La source: Le néo gramscisme
Radio France 10/14/23 - Episode Page - 47m - PDF Transcript
France Inter.
Citoyens et citoyennes.
Camarades.
Frontfagno.
Travailleuses.
Travailleurs.
Française.
Français.
Suivez-moi en quête de politique pour compléter notre collection de ismes
et tenter de mieux comprendre les idées et les mots de la politique,
leurs significations et leurs histoires.
Enquête de politique.
Thomas Legrand sur France Inter.
Et aujourd'hui, le néogrammechisme.
Les gémoniques, les vrais, l'idée dominante,
ce n'est pas que les financiers sont les responsables de la crise.
Par toutes sortes de moyens.
Donc, quand on réussit à imposer l'idée que c'étaient les immigrés,
que c'étaient les mœurs, que c'était la nature du mariage,
qui posait problème dans ce film.
Je suis en train aujourd'hui de suivre les recommandations d'un certain Gramsci.
Gramsci sans la lutte des classes.
Gramsci sans l'idéologie de la gauche.
Mais Gramsci pour la méthode de conquête du pouvoir.
Le Gramsciisme, vous avez sans doute,
si vous vous intéressez au débat politique, remarquez ces dernières années
la constante référence à Antonio Gramsci,
journaliste, philosophe, marxiste italien au début du XXe siècle,
le concept Gramscien d'hégémonie culturelle,
et notamment utilisé dans le débat politique
et surutilisé par la droite intellectuelle.
C'est l'idée selon laquelle, avant de conquérir les manettes du pouvoir,
il faut imposer ses codes culturels et ses évidences.
Donc mener la bataille culturelle tous les jours
et sur tous les fronts, le terme de bataille culturelle
ou de guerre culturelle a été théorisé par le sociologue américain
James Davidson Hunter en 1991,
qui annonçait la polarisation des débats telles que nous la vivons aujourd'hui
des deux côtés de l'Atlantique.
Gramsci, Hunter, il n'est plus question de convaincre
mais d'imposer son récit, ses codes, sa vision du monde
et finalement rendre ses options politiques évidentes.
C'est ainsi qu'on a pris l'habitude de dire ces derniers temps
que la droite et l'extrême droite étaient en train d'imposer
une forme d'hégémonie culturelle.
En réalité, la pensée, la théorie dite Gramscienne
est beaucoup plus subtile et dans le débat public
le terme Gramscien est utilisé de façon abusive.
Mais le mot s'est installé, Antonio Gramsci avait constaté
que la révolution était improbable dans nos sociétés occidentales
parce que la bourgeoisie capitaliste aidée par l'église
avait su imposer à la classe ouvrière son sens commun
et ainsi assis son système de domination.
Il professait que pour émanciper la classe ouvrière
eh bien il fallait que les intellectuels alliés à la cause
jouent leur rôle établis par leur travail artistique, journalistique
d'autres codes, d'autres façons d'envisager le monde.
Gramsci avait inventé le terme de partie médiatique
prophétant l'idée que la bourgeoisie avait la main complète sur les médias.
La pensée Gramscienne est donc très datée, parle d'une société
dont la structure et les niveaux d'instruction
et d'information de la population étaient bien différentes.
Les universitaires spécialistes d'Antonio Gramsci
sont en général assez circonspets sur l'utilisation du terme Gramscien
dans le débat public d'aujourd'hui.
Mais il y a, à droite, parmi les intellectuels et les journalistes
de cette presse florissante, notamment sous le haut patronage
de Vincent Bolloré, une fascination pour la mécanique Gramscienne.
Il considère que la gauche domine le débat intellectuel
et a imposé ses codes son esthétique au moins depuis 68
et qu'il est temps d'inverser la tendance.
Qu'en est-il en réalité ? C'est ce que nous allons tenter d'établir aujourd'hui.
La société se droitiste-elle vraiment ?
Comme le dit la politologue Frédéric Mattonti
dans son livre au titre provocateur Comment sommes-nous devenus réactes
publiés en 2021 chez Fayard ?
Nous la retrouverons au cours de l'émission.
Et d'ailleurs, comment établir que les valeurs traditionnellement attribuées
à la gauche ou à la droite, au camp dit du progrès
ou à celui des conservateurs, voire des réactionnaires,
on le vend en poupe.
Nous sommes souvent victimes d'illusions d'optiques
dans ce domaine tant les critères eux-mêmes
qui nous font juger du niveau du racisme, de l'homophobie
ou même du progrès social évolu.
La société d'aujourd'hui est-elle progressiste, conservatrice ?
Y a-t-il des périodes conservatrice ou progressiste ?
Nous allons nous poser d'abord ces questions
avec Vincent Tiberi, chercheur au centre Emile Durkheim
de Sciences Po à Bordeaux.
Vincent Tiberi s'affiche sur le site de Sciences Po Dissoci,
spécialiste dans l'analyse des comportements
électoraux et politiques de la psychologie politique.
Ces travaux portent sur les modes de raisonnement
des citoyens sur le long terme.
Vincent Tiberi, j'aimerais bien savoir
si nous sommes dans une période progressiste
ou si nous sommes dans une période conservatrice de repli.
On a l'impression à regarder nos résultats électoraux en France
et en Europe que nous vivons une grande période
de repli identitaire, de droitisation, d'illibéralisme.
C'est pas si simple, Vincent Tiberi,
vos outils pour observer l'opinion montrent que ce n'est pas si simple.
Oui, tout à fait. Alors naturellement, c'est toujours compliqué
parce que ça va à Bordeaux un certain nombre, effectivement,
de perception. C'est pas si simple
et surtout dès lors qu'on commence à regarder dans le temps long
et surtout dès lors qu'on commence à analyser
en utilisant non pas une enquête sortie de son contexte,
mais des séries d'enquête et des séries d'enquête
qui nous permettent parfois de remonter jusqu'aux années 80,
voire même jusqu'aux années 70,
et on constate que les choses sont plus compliquées.
Notamment quand on regarde justement ces questions
des relations entre les hommes et les femmes,
c'est la question de la liberté individuelle,
notamment sa liberté de vivre, sa sexualité comme on l'entend
et voire même sur les questions de peine de mort, typiquement,
mais on se rend compte que progressivement,
depuis les années 70, on va vers une lente progression,
vers plus de tolérance, plus d'acceptation.
Au début des années 80,
on faisait à peine un quart d'air répondant
qui considérait que l'homosexualité était normale.
Désormais, on est à 90% de gens qui vous disent
que l'homosexualité est une manière tout à fait acceptable
de vivre sa vie.
Et puis dans le fond, on ne vous regarde plus
comme le dire.
Simplement, bon, si j'avais un fils de 16 ans,
je vous l'enverrai peut-être pas ce soir.
– À vous auriez tort ?
– Dialogue édifiant entre Philippe Bouvard
et le critique littéraire Jean-Louis Baurie en 1973.
– Vous auriez tort ? Parce que non, non,
c'est pas du tout pour cette question, naturellement,
de rapport possible, mais parce que je crois
que je pourrais, j'étais très longtemps professeur.
– Oui, c'est bien pour ça.
– Tu n'as jamais eu d'histoire.
– Oui, mais parce que si vous continuez
à donner des leçons particulières,
j'aurais peut-être un peu...
– Non, non.
– Et vous ne faites pas de prosélytisme.
– Jamais, j'ai horreur de ça.
Je trouve ça ridicule et déplacé.
Ni provocation ni prosélytisme,
simplement la sérénité de l'existence.
Simplement, ce qui m'intéresse,
c'est que je sois accepté
par les gens que j'estime et que j'aime.
Alors si c'est cela, peuvent me serrer la main,
s'enrougir, j'estime que moi, j'ai gagné.
Parce que j'appartiens à un milieu
qui est celui-là, qui est sublimement pourri.
J'appartiens à une société
qui est la classe bourgeoise,
qui m'attend à tellement vue qu'elle permet tout.
Mais je pense à tous ceux
qui, parce qu'ils ne vinent pas
à un milieu parisien.
Eh bien, il y a des tas de gens
qui en crèvent,
qui en crèvent parce qu'ils auront,
qui en crèvent parce qu'ils sont simplement
point sonnerre, parce qu'ils sont...
– Il y a beaucoup de point sonnerre
qui s'appelle Denise.
– Eh bien sûr, pourquoi pas.
– Il est très rare quand même
qu'il y a un monsieur avec une casquette
qui fait des petites roues.
Je jouais les folles sur un quai de métro.
– Pourquoi pas du tout ?
– Alors sur ces sujets-là, Vincent Tibéry,
c'est vrai qu'on peut le concevoir.
C'est assez facile de démonter
les arguments de ceux qui disent
qu'on recule sur cette question-là,
mais sur le racisme, par exemple,
et la tolérance envers les autres cultures.
Est-ce que c'est vrai aussi ?
– C'est vrai, et en même temps,
il faut bien avoir en tête
la différence de ce que je racontais
sur le libéralisme culturel.
Le racisme, enfin l'évolution du racisme,
est tendentiellement, sur le temps long,
vers plus de tolérance.
Mais ça ne veut pas dire que c'est toujours aussi simple.
Il y a effectivement des moments de recul.
Mais typiquement, quand on prend, par exemple,
au sortir de la Seconde Guerre mondiale,
l'IFOP avait fait un sondage
qui demandait si les Français juifs
étaient des Français comme les autres,
et vous avez plus des deux tiers
des gens qui répondaient non.
Aujourd'hui, cette question la pose régulièrement
dans le baromètre
de la Commission nationale consultative
des droits de l'homme,
et on est à plus de 90% de gens
qui sont d'accord avec cette idée
que les Français juifs
sont des Français comme les autres.
Donc on a quand même
considérablement progressé.
Mais on se rend compte que la tolérance
progresse également
sur notamment les Noirs,
sur les Maghrébins,
sur l'immigration générale.
En gros, aujourd'hui,
on est beaucoup plus souvent
dans cette idée
que l'immigration est une source
d'engagement culturel,
que les immigrés doivent être considérés
comme contribuants
de l'économie française.
On est aujourd'hui vers plus de tolérance
qu'il n'y avait au début
de ce baromètre
de la Commission nationale consultative
des droits de l'homme
qui avait commencé en 90.
Alors on n'a pas cette impression-là
quand on regarde
les instruments de mesures classiques
qui mesurent plutôt la popularité
des hommes et des femmes politiques.
Et on voit que les hommes
et les femmes politiques
d'extrême droite sont populaires.
Leurs résultats électoraux
aussi sont bons.
Est-ce que c'est un effet d'optique ?
Vous avez un instrument
qui s'appelle l'indice longitudinale
de tolérance,
qui explique ce paradoxe
et qui dévoile des résultats
étonnants.
Alors cet instrument,
c'est aussi un instrument
qui a été construit
à partir d'une méthode
développée par mon collègue
américain James Timson,
notamment pour les évolutions
de l'opinion publique américaine.
Il est fondé sur le baromètre
de la Commission nationale consultative
des droits de l'homme,
qui est un baromètre public
fait en face à face
de la même façon depuis 1990.
Et plutôt que de prendre
une question au hasard,
en fait,
on additionne l'ensemble
des questions tendances
de ce baromètre.
Et donc on peut constater
à quel moment la tolérance
progresse, à quel moment
elle regresse.
Et on se rend compte, par exemple,
qu'il y a eu des moments
de crise particulièrement fort
qui ont abouti
à une régression de la tolérance.
Ça a été notamment le cas,
par exemple,
pour les émeutes de 2005
qui ont abouti à une baisse.
Ça a été aussi le cas
dans les années 2009-2014,
parce que le discours de la droite
c'était dur si
sur les questions d'identité,
notamment en tour du discours
de Grenoble,
de Nicolas Sarkozy,
du petit pain au chocolat,
Jean-François Copé, etc.
Mais également
autour des mobilisations
des catholiques
autour du mariage pour tous
et puis le retour
de la gauche au pouvoir.
Bref, un ensemble de phénomènes
qui aboutissaient
à un recul de la tolérance.
Et puis parfois,
on a des remontées.
Et des séremontées,
elles s'expliquent notamment
parce que collectivement,
on réagit différemment
à certains enjeux.
C'est assez frappant,
mais au moment des attentats
de 2015-2016,
on aurait pu s'attendre
à un surcroît d'intolérance,
une remontée de racisme,
de xénophobie.
Ça s'était d'ailleurs
produit aux États-Unis
en 2001.
Mais dans le cas français,
ça a été l'inverse.
On a vu au fait,
au contraire,
une remontée de la tolérance
à l'endroit des immigrés,
des musulmans,
des maghrébins.
Et c'est probablement
parce que derrière,
collectivement,
on réussissait
à avoir un discours
qui permettait de distinguer
entre les djihadistes,
entre ceux qui ont commis
les attentats
et le reste
de la diversité française.
Et en cela, c'est une
nouvelle,
parce que ça montre, effectivement,
que collectivement,
on peut avoir des récits
qui permettent, justement,
d'aller vers plus de tolérance.
Quand on parle de la tolérance,
par exemple,
envers l'homosexualité
ou envers l'étranger,
finalement,
c'est une notion
qui évolue beaucoup
dans le temps.
Par exemple,
nos grands-parents
n'auraient certainement pas
accepté que leurs enfants,
leur annonce,
qu'ils soient homosexuels.
On ne les aurait pas qualifiés
pour autant à l'époque,
puisque c'était le sens commun,
d'homophobes.
Ils n'auraient pas aimé
que leurs fils ou leurs filles
épousent quelqu'un
d'une autre religion
ou d'une autre couleur.
Ils n'auraient pas été racistes
pour autant,
pas qualifiés comme tels.
Donc, comment vous faites
pour évaluer
l'évolution du racisme
ou de la tolérance,
alors que les termomètres
eux-mêmes changent ?
Alors, c'est une superbe question.
Merci.
Non, mais c'est vrai.
Il faut quand même
bien se souvenir d'où on vient.
Les années 40, 50
ont été à la fois
découvertes de la Shoah.
Et dans le même temps,
il ne faut pas oublier
qu'en fait, les questions,
notamment de race
et de racisme biologique
étaient dans la tête
de beaucoup de gens,
y compris dans la tête d'élite.
Je cite régulièrement
cet exemple de collègues,
Jean-Pierre Thomas
et Guy Michelac,
qui avaient fait passer
en 62 un questionnaire
auprès des étudiants
de Sciences Po.
Ils posaient notamment
des questions autour des races.
Est-ce que la race jaune
est supérieure à la race blanche,
égal à la race blanche,
inférieure à la race blanche ?
C'est assez frappant
quand on regarde à l'époque,
ces questions
n'ont suscité aucun commentaire
de la part des étudiants
et même de la part
de la communauté scientifique
à l'époque.
Aujourd'hui, je passerai
ce questionnaire
à mes étudiants,
vraisemblablement
que je serai convoqué,
voire pire.
Oui, alors comment on fait ?
Comment on fait ?
Parce que la sociologie
est une science molle,
comme on dit,
et donc les instruments
de mesure évoluent
en même temps que l'opinion.
Comment on fait
pour vraiment comparer
l'état d'ouverture
d'une société ?
Il faut toujours
recontextualiser en réalité.
Il faut recontextualiser,
il faut prendre des questions
avec différentes dimensions.
Et typiquement,
voilà, c'est quelque chose
qui moi m'intéresse
énormément,
cette question
du racisme biologique
qui est aujourd'hui
considérée comme effectivement
nul et non-avenue.
D'ailleurs, Pierre-André Taguiève
a devait démontrer
que le racisme
dans les années 80
était en train d'évoluer
d'un racisme biologique
vers un racisme culturel
beaucoup plus acceptable.
Donc les préjugés se transforment.
Mais typiquement,
dans le baromètre CNCDH,
on a une question
sur cette dimension
du racisme biologique.
On demande aux gens,
il y a trois opinions
de laquelle vous sentez le plus proche.
Les races humaines,
ça n'existe pas.
Toutes les races humaines se vanent.
Il y a des races supérieures
à d'autres.
Et ce qui est frappant,
c'est que
il y a des races supérieures
à d'autres.
C'est quelque chose
qu'on retrouvait
au début des années 2000,
notamment dans les générations
né avant la Seconde Guerre mondiale
ou les générations
du baby boom.
Ça pouvait
aller jusqu'à 25%,
sur certaines années,
25% des réponses.
Le vrai truc frappant,
c'est que progressivement,
ces opinions
ont diminué
y compris
dans ces générations anciennes.
Progressivement,
la réponse
qui est devenue
la réponse majoritaire,
c'est toutes les races humaines se valent.
Et aujourd'hui,
avec l'arrivée
des post-baby boomers
dès dans les années 70-80,
et surtout des millennials
dès dans les années 80-90,
la réponse majoritaire,
c'est désormais
les races humaines,
ça n'existe pas.
Donc on voit
comment progressivement,
avec le renouvellement générationnel,
les choses évoluent,
les préjugés disparaissent
ou se transforment,
on constate
quand même,
y compris dans les anciennes générations,
que progressivement,
ces anciennes générations changent,
elles sont moins
intolérantes,
moins racistes,
aujourd'hui,
qu'elles ne l'étaient
il y a une vingtaine d'années.
C'est une bonne nouvelle.
Oui, c'est une bonne nouvelle,
mais on parle
du racisme
ou de l'homophobie,
vous dites que ça va mieux,
que les gens sont plus tolérants,
que la population
est plus ouverte.
Mais est-ce qu'il fait
meilleur vivre
quand on est homosexuel
ou quand on est
maghrébin,
en France, aujourd'hui,
qu'il y a 5 ans,
qu'il y a 10 ans,
qu'il y a 20 ans,
et finalement,
tout est une question relative.
Clairement,
pour répondre à votre question,
il y a 20 ans,
c'était largement pire,
et c'était encore pire avant.
On oublie,
on oublie par exemple
qu'il y avait des ratonades,
qu'il y avait des...
des ratonades,
on oublie que les agressions
homophobes
existaient,
étaient probablement
beaucoup plus violentes.
On n'en parlait pas.
On n'en parlait pas,
c'était même quelque chose
d'acceptable quelque part.
C'est toute cette culture
homophobe
qu'on retrouvait
dans les années 80, 90.
En gros, on allait
casser de la pédale.
Il reste des agressions,
il reste de la violence
au sein de la société.
Simplement,
cette violence
ne doit pas être pris
comme représentative
de ces évolutions
dans le temps.
Les préjugés
ne disparaissent pas.
Simplement,
ils ont perdu
leur prémanence.
Ils le restent
présents
dans une minorité
des individus.
Et quelque part,
dans cette minorité,
certains passent à l'acte.
Heureusement,
que tous ne passent pas à l'acte,
sinon dans la société française,
on serait dans une situation
extrêmement tendue.
En quête de politique
cette semaine,
le néogramchisme
qui, des progressistes
ou des conservateurs
de la gauche
ou de la droite voire
de l'extrême droite
imposent ces thèmes au débat
et son hégémonie culturelle.
C'est notre sujet
cette semaine.
Juste après l'archive
qui suit,
nous allons à la rencontre
de Frédéric Matanti,
agrégé de philosophie
et de science politique,
plutôt classé à gauche,
autrice.
De comment sommes-nous
devenus réacs chez Fayard ?
Mais d'abord,
Alain Benoît,
journaliste et philosophe
théoricien
de la Nouvelle-Droite,
invité d'Apostrof
sur Antaine II
en 1979.
Vous savez,
toutes les théories
de l'italien Antonio Gramsci,
la façon dont il a mis l'accent
sur l'importance
de l'influence culturelle
dans nos sociétés,
et Marc Gramsci a été bien
Antonio Marxiste,
mais ce qu'il disait
du point de vue méthodologique,
je crois,
peut concerner
toute famille de pensées.
Oui, ça paraît bizarre
que Gramsci
soit au premier rayon
de votre bibliothèque.
Écoutez, je crois
d'abord...
D'abord, je veux dire,
je n'ai jamais été morasi,
non, non, mais...
France Inter,
Enquête de politique,
Thomas Legrand.
Frédéric Matonti,
est-ce qu'on est vraiment devenu
réact, c'est le titre
provocateur de votre livre ?
Je crois qu'effectivement,
du point de vue de
légémonie culturelle,
la tendance est plutôt
à la réaction,
et je dirais,
le livre est sorti
à maintenant 2 ans,
que c'est encore
plus vrai,
que ça ne l'était à l'époque.
Est-ce qu'on peut
identifier, disons,
depuis peut-être
la seconde guerre mondiale,
des périodes
où la légémonie culturelle
est plutôt à droite
ou elle est plutôt à gauche ?
Alors, il est très clair
que quand on sort
de la guerre,
on est plutôt
dans une période
très progressiste,
c'est-à-dire que
la collaboration
est arrivée,
c'est plus possible
d'accéder au pouvoir
d'avoir des responsabilités
si on n'a pas été résistant
ou en tout cas si.
On a été compromis
dans le régime précédent.
Donc, l'extrême droite
est une grande partie
et totalement dévaluée,
ne peut plus accès,
enfin, être dévaluée,
parfois exilée.
Bon, il y a
des séries de gens
qui se reconvertissent,
par exemple dans la littérature,
un des lieux
où l'extrême droite
s'exprime.
C'est dans la littérature,
par exemple,
ce genre de choses,
mais elle n'a plus accès
du tout à l'espace public.
Ça n'est plus discible.
Mais ça,
ce sont les responsables,
mais la société elle-même.
La société elle-même,
elle est prise,
elle aussi,
dans une logique
d'égalité,
de reconstruction.
Bon, c'est pas pour rien
que, du point de vue des votes,
c'est une période,
au moins jusqu'en 1947.
Et en fait, jusqu'en 1956,
les votes sont majoritairement
des votes de gauche.
Le premier parti,
c'est le Parti communiste,
très en tête,
qui atteint jusqu'à 25% des voix.
Donc, c'est vraiment
du point de vue des opinions.
C'est vraiment des opinions
progressistes
qui s'expriment.
Bon, après,
il y a sans doute
un autre moment
de très, très important.
C'est évidemment tout ce qui se passe
autour des années 60
et de mai 68.
Mais là,
il faudrait aussi réfléchir
en termes de générations,
parce que c'est pas forcément
les mêmes personnes
qui se retrouvent
du côté de ce qu'on peut appeler
en général,
le progressisme.
Alors, c'est pas facile,
comme terme,
mais du côté,
en général,
de l'idée
qu'il faut avoir
une très grande liberté
des meurs,
qu'il faut lutter
contre les inégalités,
etc.
Et puis, je dirais,
ce train de là
va à peu près,
jusqu'au milieu des années 80.
Mais Frédéric,
restons un petit peu
sur ce train de là,
parce que vous parlez
de mai 68,
mais il y a juin 68,
enfin, il y a le 30 mai 68.
Et on s'aperçoit
cet intéressant,
cette période,
enfin,
début des années 70,
parce que là,
le pouvoir est de droite,
mais la société
progresse.
C'est un exemple type
de la décorrelation
entre le progressisme
de la société
et le conservatisme
du pouvoir,
le conservatisme
apparent du pouvoir.
Alors,
plus qu'apparent,
quand même,
enfin, je veux dire,
les choses se débloquent
un petit peu quand arrive
Valérie Giscard d'Estaing,
qui reprend,
il arrive en 74,
qui reprend
un certain nombre
de thématiques,
qui étaient des thématiques.
On dirait aujourd'hui
le terme étafreux sociétal,
on va dire de société
à commencer,
par exemple,
le droit de vote
pour les jeunes,
ou le droit de vote
à 18 ans,
pour ce genre de choses.
Mais globalement,
effectivement,
il y a un écart
entre le fait que c'est
la droite gaulliste,
puis pompidolienne,
qui est au pouvoir,
et la réalité
de ce qu'on...
de ce qu'on...
La libération sexuelle.
L'idée aussi
qu'il doit y avoir
une égalité
entre les hommes et les femmes.
Donc,
on sait aussi une période
où on se préoccupe
beaucoup du sort
des émigrés,
des bidons-villes.
Donc,
il y a toute une partie
de l'opinion
qui est très, très clairement
progressiste,
pour, je dirais,
l'ouverture des droits,
plus de liberté,
etc.
Et la traduction
politique de ça,
même s'il y a évidemment
un décalage
entre ce qu'est le monde,
des groupes
plus que des gauchistes.
Oui.
Non mais,
entre-temps,
il y a un événement
très important
qui est le programme commun.
C'est-à-dire que c'est quand même
le texte
qui fait à peu près
300 ou 350 pages,
qui constitue
une espèce de Bible
de la gauche.
Au moins,
alors, jusqu'à l'établance
du programme commun,
c'est-à-dire 78,
mais en réalité,
un peu au-delà,
et qui concerne
toutes les thématiques
aussi bien économiques
que de société
à cette époque
et d'une manière
extraordinairement détaillée,
fouillée.
Quand on lit
le programme commun,
on est stupéfait
de la précision
avec laquelle
ce programme a été écrit.
Et donc,
la société
précède
le politique.
Alors,
en l'occurrence,
là,
la société
précède le politique
ou la culture
a précédé la politique,
mais quand on regarde
un peu comment se passent
les choses,
vers la fin des années 70,
arrive ce mouvement
qu'on a appelé
ensuite la Nouvelle droite,
et qui commence à théoriser
que précisément,
la gauche
est totalement hegemonique
et que,
si l'on veut,
un jour,
quand on est de droite,
revenir au pouvoir,
il faut préparer
une contre-offensive.
Et donc,
c'est tous ces mouvements
qui sont donc la Nouvelle droite,
le Club de l'Orloge,
qui ont des ramifications
dans le Figaro Magazine
et dans ce genre de choses,
et qui préparent
cette contre-offensive
qui a mis
un certain temps à arriver,
mais dans laquelle
nous sommes,
aujourd'hui,
je dirais, pleinement.
Je voudrais vous faire
aussi une réaction
de Jean-Luc Mélenchon,
c'était à l'issue
des Européennes
en 2014.
La France
est entrée
en éruption
dans les urnes.
Les hegemonies culturelles,
l'idée dominante,
ce n'est pas que
les financiers
sont les responsables
de la crise.
Par toutes sortes
de moyens,
donc,
quand on réussit
à imposer l'idée
que c'étaient les immigrés,
que c'étaient les mercs,
que c'était la nature
du mariage
qui posait problème
dans ce pays.
Jean-Luc Mélenchon
parle des hegemonies
culturelles
et il a
un discours
grand chien.
Oui.
Non, non, mais je dirais,
il pose un diagnostic
à chaud
après une élection
relativement calamiteuse
pour les parties de gauche.
Oui.
Enfin, je veux dire,
c'est plutôt
un bon diagnosticeur.
Après, on peut
ne pas être d'accord
sur le nombre de ces positions,
notamment
en matière
de politique étrangère,
mais sur le diagnostic
qu'il peut faire
sur la société française
en termes d'inégalité,
par exemple,
qui est quand même
le sujet
sur lequel on devrait
tous être focalisés.
C'est-à-dire,
si la gauche avait
un petit peu
de sens
des responsabilités,
il devrait être aujourd'hui
focalisé sur deux sujets,
les inégalités
quels qu'elles soient,
c'est-à-dire les inégalités
économiques,
les inégalités sociales,
les inégalités,
enfin, toutes les luttes
contre les discriminations
et l'urgence écologique.
Que vous inspirez
Frédéric Matontil
l'épisode Médine
chez les écologistes
dans cette idée
justement
de guerre culturelle
ou en tout cas
d'hégémonie culturelle
qu'il faut
reconquérir
pour la gauche.
J'avoue que ça m'a stupéfaite
parce que
je vois pas l'intérêt
d'inviter
un rappeur
pas tellement bon
en plus,
dont on sait
qu'il a des positions
extrêmement sulfureuses,
alors il a vaguement fait
amende honorable, etc.
Et ça ouvre,
quand les verres
font ça,
ça ouvre
un espace de polimique
parfaitement inutile
qui les empêche
d'avancer
sur des choses
où c'est leur fonds
de compétences,
c'est-à-dire justement
précisément
les questions écologiques.
Alors,
dans le même esprit,
c'est pas le même esprit
politique,
mais vous allez voir,
c'est la même formulation
de l'hégémonie culturelle.
Je voudrais vous faire écouter
maintenant
Marion Maréchal Le Pen,
c'était lors
d'une conférence
en Italie
en 2018.
Ce qui est très amusant,
c'est que
je suis aujourd'hui
présente
à votre conférence
du fait
d'un penseur italien
qui va vous surprendre.
En réalité,
je suis en train aujourd'hui
de suivre
les recommandations
d'un certain Gramsci.
Alors,
pas l'idéo de Gramsci,
Gramsci sans la lutte des classes,
Gramsci sans l'idéologie
de la gauche,
mais Gramsci
pour la méthode
de conquête du pouvoir.
Gramsci a conceptualisé
l'idée
qu'avant d'espérer vaincre
sur le plan politique
et sur le plan politique
et sur le plan politique,
il y a eu un plan
d'envers,
il y a eu un plan
d'envers,
il y a eu un plan
d'envers et sur le plan politique
et sur le plan électoral.
Il fallait d'abord vaincre
sur le plan culturel.
Et c'est précisément
l'objet
de l'école
que je suis
de m'entrain de monter
c'est-à-dire
apporter
une réponse culturel
par
des conservateurs,
non pas
pour un parti politique
non pas
pour des raisons
électorales
mais engens
pour la société
toute entière
et surtout
sur le temps long.
embarrassed
il y a une égémonie intellectuelle de la gauche sur tous les grands leviers de pensée,
c'est-à-dire la culture, l'éducation nationale et les médias.
– Comment vous réagissez ? Est-ce que c'est toujours vrai qu'il y ait une égémonie
de la gauche ?
– Alors c'est totalement faux, bien entendu, parce que… enfin, ce qui est juste, c'est
ce qu'elle dit de ce quoi à quoi peut servir Gramsci.
Évidemment, le pauvre homme se retournerait dans sa tombe de l'entente d'utiliser,
mais encore une fois, ça n'est pas la première fois que l'extrême droite se sert de Gramsci
pour dire cette chose, il faut d'abord conquérir les esprits.
Ce qu'elle dit est évidemment faux dans la mesure où depuis maintenant 15 ans et
depuis l'arrivée de Berlusconi en Italie, en réalité, c'est l'égemonie politique
et culturelle et de droite.
Donc, et c'est pour ça qu'on arrive d'ailleurs avec Georgia Meloni.
C'est pas un hasard que cette femme qui est issue de l'extrême droite la plus dure
se retrouve aujourd'hui en position de Premier ministre.
Il y a une chose quand même dans tout ce qu'on raconte et qu'on oublie, c'est-à-dire
que quand Gramsci écrit, on n'est pas du tout dans le monde tel qu'il est aujourd'hui,
c'est-à-dire un monde médiatique dans lequel on a les réseaux sociaux, les chaînes YouTube
et également des empires comme Bolloré.
Il parle des élites et des intellectuels.
Bien sûr, il parle des élites et des intellectuels.
On est aujourd'hui dans un monde où encore une fois, il y a une domination médiatique
de médias de plus.
On voit bien comment se construit la domination d'un homme comme Bolloré et comment elle
est progressive, comment elle est en train de s'étendre, non seulement au télévision,
à l'édition, mais on l'a vu puisque récemment, début du mois de septembre, Libération a
publié un article qui montre que Bolloré, alors en dehors de toutes ces conquêtes,
dont le journal du dimanche, bien entendu, ce qui est extrêmement important, a mis des
billes, c'est-à-dire des fonds, dans une boîte de communication dont l'objectif
est évidemment de faire triompher de plus en plus l'idéologie d'extrême droite qui
est anti-VG, anti-VG via les réseaux sociaux, via le placement de personnes dans les émissions
de télévision, etc., etc.
Alors ils sont anti-VG, on a vu d'ailleurs fleurir cet été des petits papillons anti-VG
un petit peu partout sur les vélos à Paris ou dans d'autres villes de France, voilà,
c'est ce genre de choses qu'il ne faut pas oublier par rapport à la période Gramchier.
On est dans une logique très différente.
En plus, là, nous, on est en train de parler de médias qu'on consulte, qu'on lit, qu'on
entend.
Il ne faut pas oublier que dans la diffusion de cette hégémonie réactionnaire, il y a
toute une nébuleuse qui passe par des comptes YouTube, qui peuvent être des comptes conspirateurs,
conspirationnistes, des fermes à trolls, etc., etc., russes ou pas comme ça.
Alors justement, est-ce que Frédéric Matentier, on ne passe pas d'une société que Gramchier
avait bien décrite ou l'hégémonie culturelle, il faut la conquérir avant de pouvoir espérer
avoir le pouvoir à une société polarisée ? Et là, c'est plutôt la guerre culturelle
terrorisée par James Davidson Hunter, qui fait évoluer, disons, la pensée Gramchienne
en disant que finalement, les sociétés sont polarisées.
Chacun se cantonne dans son camp, se cantonne et se radicalise dans son camp.
On connaît le rôle des algorithmes qui nous laissent dans nos couloirs de pensée et qui
nous isolent.
Est-ce qu'il n'y a pas là une société assez progressiste, une société assez réactionnaire
qui se renforce chacune d'entre elles et qui se croise de moins en moins et antagonise
et antagonise l'ensemble de la société ?
Alors je crois quand même qu'on raconte toujours qu'on est dans des guerres culturelles
et qu'effectivement, il y a des promoteurs de guerre culturelle.
Ça fait partie là aussi de la logique réactionnaire.
On voit bien comment côté Trump et côté conservateur néoconservateur étasunien avoir
lancé les guerres culturelles, c'est une manière de s'enraciner dans le pays.
Quand on a des offensives qui sont lancées par exemple contre Disney, ce qui peut nous
paraître surréaliste ou contre Barbie.
La guerre contre le wokisme.
Oui, la guerre contre le wokisme qui a remplacé la guerre contre le politiquement correct
ou qui a remplacé la guerre contre le communisme.
Bon, les guerres culturelles, c'est précisément une invention des néoconservateurs.
Alors que la droite tombe, la droite et l'extrême droite tombent là-dedans, ça me paraît
relativement logique.
Mais qu'en revanche, parfois, à la gauche ne sache pas comment se positionner vis-à-vis
de ce genre de sujet et puisse tenir des discours parfois sur « oui, quand même,
c'est vrai, les wok, c'est un petit peu dangereux ».
C'est la question de l'universalisme.
Oui, mais pendant qu'on agite ce genre d'épouvantail, on ne parle pas des vrais sujets, les inégalités
au sens très large ou la pauvreté.
On voit bien comment la pauvreté est enfin revenu au premier rang des préoccupations.
Enfin, il a fallu que se passe une catastrophe avec les restos du cœur.
En quête de politique cette semaine, nous nous demandons si la société française devient
vraiment réac ou alors si elle est toujours progressiste.
Et d'ailleurs, comment en juger tant les critères changent au fil du temps ?
En quête de politique réalisée par Christophe Imbert, les archives sonores sont dénichées
par notre recherchiste, Franck Collivard, et à la technique cette semaine, Rémy Cistillaga,
vous pouvez retrouver cet épisode en podcast sur le site de Radio France et vous pouvez
aussi nous y laisser un message sur la page de l'émission, par exemple, pour nous proposer
un hystme à explorer.
Vincent Tiberi, vous nous dites que la société s'ouvre, que vos mesures avec l'indice
longitudinale de tolérance montrent que depuis les années 90, on est plus tolérants et vous
dites, vous écrivez dire que, je vous cite, dire que les Français se sont droitisés est
une phrase ambiguë, elle peut être le constat d'un mouvement vers du conservatisme, mais
aussi une affirmation que certains acteurs espèrent autoréalisatrices, ou même une
justification pour un candidat ou un parti afin d'expliquer leurs évolutions programmatiques.
Vous confirmez vous dire, je confirme mais dire, par exemple, sur la question de la
droitisation, on parle de droitisation aussi au niveau socio-économique, cette idée
que, bon, ce modo, les Français seraient devenus des libéraux économiques qu'ils
auraient parfaitement accepté le marché, or, ce qu'on constate, c'est que, justement,
sur le même type de mesure que l'indice longitudinale de tolérance avec mon collègue
James Timson, on avait réussi à faire un indice longitudinale de préférence socio-économique,
on regardait justement les préférences pour la redistribution, les préférences en
gros pour un peu plus d'égalité, un peu plus d'égalité des revenus, un peu plus de
redistribution, ou un peu plus de libéralisme économique, et ce qu'on constate, notamment
par exemple au moment où François Hollande arrive au pouvoir, il est notamment porté
par une demande de redistribution extrêmement forte qui revenait à des niveaux qu'on
n'avait pas connus depuis la fin des années 70.
Oui, alors je voudrais faire une petite incise pour apporter de l'eau à votre moulin.
Le débat qu'on a eu sur les retraites, opposé ceux qui voulaient rallonger la durée de cotisation
et augmenter l'âge du départ à la retraite, à ceux qui ne voulaient pas, alors que dans
les années 90, un vieux journaliste comme moi se souvient que les débats sur les retraites
étaient entre ceux qui voulaient garder la retraite par répartition et ceux qui la
voulaient par capitalisation.
Et donc c'était un débat beaucoup plus droit de gauche où la droite finalement, la philosophie
de la redistribution était remise en cause, remise en cause beaucoup plus qu'aujourd'hui.
Et pourtant, on a le sentiment d'une droitisation encore même sur ce thème.
Est-ce qu'il est très frappant ? Parce que vous voyez par exemple du coup, on regarde
très très très souvent le vote des ouvriers, et donc il n'y a pas à dire, les ouvriers
ne sont plus en bastion électorale de la gauche depuis les années 70.
Aujourd'hui, vous avez plus d'ouvriers qui votent effectivement pour Marine Le Pen
que pour Jean-Luc Mélenchon.
Il n'empêche que quand on regarde par exemple les préférences socio-économiques des ouvriers,
on constate qu'il y a toujours de la même façon avec le même type d'amplitude que
dans les années 80 ou 90, une demande de redistribution, une demande de soutien.
Alors maintenant Vincent Tiberi, maintenant que vous nous avez dit tout ça, la question
gênante arrive, si vous nous dites que la société reste volontaire pour toujours plus
de progrès, si la société s'ouvre et si en même temps Marine Le Pen progresse, est-ce
que Marine Le Pen finalement n'offre pas un programme moins raciste, plus social ? Est-ce
qu'on se trompe sur la qualification de Marine Le Pen en tant que candidat de l'extrême
droite ?
Effectivement, un des vrais enjeux, d'abord est-ce que le programme du RN est réellement
un programme social ? C'est bien que ça reste un programme ambiguït, à la fois moins
d'impôts et plus de protection en quelque part.
De ce point de vue-là, Marine Le Pen est encore capable de s'adresser à la fois aux ouvriers
en demande de protection, notamment contre la mondialisation, contre les désordres du
libéralisme économique aujourd'hui, et dans le même temps s'adresser à une clientèle
qui ressemble un petit peu à la clientèle-poujadiste, qui souhaitait moins d'État, moins d'impôts
et plus de sécurité.
Donc elle réussit pour l'instant à parler aux deux parce qu'elle n'a pas eu à faire
deux choix et n'ayant jamais été au pouvoir.
Et donc quelque part, elle neutralise le socio-économique et elle capitalise sur
ce qu'il lit ses électorats, qui est notamment la question de l'intolérance à l'endroit
des immigrés, de l'intolérance à l'endroit de l'islam, de l'intolérance à l'endroit
du multiculturalisme.
Et donc de ce point de vue-là, le vote Marine Le Pen, quand on le regarde du point de vue
des citoyens, c'est avant tout un vote culturel fondé sur le rejet de l'immigration, sur
le rejet, effectivement, du libéralisme culturel en général.
En second lieu, on trouve un deuxième axe qui est ce qu'on appelle du « work-fair-risme ».
C'est-à-dire cette idée que les chômeurs pourraient trouver du travail s'ils le voulaient
vraiment, qu'il faut vraiment se prendre en main, qu'il y ait une vraie culture du
travail.
Ça rassemble des gens qui, sur les questions, par exemple d'état-providence, d'égalité,
des revenus, etc., sont pourtant diamétralement opposés.
Elle reste un vote culturel, donc un vote qu'on pourrait qualifier d'extrême droite,
et dans le même temps, elle réussit à neutraliser le socio-économique.
Est-ce que Vincent Tiberi, les périodes de tolérance, de progressisme et les périodes
de conservatisme ou de repli correspondent à la couleur de ceux qui sont au pouvoir ?
Ce qu'on constate quand on prend ces indices longitudinaux qui donc existent à la fois
en France, désormais au Royaume-Uni et surtout, ont été construits aux États-Unis, c'est
qu'on peut parler de « démocratie thermostatique », c'est-à-dire que les victoires électorales
sont souvent des victoires qui se construisent vers une langue de demande de plus de redistribution
ou de plus de tolérance.
Un Ronald Reagan arrive au pouvoir en 1981, on va dire que c'est l'exemple type de
l'excellent candidat qui a réussi à renverser la présidentielle, qui, parce qu'il était
un très bon orateur, un ancien acteur, etc.
Et l'exemple titre de ce qu'on appelle la « candidate center-aid politics », on se
rend compte que l'élection de Ronald Reagan, elle est portée par une baisse des demandes
de redistribution aux États-Unis qui a commencé dix ans auparavant.
De la même façon, Bill Clinton ou Barack Obama sont portés par une remontée des
demandes de redistribution tout au long des années 80 et dans le cadre de Barack Obama,
tout au long des années 90 et des années 2000, ce qui fait que quand Obama arrive au
pouvoir en 2008, il est à un niveau de demande de redistribution qui était celui du début
des années 60.
Les victoires électorales telles que vous venez de nous les décrire sont plus liées
à l'économie et la société.
C'est vrai dans le très très long terme.
Quand la gauche et la droite, c'est des questions de redistribution, ça marche effectivement
comme ça.
Reste qu'il y a cette deuxième dimension qui est la dimension du libéralisme culturel
que notamment mes collègues Etienne Schweitzgut et Gérard Grimberg avaient commencé à noter
dans la France des années 80 et qui effectivement vient troubler le jeu et vient faire que
certaines élections peuvent être à contre courant de ces évolutions.
Typiquement, 2022, on est dans une forte remontée des demandes de redistribution.
On est également dans une forte remontée dans un plutôt haut niveau de tolérance
et pourtant, ce n'est pas ce que donne l'élection.
Ce n'est pas ce que donne l'élection parce qu'en fait les votes aujourd'hui se font
au minimum dans ces deux dimensions-là, à la fois la dimension du socio-économique
et la dimension du culturel.
Si on reprend Obama, typiquement, il gagne en détendant à la fois poussé par le culturel,
par effectivement les progrès de la société américaine sur ces questions-là et par le
socio-économique.
Dans le même temps, on se rend compte que le vote Trump, c'est aussi un vote de crispation
culturelle.
Et donc, le fait est que dès lors que vous avez des votes qui se construisent sur ces
deux dimensions-là, vous politisez à la fois du côté progressiste comme du comté conservateur.
Et aujourd'hui, effectivement, être un conservateur sur ces questions de multiculturalisme,
de libéralisme culturel, etc., ça aboutit à des votes.
Chose qui n'existait pas, typiquement, dans les années 80.
Quand on regardait le vote des ouvriers dans les années 80, les questions, notamment de
xénophobie, de rapport à l'homosexualité n'intégraient pas leur logiciel de vote.
Ce n'était pas ceux sur quoi ils votaient.
Ils votaient sur le socio-économique.
Nous sommes toujours avec Vincent Tiberi, auteur de ces citoyens qui viennent au presse universitaire
de France.
Enquête de politique, Thomas Legrand sur France Inter.
Alors, depuis le début de cette interview, on globalise, c'est-à-dire qu'on parle
Vincent Tiberi de la société, est-ce qu'elle s'ouvre, est-ce qu'elle se replie.
Mais ce qu'on constate aujourd'hui, c'est une polarisation.
La société va dans deux sens différents, se radicalise,
ça se voit très clairement aux États-Unis, on peut le voir aussi en France.
Alors, est-ce que c'est une réalité ou est-ce que c'est simplement le produit,
une impression, le produit de notre écosystème médiatique fait de réseaux sociaux,
d'algorithmes et de chaînes tout info qui polarisent le débat public ou est-ce
que la société elle-même se polarise à ce point, Vincent Tiberi ?
Alors, il y a polarisation, mais là encore, il faut bien avoir en tête
que cette polarisation n'empêche pas que vous avez des espèces
notamment sur les questions de tolérance, de mouvements vers plus d'autolérance
dans tous les groupes.
Typiquement encore aujourd'hui, quand vous prenez les questions sur la
tolérance à l'endroit de l'homosexualité, de l'homoparentalité, etc.,
vous avez des groupes extrêmement tolérants, vous les retrouverez chez les urbains,
chez les diplômés, chez les plus jeunes, et puis vous aurez des groupes
plus intolérants, vous les retrouverez chez les ruraux, chez les boumeurs désormais,
mais également chez les catholiques et chez les musulmans.
Mais le truc assez frappant, c'est que si vous reprenez ces mêmes catholiques
il y a 20 ans, ils étaient beaucoup plus fermés dans les années 90 qui ne le sont aujourd'hui.
Donc de toute façon, ce mouvement vers plus d'acceptations,
ils touchent l'ensemble des groupes.
Il est général, il est général, d'accord.
Et ça, ça continue.
Ça continue, mais est-ce que ça se polarise ?
Ça se polarise notamment parce que, et là, je me tourne vers vous,
représentant d'un système médiatique, mais on a changé de système.
Il fut un temps, tout le monde était confronté à la même information.
Alors certes, c'était TF1 contre Antène 2, mais il n'empêche
que la plupart d'entre nous étions confrontés à la même offre politique.
Aujourd'hui, c'est de moins en moins vrai parce que nos pratiques médiatiques
sont des pratiques qui se sont elles-mêmes fortement fragmentées.
Oui, on est chacun dans des couloirs cognitifs.
Et c'est vrai que la recherche du clic pour les réseaux sociaux,
mais aussi la recherche de l'attention permanente pour les chaînes d'outre-info,
c'est, par exemple, sur un débat, sur la laïcité de mettre un islamiste
face à quelqu'un d'extrême-droite plutôt que, finalement, de laïc
qui aurait des visions un peu différentes, mais donc de prendre les extrêmes
pour faire du clic et du show.
C'est pour ça que je vous posais cette question.
Je voulais savoir, j'ai bien conscience de nos responsabilités,
même si je pense qu'à France Inter, on essaie de faire un peu mieux,
mais je voulais savoir si cette polarisation que l'on voit sur nos écrans,
que l'on vit sur nos smartphones, sur nos tablettes et la télévision,
si cette polarisation-là qui nous est donnée en spectacle
est aussi flagrante dans la société.
Et c'est très compliqué quand même à résumer,
parce que de toute façon, quand vous parlez typiquement des clics,
quand vous parlez typiquement des réseaux sociaux,
à Twitter, ce n'est qu'une toute petite partie de la population française.
De la même façon, c'est news en termes de polarisation.
C'est vrai, mais tous les journalistes sont sur Twitter.
Et après, ils privent des articles.
Mais typiquement, vous prenez c'est news, c'est 2% de l'audience cumulé en juin.
2%, ce n'est pas beaucoup.
Et pourtant, il y a effectivement un public et surtout c'est une voix qu'on entend.
C'est une voix qu'on entend.
Et donc quelque part, il y a un effet d'offre.
C'est-à-dire, et cet effet d'offre se nourrit d'un premier cercle
de citoyens particulièrement intéressés et informés
qui sont extrêmement connectés à ces chaînes d'information,
à ces médias idéologisés, que ce soit à gauche ou à droite.
Et donc en plus, vont donner l'impression d'un bon sens populaire.
Or, je ne sais pas jusqu'à où va le bon sens populaire
d'un certain nombre de chroniqueurs de plateaux.
Mais effectivement, il est parfois un peu troulant de se dire
mais c'est quoi leur réalité, c'est quoi leur territoire,
c'est quoi leur relation au terrain.
Le fameux bon sens.
Ça ne veut pas dire qu'un sociologue est parfait.
Bien sûr, c'est le fameux bon sens et la fameuse majorité silencieuse
comme avantage d'être silencieuse et à qui on peut faire dire ce qu'on veut.
Du coup, je vous remercie beaucoup Vincent Tiberi et à bientôt.
Voilà, le bon sens en politique.
J'adore cette notion bien pratique.
Ça pourra peut-être faire un jour l'objet d'un numéro d'enquête de politique.
Le prochain numéro, lui, sera consacré au Câteau de gauche ou d'autre chose.
Disons puisque c'est une émission sur les ismes, au catholicisme de gauche.
On n'en parle pas beaucoup, mais vous verrez que c'est une notion riche et passionnante.
D'ici là, n'oubliez pas, si vous ne vous intéressez pas la politique,
c'est la politique qui s'intéressera à vous.
Sous-titrage ST' 501
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durée :00:46:18 - En quête de politique - par : Thomas Legrand - Ces dernières années bon nombres de dirigeants politiques font référence avec plus ou moins de fidélité à la pensée d’Antonio Gramsci, journaliste, philosophe marxiste italien du début du XXème siècle. Mais qui sont ces émules issus de courants politiques antagonistes ?