher et le mieux venu
on le dit pas assez aux enfants
il fait un poème
c'est un cadeau merveilleux
après j'étais une enfant qui était assez angoissée
et ça souvent quand j'en parle aux enfants
je vois qu'ils savent très bien ce que je veux dire
on ne peut pas s'expliquer à haute voix devant quelqu'un
parce qu'il y a trop d'émotions
on n'a pas les mots et de toute façon on pleure
mais en fait on peut l'écrire
parce que comme ça on a le temps de choisir les mots
on a le temps de se faire comprendre
on n'est pas assez par l'émotion
et ma mère a tenu ce truc très bien
de garder un ou deux mots que je lui écrivais
pour expliquer ce qui se passait
et c'était vachement bien
après j'ai fait des journaux de classe
j'adorais faire des rédactions
j'ai tout fait, j'ai fait du tract
j'ai fait tout ce qu'on peut
j'ai toujours écrit
des histoires pour impressionner les autres quand j'étais ado
évidemment
ben oui
de toute façon il était clair
c'était pas moi qui allais sortir la première
avec un garçon
et pas de la galerie
avec mes aventures
je pouvais toujours tenter le coup avec des histoires
et la première histoire
qui ensuite est devenue une histoire publiée
elle est arrivée quand ?
en fait assez tard
mais je suis capricorde
donc je fais toujours les choses avec un énorme retard
et des normes délais
et j'avais écrit au début une nouvelle
qui était assez scandaleuse
parce que monsieur Impus a parlé de ma masturbation
mais je crois que oui
et ça disait un peu de mal de mes parents
qui étaient pas du tout mes vrais parents
et je les montrais à mes parents
et ils ont dit que c'était très bien
ça m'a vraiment étonné
et donc
ça n'a pas été publié
des années se sont passées
mais après dans mon premier recueil de nouvelles
il y a une bonne partie de cette nouvelle qui est là
qui est dedans
donc c'était le premier truc qui ressemblait à quelque chose
pour ma première lecture publique
je résolu de tenter ma chance
avec un public difficile
je choisis ma mère
je l'attrapais un matin au saut du lit
encore à tabler prenant son petit déjeuner
machonnant sa tartine
elle fut parcourue d'un frémissement craintif
quand je lui annonçais que j'entendais lui lire
un poème de mon cru
mais le souvenir de mes notes en maths physique
devait la rassurer
elle s'adossa au cours
de la cuisine
avec un regard de victime
droite debout
planté en face d'elle
et les yeux fixes je déclamais
les yeux longs
yeux de la folie
et les sanglots dans leur sillage
aux confins élagués de mes cris
paroxysme dernier rivage
perdu perdu pour un pari
sur la mort d'un grand mirage
souvent j'ai désiré souvent
une amie au sein lourd marbré
caressé son dos ruissolant magique
au sexe grave et bleuté
amant blessé
meurtri amant
lointaine lointaine éternité
les cas tombent des ondines
dans les fleuves de nos désirs
à laisser le noir et saline
les fées ne savent plus jouir
les mains glacées d'un androgine
signe le pacte du plaisir
j'avais lu
d'une voix nette et posée
je me tue, j'attendis
suivi un silence interminable
puis ma mère se décida
à se lever de son banc
draper dans sa robe de chambre vieuse
le visage révolté
on n'est jamais au bout de ses surprises
dit-elle un ton trop haut
en passant une main théâtrale dans ses cheveux
d'effet
je ne savais pas encore que ma fille était Gwyn
misère, mal donne et contre-sense
je m'étais préparée
à un certain nombre de réactions vives
de la part de mon public
mais je n'avais pas prévu celle-là
tu me préfères un pute ?
dis-je, faute de contre-feu
et pour lui rendre la politesse
je tournais les talons et je sortis
de la cuisine
cette nouvelle expérience m'amena
à un certain nombre de conclusions
premièrement je décidais d'abandonner la poésie
deuxièmement
je renonçais au travestissement artistique
troisièmement
je me jetais tête baissée entre
les jambes de la plus jolie de mes amis
après tout, puisque vivre
servait très directement à écrire
écrire pouvait aussi mener
tout droit à vivre
extrait de la nouvelle Laeticia
du recueil trop sensible par Marie
des Pleuchins
quand vous arrivez à Paris et que vous faites
une école de journalisme
commence cette forme d'écriture
qui est un peu différente
on l'imagine différente quand on la prend
dans une école de la fiction
de la poésie
et de la fiction magique
comment vous arrivez à
opérer cette espèce de liaison
entre
toute la littérature que vous avez en tête
les histoires que vous avez en tête et l'école de journalisme
avant cette école
j'avais fait une canne et après
j'avais fait la fac
j'ai fait du latin, du grec et de la littérature
pour être sûr de bien pourrir la vie
c'était pas très bon le temps au départ
c'était un gros challenge
mais alors on écrivait
d'une certaine manière, c'était les années 80
et c'était
une parodie, enfin c'était à la fois littéraire
et très parodique d'une forme
d'écriture teintée
d'une espèce de style, un peu je dirais lacanien
on exagérant avec
une espèce de g de
semis
de semis de virgule
et je mesurais la part
dernière qu'il y avait dedans
mais c'était aussi une manière
d'apprendre à écrire pour ne rien dire
et ça avait un côté très
amusant tant en tant qu'on arrive
à faire puisque je suis arrivée
à la fin du truc qui a très bien le faire
mais
dont je me méfiais et l'école de journalisme au début
ça a été assez cruel le temps de comprendre
qu'on n'avait pas du tout droit à ça, surtout que l'ambiance
était assez serriesseur, c'était pas le sommeil
de la pédagogie, je me suis fait
me traiter plus bactère
mais après ce qui était très intéressant c'était
d'apprendre la boîte à outils en fait
c'était de ne plus être dans la parodie
ça ne servait à rien et d'apprendre à écrire
il fallait faire les phrases avec qui on n'avait pas
droit aux adjectifs, pas droit aux adverbes
il fallait que tout soit dans le verbe
et ça c'est vraiment une super bonne école
pas de passer ça en finie, oubliez-le
ce n'a jamais existé
mais moi j'ai bien aimé ça
j'ai bien aimé apprendre
à construire autrement et voir l'outil
et après revenir
à l'adjectif, revenir à tout ça
en pesant les choses, c'était bien
de ne pas croire qu'écrire s'est renversé
son lexique dans la page
et aussi que cette écriture, elle servait
mais ça je m'en ai rendu compte avec en faisant
les tracts justement dans les écritures d'engagement
c'est que l'écriture c'est un énorme outil
et quoi que vous fassiez, c'est un outil extraordinaire
c'est un outil, les gens qui disent
là ce livre c'est merveilleux, c'est bien écrit
mais pour moi c'est bullshit
c'est pas bien écrit
c'est d'accord, on ne faisait pas là que ça se passe
et après il y a vraiment une conjonction
entre certaines formes d'émotion
qu'elle avaute, que vous arrivez
à maîtriser et tout et votre manière
de l'exprimer d'une manière
où il n'y a rien à faire c'est un outil
vous voyez j'ai pas une conception
comme c'était divin
ou d'instinct l'écriture
c'est une machine
et après dans cette machine
il peut avoir des miracles
mais la machine tout seul
n'a rien
Marie Déplochin
pour habiller cette émission
vous avez choisi un morceau musical
quel est ce morceau et pourquoi l'avez-vous choisi
j'ai choisi Pouki
de Ayanna Kamura
je vous conseille de bien l'écouter
et après je vous conseille d'essayer de comprendre ce qu'elle dit
et de voir comment elle se débrouille avec les mots
parce que arriver à faire ça avec la langue
et à la faire sonner comme ça c'est du génie
et c'est le chanson en plus
vous pourriez me dire merci
c'est des chansons
qui va vous donner plein d'énergie
il a fait un petit show de chansons
game boy ne joue pas
bang bang bang
je suis gang or
game boy ne joue pas
bang bang bang
blablabla Pouki
ferme la porte à la Pouki dans le sol
blablabla Pouki
ferme la porte à la Pouki dans le sol
Pouki
ferme la porte à la Pouki dans le sol
Pouki
Pouki
ferme la porte à la Pouki dans le sol
ah depuis d'antan
j'ai vu dansa
depuis d'antan j'ai vu dansa
depuis d'antan ah ah
j'ai vu dansa
bye bye j'ai pas besoin de bye boy
j'sais bye fort la j'ai pas le temps pour toi
j'sais bye fort la tu fais trop
d'efforts c'est bye la
c'est pour les mecs comme toi
t'as clé pour des pipettes
ça va claquer pour des pipettes
ça va claquer craque pour les bombes balles
ça va grave que craque
c'est pour les mecs comme toi
j'suis gang
boy ne joue pas
bang bang bang
boy ne joue pas
bang bang bang
blablabla Pouki
ferme la porte à la Pouki dans le sol
blablabla Pouki
ferme la porte à la Pouki dans le sol
ah depuis d'antan
j'ai vu dansa
depuis d'antan j'ai vu dansa
depuis d'antan ah ah
Ah, ah, j'ai vu dans ça
Baby, baby du sale
Allô, allô, allô
Million de dollars
Baby, tu vaut ça
Baby, baby du sale
Allô, allô, allô
Million de dollars
Baby, tu vaut ça
Oh, c'est chaud là, oh
Oh, c'est chaud là
Oh, c'est chaud là, oh
Oh, c'est chaud là
Ah, depuis longtemps
J'ai vu dans ça
Depuis longtemps
J'ai vu dans ça
Depuis longtemps
Ah, ah, j'ai vu dans ça
Ah, depuis longtemps
J'ai vu dans ça
Depuis longtemps
J'ai vu dans ça
Depuis longtemps
Ah, ah, j'ai vu dans ça
France inter, la source, c'est si il coulant
Marie Desplochins avait replié la table à repasser
pour m'accueillir dans son salon
mais finalement, nous sommes installés dans la cuisine
Ici, elle m'explique
ce qui est indispensable pour écrire
Ce qui est indispensable
c'est que je puisse être dans un terrier
Et ce terrier, la cuisine est un bon terrier
Par exemple, j'ai du mal à écrire dans un endroit inconnue
J'envie énormément les gens qui écrivent dans des trains
Moi, dans un train, je dors ou je lis
ou je écoute un podcast
mais je ne peux pas écrire
ou alors je peux faire un truc mécanique
quoi, corriger ou...
mais je ne peux pas inventer
et j'ai besoin d'être complètement rassemblé
C'est pour ça que je n'arrive pas à avoir de bureau
parce que je n'ai pas un endroit qui est niche, ailleurs, que cette cuisine
Voilà, il y a ça
et après, une bonne dose d'angoise aussi
parce que avant que vous n'arriviez, je me disais
pourquoi vient m'interroger
je ne suis pas un écrivain
et d'eux, je ne sais pas le faire
et en fait, ne pas y être arrivé
et à un moment, quelque chose s'est passé jusqu'à maintenant
dont il est probable, bien sûr, que ça ne se reproduise plus jamais
fait qu'on arrive à écrire une chose
mais c'est jamais simple, en fait
ça repose beaucoup sur de l'insatisfaction
pour moi, en tout cas, de l'insatisfaction
de ne plus croire du tout en moi
Vous avez beaucoup publié
ça veut dire que très souvent, vous avez eu la sensation de ne pas y arriver
j'ai pas l'impression d'avoir tellement écrit
vous savez, quand je réfléchis, je me dis
mais en fait, j'ai rien écrit
voilà, après, aujourd'hui, vous avez écrit beaucoup de livres
j'ai jugé beaucoup de livres, très petits
c'est vrai, ils sont petits
exactement, et s'ils étaient rassemblés
j'aurais beaucoup moins écrit
ça semblerait beaucoup plus modeste comme écriture
donc non, moi, je n'ai pas le sentiment que j'écris beaucoup
je n'ai pas le sentiment que j'écris beaucoup
Comment naît une histoire ?
Est-ce qu'elle est là avant vous l'histoire ?
Elle est là, mais de manière non dite
c'est-à-dire, ça, c'est vraiment clair pour tout le monde, je pense
elle se construit bien avant que vous vous mettiez à écrire
j'ai dit ça souvent aussi, quand je vais voir des gosses dans les classes
et souvent les ateliers d'écriture, ça me semble complètement absurde
alors voilà, vous avez écrit maintenant là-dessus
vous avez une heure à m'écrire au secours
il me semblerait très légitime de dire, écoutez, non
voilà, c'est quelque chose que je n'y arrive pas
ce que je fais souvent, c'est une semaine avant, je leur dis
et je dis, ce n'est pas la peine d'y penser
vous allez y penser malgré vous, ça va se penser en vous
pour la semaine prochaine
et souvent, ce qui se passe, c'est plus simple
il y a cette gestion du temps qui est très particulière
une bonne partie du temps de l'écriture se passe à faire la sieste
ou avoir l'air de rien faire ou à repasser
dans cette cuisine, un petit personnage
qui est un Pokémon qui s'appelle Ronflex
qui m'a été donnée par mes enfants
avec qui j'ai expliqué que faire la sieste fait partie du travail
est-ce que je pense sincèrement, alors peut-être d'autres gens disent
ça peut être la marche, ça peut être n'importe quoi d'autre
mais c'est tout ce moment-là où les choses se constituent
après, ça n'empêche pas le vrai boulot quand vous vous y mettez
ou un truc arrive, vous l'attrapez
et puis après, vous forcez à construire
il y a quand même tout un travail très volontaire à l'intérieur
mais ce travail volontaire ne suffit pas
c'est très possible de se mettre à table et écrire 40 000 signes dans la journée
40 000 signes de daub absolu, ça c'est...
ça vous peut tout jeter après
ça vous êtes déjà arrivé de jeter 40 000 signes ?
bien sûr, bien sûr
est-ce que vous pensez que c'est un passage obligé ?
oui, même en faisant un article de journal par exemple
ou en faisant un texte, je ne sais pas, sur un autre auteur
je commence à faire le mauvais
je le fais entièrement, presque entièrement
et une fois que je l'ai fait, je regarde et je me dis
ah oui, c'est que t'es un chier
donc je recommence, et là c'est bon
enfin, le meilleur des cas c'est bon
mais il ne se passe pas une fois sans que j'ai fait une mauvaise version
de ce qui devait devenir une meilleure version
il faut aller explorer l'impasse
est-ce que vous préférez aller voir des gamins, comme vous dites
dans des classes, ou les parents des gamins dans les librairies ?
les gamins dans les classes, ça y est après de doute
il arrive que ce soit des rencontres qui sont pas normales
c'est jamais raté
et même quand sans gueule, ce qui est arrivé plus une fois
mais très souvent il arrive qu'en sorte de ses expériences
avec un sentiment de plinitude que moi je n'ai nulle part ailleurs
rien n'égale le sentiment de plinitude à la fin de ce travail
c'est merveilleux
c'est une déclaration de confiance
j'ai confiance en vous, les enfants, les adolescents
tous ceux qui habiteront le monde à venir
et qui n'ont pas encore l'âge de voter
j'ai trois raisons pour cela
d'abord, vous êtes équipé d'un cerveau rapide et souple
nécessaire pour acquérir les savoirs dont vous avez besoin
ensuite, vous avez une grande capacité d'empathie
vous partagez naturellement les émotions des autres
et vous êtes particulièrement sensible à l'injustice
enfin, vous n'êtes pas entré dans la société des adultes
qui impose une quantité d'habitude, de désir
et de crainte plus ou moins raisonnable
bref, je crois dans le plus d'intelligence, de compassion
et de créativité que vous détenez
j'admets qu'il vous manque encore des connaissances, des aptitudes
et quelques centimètres pour prendre les choses en main
mais je trouve très regrettable que les vieux se privent de vos avis
et de vos émotions, surtout aujourd'hui
vous vivez dans un monde qui change, énormément, gravement, définitivement
vous le savez, l'activité humaine a la transformé
sans que personne ne mesure les conséquences de cette transformation
d'un côté, les conséquences merveilleuses sur la santé, le confort, le savoir
d'un autre, les conséquences menaçantes sur l'air, sur l'eau, sur la vie
tout le monde est au courant de la disparition des espèces animales et végétales
de la fonte des glaces et de la sécheresse dans les pays du sud
nous voyons se multiplier les catastrophes
comme les incendies géants et les énormes inondations
qui ravagent des régions entières sur tous les continents
nous sommes informés des dangers du plastique et des polluants chimiques
et de l'urgence de changer nos façons de vivre
mais le changement est long, si long, trop long à venir
en attendant, il va bien falloir apprendre à vivre sur une planète chamboulée
comment ferez-vous ?
c'est en réfléchissant à cette question
que j'ai remarqué que vous possédiez quelques admirables qualités
pour vous adapter
et qu'elle correspondait souvent à ce qu'on vous reproche
j'ai découvert que fouiller la poubelle
trouver normal du copier sur sa voisine, juger suffisant de se laver un jour sur deux
sont autant de comportements qui devraient être encouragés
plutôt que combattus
quel bon adulte vous seriez si vous arriviez à préserver un peu de votre curiosité
de votre sensibilité, de votre colère
vous auriez de meilleurs atouts pour demain et la planète avec vous
j'ai pensé, surtout, ne changez pas
ou alors patron
et puis j'ai fait ce livre
Ne change jamais, Marie des Pluchins
il y a des années
il y a une autrice Fred Vargas
qui m'avait donné un conseil et qui m'avait dit
si tu as une histoire
tu ne prends pas de notes
tu vas dormir
et le lendemain matin
si ton histoire est toujours là
tu peux y aller
et de laisser des fictions
se construire un peu tout seul
c'est-à-dire de faire aussi confiance
à la pensée et à la fiction
est-ce que vous êtes d'accord qu'il faut aussi
même si on a l'impression qu'on va pas y arriver
faire confiance à ce qu'on a à l'intérieur de soi
sans savoir exactement ce que c'est
sinon c'est pas la peine
souvent ce que je me dis c'est
pourquoi ça plutôt que rien
parce qu'en fait des bouquins il y en a énormément
qui sont très très bien
pourquoi ça plutôt que rien
et pourquoi ça c'est si ça vous est nécessaire
et moi je me dis mais pourquoi prendre des notes
sur n'importe quelle idée qui me passe par la tête
en fait si c'est important c'est là
ça va être dans le disque dur
et à un moment ça va se faire avec cette nécessité
alors pourquoi je vais l'écrire
parce que moi j'ai besoin de l'écrire
parce que voilà c'est un côté bon pour moi
ou alors parce que je pense que ça peut intéresser
ou ça voilà c'est quelque chose que
à ce moment là ça aura une raison d'être
mais c'est pour ça que je suis incapable
de faire une vraie série en fait
je fais des bouquins et à la fin l'éditeur
il dit oui ça peut faire une série
oui ok ça fait une série très bien
et les gosses disent est-ce que vous allez faire un automne
mais je n'ai malheureusement rien à dire
parce qu'après ça devient technique
une autre chose qui est liée à ça
c'est que je pense qu'un bouquin il est vraiment réussi
le moment où vous ne savez pas ce que vous écrivez
et ça ça m'a arrivé extrêmement souvent
et je pense que c'est qu'en fait
vous êtes trahi parce que vous écrivez
c'est aussi un des sujets peut-être de l'angoisse
des gens quand ils écrivent
c'est que quand ils vont se relire
à un moment ils vont se rendre compte de ce qu'ils ont écrit
il n'était pas ce qu'ils voulaient écrire
mais d'autres choses sont passées
et je me refais en train d'écrire
et voir une phrase arriver et me dire non mais
t'es pas encore en train de raconter ça
pas encore et ben si
parce que c'est ça qui vous occupe
et ce qui est super beau
c'est que c'est ça qui passe
chez le lecteur parce que lui il est recréé
alors lui il sait pas forcément ce qu'il lit
mais ça va le toucher à un endroit
c'est pour ça qu'on peut aimer des très mauvais livres aussi
parce que vous allez être touché
à un endroit où vous auriez vous-même du mal
à localiser et la personne qui vous touche
ne sait pas que
ce qu'elle est, ce qu'elle met en jeu
c'est ça super beau ce côté
un peu magique de l'écriture
moi j'ai une bonne histoire
enfin ça qui est une histoire que j'ai raconté
mais que j'ai raconté aussi
quand j'étais gamin
elle a écrit trois bouquins pour enfants
et complètement par hasard
à la bibliothèque municipale je suis tombée sur deux de ces bouquins
qui s'appelaient chevrette et virginie
et l'autre l'amazone bleue
et qui sont des romans de cap et d'épée
avec des héroïnes
donc le vrai c'est virginie dans l'amazone bleue
il y en a deux autres apparemment c'est conventionnel
ça se termine par des mariages à la fin
elle même étant noble
elle était totalement anarchiste
c'était un génie france-asdobon
et ces bouquins
et pourtant Dieu cessez je lisais
et je lisais vraiment de tout
je les adorais
et c'est bien sûr bien plus tard
que j'ai découvert qui était france-asdobon
j'adorais son nom mais je ne pouvais pas du tout deviner
que c'était cette personne
et alors je les rencontrais totalement par hasard
dans un café
où elle avait écouté une conversation que j'avais avec un copain
on parlait du féminisme
donc il y a une grosse dame dans un coin
elle me donne un traque pour inviter à une lecture
et je vois que c'est en présence
de france-asdobon et je dis
j'aurais tellement aimé voir france-asdobon
malheureusement je ne peux pas venir
et elle me dit mais madame france-asdobon
c'est moi
alors là il était mais extasi
et je dis je peux vous embrasser
donc j'ai embrassé france-asdobon
et après quelques années plus tard
je trouve son numéro
dans la nuire et je l'appelle
et je voulais l'interroger sur ces bouquins
et elle a super mal pris
france-asdobon
je suis l'auteur
du meuil reconsidérable
mais c'est livre
je les écris parce que je crevais de faim
ce sont des imbécilités et tout
et donc il n'y a pas eu moyen
ils étaient super déçus
et ce qui est vachement beau dedans
c'est qu'elle ne savait pas
ce qu'elle transmettait à quelqu'un
qui avait 11 ou 12 ans à l'époque
qui était la reconnaissance
qu'il fallait se battre une épée à la main
vraiment c'était bourré
c'était bourré d'énergie
mais c'est elle, elle ne le voyait pas assez marrant
je pense que c'était pas assez de confiance
dans l'enfance non plus
ou pas assez de confiance dans l'écriture
est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous transmettez
à des enfants de 11 ou 12 ans
pas du tout mais je ne pense pas une seule seconde
après j'en ai dit vous avez un message non
il n'y a pas un message
il y a moi, il y a les trucs dans quatre je crois
tout ce que je fais, tout ce qu'on dit
il y a un message
tout ce qu'ils sont dedans
c'est qu'on n'est jamais compris par les adultes
tout ces trucs là
c'est qu'on est souvent seul
que si on ne se bat pas, on n'y arrivera pas
et que ça vaut le coup de se battre
c'est des choses comme ça
mais ça ça peut partir de moi
1er octobre, avant dîner
tous les gnômes de la planète
comptent leur sous
le plus grand magicien de tous les temps
va passer pour sa quête annuelle
j'ai nommé Harry Potter
le type qui transforme le papier en or
massif
Sophie la parfaite, dite aussi
sur cadette ingrate, se prépare
activement à célébrer
elle sera la première à acheter
le bouquin, la première à le lire
la première à dire
qu'il est encore mieux que celui de l'année
dernière
dommage qu'elle entre juste en 6e
elle n'a pas assez de vocabulaire
pour se le taper en anglais
c'est grave Sophie, ce sera pour la rentrée prochaine
et il sera encore mieux
que celui de cette année
moi franchement il faudrait me payer
pour que j'aille faire la queue
juste pour acheter un bouquin
surtout un bouquin que tout le monde a lu
je me demande
ce que ma soeur préfère
faire la queue ou lire le livre
je crois que c'est faire la queue
si elle aimait lire, on verrait autre chose
que Titeuf sur son étagère
le temps que les gens perdent
à lire des livres, ça me tue
c'est le genre de réflexion
que je me fais en cours de maths
il faut que je m'occupe la tête
si je ne veux pas devenir dingue
bref, la question s'est posée à moi
entre deux équations, la seule
la vraie, l'unique
pourquoi me pourrir la vie à lire
alors que je peux écrire
justement
j'avais un cahier en train de moisir
un vieux cadeau de l'anniversaire de mes 12 ans
l'authentique présent effroyable
une large couverture en carton
un million de pages blanches
et mon journal intime
marqué dessus histoire de rendre
la chose publique dans le monde ratier
tellement intime que la couverture
est fermée par un cadena ridicule
avec clés dorés
le genre de trucs qui donnent
une envie mortelle de lire en cachette
tu vas écrire ton journal
et ce sera le début d'une nouvelle vie
voilà ce que je me disais quand la fin de l'heure a sonné
j'ai arrêté de penser
direct j'ai ramassé mes affaires
et j'ai foncé vers la sortie
la vérité c'est que je suis faite
pour l'action
le journal d'horreur
Marie Desplochins
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
c'est pas mal
baby I like you love me
I like you love me
cover me in a dream
I'll use more honesty
honesty honesty
baby I like you love me
I like you love me
baby at the end
it becomes real
it goes for me
oh oh oh
for me
à pawn
les parents
font toujours leurs enfants de manière irresponsable
et quand ils voient ce qu'ils ont fait
ils sont effrayés
c'est pourquoi quand les enfants viennent au monde
nous voyons jamais que des parents effrayés
faire un enfant et donner la vie
comme on dit icilles pensonnements
ce n'est tout de même rien d'autre
que mettre au monde
sont à chaque fois effrayés par cette accablant malheur.
D'ailleurs, la nature a toujours transformé les parents en imbécile, a-t-il dit, et fait
faire à ces imbéciles des enfants malheureux dans de noirs trous d'enfance.
Les gens disent sans aucune gêne qu'ils ont eu une enfance heureuse, alors qu'ils
en ont tout de même eu une malheureuse, d'où ils ne se sont échappés que par un effort
démesuré, et disent qu'ils ont eu une enfance heureuse pour la raison même qu'ils se sont
échappés de l'enfer de l'enfance.
C'être échapper de l'enfance ne signifie d'ailleurs rien d'autre que s'être échapper
de l'enfer.
Et alors, on dit qu'un tel ou un tel a eu une enfance heureuse et on épargne ainsi
ses géniteurs, les parents qui n'ont pas à être épargnés, a-t-il dit.
Dire qu'on a eu une enfance heureuse, épargnant ainsi ses parents, ce n'est tout de même
rien qu'une saloperie sociopolitique, a-t-il dit.
Nous épargnons nos parents au lieu de désaccuser toute notre vie du crime d'engendrement
d'êtres humains, a-t-il dit hier.
Pendant 35 ans, je suis restée enfermée par mes parents dans le trou de l'enfance,
a-t-il dit.
Pendant 35 ans, ils m'ont opprimée par tous les moyens dont ils l'ont disposé.
Ils m'ont torturée avec leur méthode épouvantable.
Je n'ai pas à avoir les moindres égards pour mes parents.
Ils ne méritent pas les moindres égards, a-t-il dit.
Ils ont commis deux crimes à mon endroit, deux crimes très graves, a-t-il dit.
Ils m'ont engendré et ils m'ont opprimé.
Ils m'ont engendré sans me consulter.
Et quand ils m'ont eu engendré et précipité dans le monde, ils m'ont opprimé.
Ils ont commis à mon endroit le crime d'engendrement et le crime d'oppression.
Et ils m'ont poussé dans le trou noir de l'enfance
avec la plus grande brutalité parentale possible.
Marie Despleuchins, de quel livre est extrait ce que vous venez de lire ?
C'est extrait de Maître Ancien de Thomas Bernhardt.
Et pourquoi vous avez choisi cet extrait-là et ce livre-là ?
Eh ben parce que j'ai relisé ce bouquin il n'y a pas longtemps, regardez, il est cornu.
Et parce que quand j'ai des moments de doute ou je suis un petit peu déprimée,
eh ben je vais chercher un des vieux de Thomas Bernhardt, plus ou moins bien traduit d'ailleurs.
Et ça me met en joie.
Il y a des gens qui disent que Thomas Bernhardt les déprime.
Je ne comprends pas pourquoi il les déprime.
C'est le type le plus revigorant que je connaisse.
Et personnellement, je ne suis pas d'accord avec l'histoire de l'enfance,
mais je trouve que la colère, la rage, c'est absolument sans limite.
Il devrait être donné sur ordonnance de Maître Ancien de Thomas Bernhardt.
Ça fait à peu près une heure que l'on parle ensemble de l'écriture.
On sait un petit peu d'où vient votre écriture.
Est-ce que vous savez où elle va ?
Vers l'oubli, comme la plupart de ce qui est écrit, je crois.
Si les gens lisent encore, ce qui n'est absolument pas sûr.
Parce qu'avec le changement...
Les changements anthropologiques qu'on est en train de vivre, non, je ne sais pas.
A pas besoin d'aller quelque part, on va ensemble, on chemine tout doucement vers la fin, les mois.
On pourra accompagner toute ma vie, c'est super.
C'est un très, très bon moyen de s'inscrire quelque part dans le monde, je suis vernie.
C'était La Source, une émission préparée par Fanny Le Roi,
réalisée par Anne Van Feld, à la technique Pierre-Henri.
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durée :00:56:38 - La source - Marie Desplechin nous ouvre sa cuisine. Une heure à savourer en sa compagnie le goût des mots et le goût des autres.