Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: Les histoires de Maître Mô. Episode 3

Europe 1 Europe 1 8/23/23 - 14m - PDF Transcript

Voici une histoire d'un vocin que je tire du livre de Maître Mo, publié aux éditions Les Arenes.

Maître Mo, c'était le pseudonyme de l'avocat Lilois, Jean-Yves Moyard, décédé il y a quelques temps.

Et Maître Mo tenait un blog, dans lequel il racontait des histoires qu'il avait vécues.

En voici une, une histoire d'inceste et de violence intra-familiale.

La réalisation est signée celles-ci.

Ça a commencé en début d'après-midi.

Un premier rappel téléphonique.

Et Laurence raccroche.

Au purau, personne ne doit savoir.

Il rappelle, peut-être 20 ou 30 fois, elle sent le vibreur dans sa poche.

Mais elle tient bon.

Elle fait semblant de bosser, malgré les douleurs ou ventres qui la reprennent.

Et puis arrivent des SMS.

Trois coups sur coups.

Tu réponds pas ?

Ok, je vous attend les trois.

On va discuter.

Tu as tort de pas me répondre ?

Je vais lui arracher son clito.

Je vais la massacrer.

Je vais la défigurer.

Quand elle lit ce dernier message,

Laurence sent la sueur qui lui nomme le dos.

Elle le connaît, Igor.

Elle ne le connaît que trop au bout de 20 ans.

Ça n'est pas une menace en l'air.

Il va s'en prendre à Nathalie, sa fille.

Car il vient d'apprendre qu'elle avait enfreint une heure règle.

D'après le bulletin de son lycée professionnelle,

Nathalie a séché les cours deux jours.

Et elle ne l'a pas informé.

Alors que bordel de merde,

il doit tout savoir.

On ne doit jamais lui mentir.

Salpute de Nathalie.

Et forcément,

elle a fait quelque chose d'interdit pendant ces deux jours.

Quoi ?

Quoi ?

Elle a flirté avec un mec ?

Avec plusieurs ?

Dis-moi ce que ta salpute de fille a fait.

Elle sait, Lawrence,

que comme tous les jours,

il les attend,

déjà armé de sa rallonge électrique pliée en deux pour les fouetter.

Mais aujourd'hui, c'est différent.

Elle le sent.

Elle le sait.

Et elle n'a toujours qu'un seul but.

Protéger ses filles.

Vaille, que vaille.

S'interposer entre elles et lui.

Elle sait aussi que ses filles vont bientôt sortir de cours.

Qu'elles vont sauter pour prendre des cours.

Qu'elles vont sauter pour prendre le bus.

Et qu'elles, Lawrence,

elles travaillent trop loin.

Elles ne pourraient pas y être à temps.

Elles ne peuvent pas les appeler non plus,

puisqu'elles sont en plein cours.

Elles ne décrocheront pas.

Reste un SMS.

Lawrence ne le rend en voie que très rarement,

parce que Igor ne travaille pas,

mais il est un formatition.

Il arrive à savoir d'après l'historique

les messages qui ont été envoyés et acquis.

Et s'ils ont été effacés, ils les retrouvent.

Mais là, là, c'est un cas d'urgence.

Lawrence ne veut pas que Nathalie rentre à la maison.

Alors elle envoie un message simultanément à ses deux filles.

Votre père est fou de rage.

Il sait pour l'absence de Nath.

Il veut lui faire du mal.

Il faut qu'on trouve une solution.

Rappelez-moi, maman,

il est là de temps.

16h10, 16h15, 16h20, 16h25,

toujours rien.

Et puis enfin son téléphone sonne, elle décroche sans regarder.

Allô ? Nath ?

Au bon sens, je crevais de trouille.

Et là, une voix calme,

froide lui coupe la parole.

Pourquoi tu crevais de trouille quand on se vache ?

Qu'est-ce qu'elle foutes, les filles ?

J'arrive pas à leur parler.

Aucune des deux décroche.

Elle le connaît.

Lawrence, ce ton là.

Elle sait ce que ça signifie.

Alors elle lui raccroche au nez comme ça.

Et à ce moment-là, son téléphone sonne à nouveau.

Et merci mon Dieu, ce sont bien ses filles.

Pas Nathalie, mais sa sœur, Stéphanie.

On était déjà dans le bus quand on a eu ton message, maman.

Alors on a décidé de descendre deux arrêts avant la maison.

Là on est sous la pluie, près de l'église.

Papa, essayez plein de fois de nous appeler.

On n'a pas répondu.

Et maintenant, qu'est-ce qu'on va faire ?

Il y a des instants où tout bascule.

Quelques secondes qui transforment votre vie.

Tout à coup brusquement,

vous savez ce que vous avez à faire.

Lawrence se surprend elle-même.

Écoute, Stéphanie.

Écoutez-moi toutes les deux.

On va au bout.

Voilà ce qu'on fait.

Je vais déposer plein, on va lécher les flics.

Et vite, parce qu'il doit vous chercher.

Maman ?

Mais il va te...

Non, c'est décidé, on n'a pas le choix.

Tu me dis que vous êtes à côté de l'église ?

Le poste de police est tout près de la mairie.

Vous allez à pied jusqu'à la mairie

et je vous retrouve sur la route.

On y va toutes les trois.

D'accord ?

Je vais tout raconter.

Ils seront obligés de réagir, ils vont l'arrêter.

Maman ?

Quoi ?

Tu vois une autre solution ?

Non.

C'est ce qu'on doit faire.

Tu as raison.

Mais...

On aurait dû...

Et là, à l'autre bout,

c'est Nathalie qui prend l'appareil.

Maman ?

Maman, ce que Stéphanie veut te dire,

c'est qu'il nous viole.

Tu comprends ?

Depuis des années,

depuis toute petite, il nous viole.

Tout le temps.

Lawrence est en état de choc.

Elle aurait pu.

Elle aurait dû voir.

Elle aurait dû entendre.

Quand Lawrence arrive devant le commissariat,

la nuit est tombée.

Et en reconnaissant la voiture de leur mère,

Nathalie et Stéphanie sortent de l'ombre.

Et Lawrence regarde ses filles.

Et elle leur murmure.

J'aurais dû le faire depuis longtemps.

Et elle ouvre grande la porte du commissariat.

Les voilà sur un banc.

Qui attendent.

Pourquoi vous ne m'avez pas...

On a essayé, maman.

Plusieurs fois.

Mais on ne pouvait pas le dire.

Il répétait que c'était un secret.

Que ça tuerait.

Que l'on nous placerait.

Moi, je pensais que tu ne croirais pas.

Quand l'on nous placerait.

On nous placerait.

Moi, je pensais que tu ne croirais pas.

Quand l'on était tellement sale.

Tu sais.

Parfois, je n'ai pas su comprendre.

Mais je vous aime.

Et je vous aimerais toujours.

Et là, Lawrence s'interrompt.

Nath.

Bruce commande envahie par cette espèce de...

peur glacé.

La grande porte du commissariat s'est à nouveau ouverte.

Un homme entre.

Il a le visage fermé et dur.

C'est Igor.

Il est là.

Il les a retrouvés.

Lawrence se lève.

Il est devant elle.

Et elle, elle est toute droite.

Toute blanche.

Monument de courage devant cet homme

qui les a tellement meurtris.

Et elle tend le bras bien droit.

Pomme à la verticale.

Stop Igor.

Stop, c'est fini.

Je sais tout.

Ils froncent les sourcils.

C'est la première fois qu'on tient tête au maître.

Et sa main

remonte malgré lui et malgré le lieu.

Et là,

une main ferme se pose sur son épaule.

Et il se retrouve face au policier du guichet.

Bonjour monsieur.

On se calme.

Vous êtes ?

Tout va bien.

Je suis le mari de madame.

Je m'inquiète pour elle et pour mes filles.

Vous n'êtes pas rentrées.

Parfait, parfait.

On va voir ça.

Madame, vous allez venir avec moi.

Et vous monsieur, vous allez vous asseoir.

Là-bas.

D'accord.

Mais je sais pas ce qu'elle veut vous dire.

Je peux lui parler avant peut-être.

Non, non, non.

Votre femme va d'abord me parler.

C'est la procédure.

Lawrence parle.

Mais probablement parce qu'elle est en pleine décompensation.

Par un de ses tours de passe-passe manteau

qui ne se maîtrise pas.

Oui, elle minimise.

Elle n'évoque pas les violences physiques les plus récentes.

Mais le policier n'est pas idiot ni débutant.

Alors il la laisse venir,

quitte à la bousculer au bon moment.

Pour que l'essentiel sorte.

Pourquoi venir dénoncer ses faits aujourd'hui, madame ?

Parce que personnellement,

j'aurais plutôt supporté.

Mais maintenant, il s'en prend mes filles.

Nathalie m'a parlé de se suicider il y a quelques jours.

Comment s'en prendre-t-il à vos filles ?

Ils les espionnent.

Ils regardent leur correspondance téléphonique.

Ils veulent qu'elle soit toujours joignable.

Mais enfin madame,

là vous dénoncez un père attentif.

Non.

En fait mon mari viole mes deux filles.

Je veux porter plate contre lui.

Igor a été placé en garde à vue.

Il a nier au début.

Et puis il a reconnu des rapports sexuels avec ses filles depuis leur 12 ans.

Mais consenti selon lui.

Il a été mis en examen pour atteindre sexuel et viole

sur mineurs de moins de 15 ans par ascendant

et placé en détention proviso.

L'instruction a duré une année.

On l'a énormément parlé d'emprise.

Cette notion de domination morale jusqu'à l'écrasement

qui broyait la famille et qui faisait de sa femme et de ses filles

des choses modellables à volonté en fonction de ses envies.

Elles ont fini par penser qu'elle souffrait suffisamment

pour aller voir un avocat et lui demander de les assister.

Et c'est là donc que j'ai fait leur connaissance.

Un an et demi après la plainte,

Igor a été reconnu coupable de l'ensemble des faits

qui lui étaient reprochés.

Et il a été condamné à 16 années de réclusion criminelle.

J'étais particulièrement heureux de cette condamnation-là.

Il a fait appel et sa peine est passée à 18 ans de réclusion.

Vous forcez mon admiration,

Laurence et les filles.

Vous êtes trois femmes exceptionnelles.

Vraiment, je vous souhaite une belle vie.

Everywhere I go,

you're blue.

So blue.

J'ai tiré cette histoire du livre de Maître Mo,

de Jean-Yves Moyard,

aux éditions Les Arènes.

Machine-generated transcript that may contain inaccuracies.

Maître Mô était le pseudonyme de l'avocat Lillois Jean-Yves Moyart décédé le 21 février 2021. Maître Mô tenait un blog dans lequel il racontait des histoires vécues au tribunal. Histoires tirées du livre « Le livre de maître Mô » de Jean-Yves Moyart (Editions Les Arènes).