Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: Enora Malagré : vivre avec l’endométriose - Le récit
Europe 1 3/28/23 - 30m - PDF Transcript
L'assassin est-il au-dessus des lois?
Réponse dans le nouveau thriller de John Grisham,
Le droit au pardon.
L'avocat pénaliste Jack Brigham s'est de retour pour défendre un garçon de 16 ans
accusé du meurtre d'un policier dans le Mississippi des années 90.
Mais l'histoire est souvent plus complexe qu'il n'y paraît.
Parviendra-t-il à lui éviter la peine de mort?
Le droit au pardon.
Un drame judiciaire mené tambour battant par John Grisham,
le plus grand auteur de thriller contemporain, aux éditions La Tesse.
On de l'âte raconte.
Christopher de l'âte.
C'est l'un des récits les plus touchants de tout ce que je vous ai raconté.
Celui d'Enaura Malagré tirait de son livre
« Un cri au ventre » que vous trouverez chez Gélu.
Peut-être est-ce que vous ne connaissez pas Énaura
et les célèbres pourraient avoir participé pendant des années
à l'émission de Cyril Anouna sur C8.
Elle a fait aussi de la radio, joué au théâtre.
Et un jour, elle a révélé qu'elle souffrait d'endométriose.
C'est une maladie tabou parce qu'elle est très intime
et elle le raconte de manière assez crue.
Comme personne n'en a jamais parlé.
C'est une maladie de femme que les hommes ne connaissent pas.
En tout cas, c'était mon cas.
J'ai écrit cette histoire avec Tugdual de Dieu le veut.
Réalisation Céline Le Bras.
...
J'ai dit la vérité en février 2017.
Dans un prime de l'émission, touche pas à mon poste sur C8.
Ce soir-là, il était question de dire la vérité.
Un internaute m'a posé une question très intime.
J'ai décidé d'y répondre franchement.
T'as l'air amoureuse à quand un enfant avec dommée.
Il faut dire toute la vérité.
C'est un peu tôt déjà.
J'ai un petit souci, c'est le problème de la vérité.
C'est que j'ai une maladie qui s'appelle endométriose.
J'ai d'autres soucis et c'est compliqué d'avoir des enfants pour moi.
Ce soir-là, j'ai accouché de ma douleur.
...
Je suis né en 1980 à Morley, en Bretagne,
dans une famille où la maladie régnait tant d'espottes depuis des générations.
Quand j'étais petite, les mamans de mes amis les emmenaient à l'école.
Eh bien, la mienne restait parfois au lit.
L'endométriose, déjà, a eu une époque où on n'en parlait pas.
Et moi, je n'ai pas peur de le dire.
Je suis un accident.
Parce que quand elle est avancée, cette maladie compromet sérieusement
les chances d'avoir un enfant.
J'en sais quelque chose, moi, ça fait dix ans que j'ai chou.
Et pourtant, ma mère, après d'innombrables fausses couches,
a fait mentir les statistiques.
...
J'ai grandi à Concarno, dans le Finistère Sud,
à 100 mètres de chez ma grand-mère maternelle, mamie Paulette.
Elle était tout pour moi.
C'était une femme indépendante et rebelle.
J'ai revendiqué l'égale de mon grand-père bien avant 68.
Et d'ailleurs, c'est lui qui était au fourneau
et lui qui débarrassait la table.
Elle, elle portait des pantalons.
Et elle remettait les emmerdeurs à leur place.
Et elle aussi avait la maladie.
Enfin, je ne savais pas de quoi ma mère et ma grand-mère souffraient.
Ce que je sais, c'est que moi, toute petite, plusieurs fois,
on m'a trempé les pieds dans la fontaine de Sainte Nora à Morley.
Tout ça parce que la légende veut que Sainte Nora, prostituée de son état,
avait reçu l'apparition de Joseph de Saint-Éflam,
qui l'avait guéri de la stérilité en lui baignant les pieds.
Espoir quand tu nous tiens.
...
Jusqu'à l'âge de 28 ans,
je vis heureuse comme une vraie petite branleuse.
Je me trouve belle avec mes sardressées qui semblent défier la mode,
mes fesses rebondies sur lesquelles on pourrait dîner à deux,
mes longs cheveux sauvages, mon ventre plat, mes cuisses musclées.
Je me trouve joli et je me sens tellement libre.
Et puis, à 28 ans, à l'époque, je suis animatrice sur Radio Nova et RTL9.
Un soir, sans préavis, la maladie me casse les jambes.
...
Je transpire.
Ça y est, la voilà qui approche.
Une chaleur sourde qui me monte à la tête.
On cogne sur mes tombes.
Alors je me lève, je vais n'importe quelle chanson de Nick Drake.
Ça va me calmer, comme un pansement.
...
La première morsure arrive.
Un coup de croix au niveau des ovaires.
À droite, à gauche.
Je manque d'air.
Dans mon ventre, en bas, ça crie.
Des crises aiguës.
Je m'allonge sur le sol, sur le dos.
Je manque d'air.
Coute-coute dans mes reins.
Je me replie en position fétale.
Je manque d'air.
Je bave, j'ai chaud.
Ça crie dans mon crâne.
Je crie aussi, je réponds.
La douleur se diffuse.
Elle attaque mes gens.
Ça brûle.
Je hurle.
Les contractions commencent.
Au milieu, coule le sang de mon vagin chagriné.
Je rampe jusqu'au toilette.
Je suis une larve malodorante et sanguinolente.
C'est loin, putain.
C'est loin.
Je fais une pause.
Nouvelle contraction.
Je saigne.
Une trace sur le parquet.
Je vomi.
Je reprend ma route vers les toilettes.
Je transpire.
Je me hisse sur les toilettes.
Une contraction.
Je pousse.
Je me vide de mon sang.
Je pousse du sang.
J'accouche de sang.
Je remets ma culotte.
Je m'allonge par terre.
Je rouvre les yeux.
Je fonce jusqu'à la salle de main.
La bonne drogue.
La bonne dose.
J'ai gagné.
Je vais me doucher.
Je vais me laver.
Elle est longue, ma course,
pour mettre un mot sur ma maladie.
Il a fallu deux fausses couches
et des années de douleurs
de la politique.
Mon gynécologue est passé
totalement à côté de ce que je lui décrivais.
Vous devriez aller voir un psychologue,
mademoiselle.
Il a dû me prendre pour une hystérique.
Le deuxième gynéco que je vais voir,
cabinet austère,
secrétaire de 230 ans,
je lui décris mes symptômes.
Ah, les bonnes femmes.
Les bonnes femmes et vos règles.
C'est toujours un poème.
J'ai dû voir
avant de rencontrer le bon.
Et ce faisant, j'ai perdu trois ans,
ce qui est nettement moins
que les sept ans et demi en moyenne
au niveau national.
Comment expliquer l'ignorance
et l'indifférence du corps médical?
Moi, ma chance,
c'est d'avoir eu une mère atteinte du même mal.
Et donc à un moment donné,
j'ai pu souffler le mot
à l'oreille des gynécologues.
C'est pas pour dire, mais je pense que c'est l'endométriose.
D'accord.
Je le pense aussi, mais le problème,
c'est que ça ne se soigne pas.
Il faut prendre des anti-douleurs
et puis serrer les dents.
Et par ailleurs, sachez que vous n'aurez pas d'enfants.
C'est terminé.
J'ai fini par trouver le bon.
Bon médecin.
Bon diagnostic.
Bonne solution.
Je suis possédé
par mon désir d'enfant.
Au point qu'il m'est arrivé
de mimer publiquement
le fait d'être enceinte,
de glisser un coussin sur mon pull
et de dire aux grés des conversations.
Eh oui,
je suis enceinte.
Depuis mes 20 ans,
j'ai dû pisser
une centaine de tests de grossesse
juste pour m'entendre
le demander à la pharmacienne.
A voix haute,
distinctement avec un large sourire
pour qu'elle comprenne que ça serait
une jolie nouvelle.
Bonjour.
Je voudrais un test de grossesse, s'il vous plaît.
J'ai espéré
un miracle,
même si la maladie m'a appris
à vivre de désillusions permanentes.
Aujourd'hui, je suis au bureau.
Je prépare mon émission de radio
et je sais
que je suis enceinte.
Mes seins sont plus gros.
J'ai des bouffées de chaleur, j'ai mal au coeur.
Ça fait trois jours que je me dis
que je suis enceinte.
Alors détour par la pharmacie.
Bonjour.
Je voudrais un test de grossesse, s'il vous plaît.
Retour à la maison.
Je déchire l'emballage.
Je rine sur le bâtonnet.
Positif.
Je suis enceinte de deux, trois semaines.
Mais je retiens ma joie.
Voilà ce que l'endométriose nous vole.
La joie.
Prépare-toi à souffrir ma grande.
C'est comme un comptard bourg.
La fausse couche annoncée.
Je sais, je sais
que je vais le perdre.
Je sais qu'il ne va pas pouvoir s'accrocher.
C'est terrible de recevoir la nouvelle
qu'on attend depuis toujours.
Dans un brouillard.
Il dit des noirs.
Ce soir,
je suis invité chez une amie.
Un grand dîner parisien
dans un grand appartement
du 10e arrondissement.
Avec des attachés de presse,
des animateurs,
des gens qui bossent dans la mode.
Oh et Nora,
je suis tellement contente que tu sois là.
À table, on mange bio.
La botte d'aspère,
en provenant direct du producteur,
a du coûté 23 euros.
Les serviettes sont brodées,
le fromage est truffé,
les convives sont intelligents,
ils sont drôles, ils sont très beaux.
Et puis juste avant le dessert,
vient la question.
C'est Damien,
l'attaché de presse des stars qui me la posent
sans délicatesse.
Et toi, Heno,
t'as pas d'un enfant?
Je souris jeune,
et je serre la version censurée.
Eh bien non,
pas pour l'instant.
Non, pas pour l'instant,
dans le de façon de dire que t'as pas de mec, non.
Et fais gaffe, Heno,
la quarantaine, c'est demain.
Si tu as tant trop longtemps, ce sera mort.
Oh franchement, tu devrais essayer.
Plus t'attends, plus ce sera difficile.
La tête me tourne.
Et j'ai envie de hurler.
Mais je ne dis pas
que je suis malade.
La peur de passer
pour une fille misérable.
Et donc je leur serre ma phrase.
En fait, moi, je veux pas d'enfant.
C'est pas pour moi.
Stupeur et tremblement dans l'assemblée.
Ce genre de dîner,
j'envie tous les mois.
En société, ne pas avoir
d'enfant est une maladie.
Quand on est une femme sans enfant,
on est hors champ.
8h30
8h30
Le réveil sonne.
J'ai passé une nuit atroce.
J'ai saigné sans interruption.
Je me recouchais puisé.
10h15
Je suis en retard.
La douche pour me débarrasser de cet odeur de sang.
Je suis à peine sorti de la douche.
Que la douleur repart.
Il faut tenir.
Il faut tenir.
Je n'ai pas le coeur à tapisser ma culotte
avec une serviette format XXL.
C'est le plus gros tampon que j'ai.
Midi.
Je fonce aux toilettes, mon tampon n'a tenu qu'une heure.
Pas le choix, je mets une grosse serviette.
Une couche.
Premier caché de la maline.
15h
J'ai rendez-vous au Ritz avec une marque 2 fringues
qui veut que je sois son négéri.
Je commande un thé.
Je reprends un caché.
Les toilettes sont loin.
Je finis par craquer.
Changement de serviette.
Une direction le plateau ne touche pas mon poste.
Je me sens sale.
L'impression de sentir mauvais.
Je passe au stylisme.
Alors, Enora.
Je t'ai prévu un pantalon blanc.
Ça te va?
Un pantalon blanc.
Sans blague.
Je refuse.
21h. Je dois foncer à la radio pour 3 heures d'antenne.
Enora le soir.
Écouter la douleur des autres pour calmer la mienne.
Passage aux toilettes.
Changement de serviette.
Je serre les dents.
23h.
Je rentre chez moi.
Ravager.
Quelque chaude de Rome.
Cussec.
Quelque latte sur un joint.
Une fiole d'occupant.
Et d'eau d'eau.
Peut-être pire.
Un soir,
ne touche pas mon poste.
C'est l'apothéose.
J'effectue en direct une chorégraphie
de I am a slave for you
de Britney Spears.
Et là, l'endométriose attaque par derrière.
La salope attaque mes reins.
J'accélère, je me déanche,
le son coule, mon visage n'exprime rien.
Le message est clair.
Et pour le coup, la maladie est peut-être une alliée.
J'en fais trop.
Il est temps de recouvrer ma dignité oubliée.
J'entame le chemin
qui va me mener jusqu'à la démission.
Ne touche pas mon poste.
Ma mort médiatique dure six mois.
Douillette, plutôt tranquille.
Le téléphone ne sonne plus.
J'ai toutes mes soirées.
Je retourne au cinéma.
Je revois mes amis.
Je coûte à la vie.
Une vie normale.
Après dix ans passés dans un tourbillon quotidien.
Même si les gens ne me parlent que de ça.
Oui, Nora.
Bonjour, pourquoi vous êtes partis?
Vous allez revenir?
Un matin, on me propose de jouer
dans une pièce de théâtre.
Oui, les montagnes russes.
D'Erica Souce.
Ça serait au théâtre Édouard 7.
L'histoire d'une fille qui cherche son père.
Ça te dit?
Et c'est comme ça
que la lumière revient.
Celle qui y a paise.
Celle qui réchauffe
juste ce qu'il faut.
Pour une autre pièce, quelque temps plus tard.
Je dois aller essayer des costumes
dans un hangar du 20e arrondissement.
Où sont entreposés la plupart des costumes de théâtre.
Ça sent la vieille fripe.
J'enfile une culotte à froufou.
Des bas, un corset.
Et j'ai la nausée.
Je ne vois que mon corps bourré de la maline
et suant de rhum.
Et là, parce qu'elle la costumière,
m'apporte une robe.
Tiens, Nora.
Essaye cette robe rouge.
Ça fait deux années que j'essaye de la faire porter à quelqu'un.
J'ai jamais trouvé la bonne comédienne.
Je es le rouge.
Le rouge, c'est le sang entre mes jambes.
Alors je l'essaye sans conviction.
Je m'approche du miroir.
Ha!
Une apparition.
Cette robe me fait l'effet d'un électrochoc.
Je me regarde et, pour la première fois,
je vois tout.
Les rides au coin des yeux, mais
ils sont toujours bleus.
Mes bras un peu mous, mais rigolo.
Une femme de 38 ans,
à qui je décide, ce matin-là,
de pardonner.
Le temps de la souffrance
et de la contrition doit cesser.
Bonjour à toi,
petit corps abîmé.
Il est temps de te réparer.
Viens.
On va danser.
Depuis trois semaines,
tout mon entourage se demande
pourquoi je souris constamment.
Je suis enceinte.
Ce n'est pas la première fois.
Je connais le duo infernal,
fausse, couche, vraie, angoisse.
Mais cette fois,
j'y crois.
Mon corps réagit différemment.
J'ai dénausé.
Mais ça fait la taille des mondes arrêts.
J'ai la peau grasse.
Alors naïvement, je me dis,
je me range et mon gynéco
pour la première échographie.
Sur la table d'examen,
je souris.
J'écarte mes jambes.
Voilà, ne bougez plus.
Détendez-vous.
Je laisse la son de pénétrer dans mon vage.
Le médecin fronce les sourcils
et nos regards se croisent.
Je ne vois rien dans l'utérus.
Il y retourne.
Il cherche encore.
Ah, ça y est.
Dans la trompe droite.
C'est une grossesse extra-utérine.
Je suis sonné.
C'est un deuil qui commence.
On vient d'offrir l'amour.
C'était merveilleux.
Mais j'ai une petite douleur dans le bavandre.
Je passe la main à l'entraînement vage.
C'est rouge.
C'est la couleur dont j'ai horreur.
C'est le malheur systématique.
Une fausse couche.
Encore.
La nuit rythmée par les douleurs
des sortes de contractions.
Mais la mort prend son temps.
Et au matin,
je n'ai pas expulsé.
La journée qui commence.
Je la connais.
Par cœur.
Je viens d'emménager dans un nouvel appartement
plein de lumière et d'espoir.
C'est un sanctuaire paisible.
Je veux le préserver
des mauvaises ondes.
Je ne me livrerai pas ici
à mon rituel mortuaire.
Je vais aller à l'hôtel.
Allô, bonjour.
Je voudrais réserver une chambre.
Oui, pour tout de suite.
La chambre est un peu miteuse.
Les murs sont à pisser
de fleurs vertes et jaunes.
Les meubles sont au vieux bois.
La salle de bain est équipée d'une ménoire.
C'est tout ce qui compte.
Je sais quoi faire
et comment le faire.
C'est la quatrième
ou la cinquième fausse couche.
J'ai arrêté de compter.
La cérémonie sacrificielle commence.
Je pose une serviette au pied de la ménoire,
une autre un bibé d'eau fraîche
de ma tête.
Je jote mon pantalon.
Je m'allonge par terre.
Elle va revenir.
Je la sens.
Ça y est.
C'est la grosse contraction.
J'ai mal.
Un crime échappe.
J'ai chaud.
Je transpire.
Je m'éponge le front avec la serviette humide.
J'ai les yeux rivés au plafond un court instant.
J'ai l'impression de tenir la main
fan de tout pays,
de toute couleur,
de tous les temps.
Plutôt que de m'asseoir
sur les toilettes,
ma technique consiste à monter dans la baignoire.
Je m'accroupir,
me retenant à la faillance
et je pousse quatre fois.
Et à la quatrième poussée,
je le sens qui jaillit de mon vagin.
Je sors de la baignoire,
je rince le sang,
je regarde le sac disparaître
dans la canalisation
et je vais m'allonger sur le lit étranger.
Et mes larmes se mettent à couler
comme tout le sang que j'ai perdu.
Sans fin,
comme la tristesse qui m'habite.
Il y a quelques années,
j'appelle Cyril Anouna
en pleine nuit.
Je viens de faire une fausse couche.
Dis-moi Cyril,
c'est possible que je vienne pas ce matin?
Que tu ne viennes pas?
Oh non, c'est pas possible, moi je rie.
Je me rend donc au boulot
à 5 heures du matin.
Une serviette épaisse dans la culotte
et le ventre.
Je me rend donc au boulot,
à 5 heures du matin.
Une serviette épaisse dans la culotte
et le ventre déchiré.
Je serre les dents toute la matinée.
J'ai mal.
Je suis ravagé par la tristesse.
Mais rien.
Rien n'a pas rien l'antenne.
Les humains ont cette capacité
d'encaisser les pires horreurs.
En jetant un voile bien opaque dessus.
Voilà trois semaines que j'ai fait
la dernière fausse couche.
Je pensais être remise.
Et je me rends compte que ça n'est pas le cas.
Je sens
comme un épément au noir
sur mes épaules.
J'ai les yeux rivés vers le sol.
J'ai la respiration saccadée.
J'ai envie de me faire mal.
Ça fait trois semaines
que le sang coule en quantité
astronomique entre mes gens.
Je suis déchiqueté de l'intérieur.
J'ai mal de manière continue
de répit. Je suis tellement épuisé
que je me tape la tête
contre les murs.
Que je me griffe le ventre
comme si je voulais en détourner la douleur.
Et ce soir,
j'ai envie de boire.
Boire.
Et c'est ce que je fais.
Une bouteille de vin blanc.
Livresse me gagne.
La anesthésie aussi.
Pour la première fois depuis trois semaines,
je m'endors.
Triste fille.
Trois soirs de suite,
je bois des litres d'alcool
pour étouffer mon infinie tristesse.
Et un soir, je suis tellement partie
qu'on me vole mon sac
que j'ai posé sur le parvis du trocadéro.
Plus de clés, plus de cartes,
plus de portables.
Le lendemain, au réveil,
douche froide,
remise à niveau,
riscette.
Je dois stopper
cette spirale destructrice.
Arrêtez de plonger,
de nager en apné dans la merde.
Chaque enfant,
chaque adolescent que je croise
est une souffrance.
Je leur caresse la tête.
Je pourrais être leur mère.
Mais les démons sont à ma porte.
Je recommence à sombrer.
Mais la bonne nouvelle,
c'est que j'en prends assez vite conscience.
La mauvaise, c'est qu'il m'arrive
encore de bois.
Augmenter la fréquence de mes séances
chez le psy.
Plus d'exercices de respiration.
Pour mieux contrôler mes hormones capricieuses.
Il faut que j'arrive à faire la part
des choses entre mon endométriose
et mes pulsions d'autodestruction.
Qui était là le premier?
Qui est responsable de l'autre?
Je mélange mes souffrances.
Mais elles sont tout à moi.
La boisson est désormais
banni de mon appartement.
Et de mes soirées.
Hé Nora,
t'as pas une bouteille quelque part?
Hé non,
j'en ai pas.
J'ai décidé de ne plus failler.
Je ne peux plus.
Cette fuite large
n'est pas celle d'une femme libre.
Je pense à ma mère.
Qui malgré ses années sanglantes
est sombrée dans la dépendance pour autant.
A 20 juillet,
jour de mon anniversaire,
je pose le pied au Sénégal
dans un petit hôtel au bord de la mer,
à Lassomone.
Et là-bas,
je parle encore et encore
avec des femmes.
Et elles finissent par me poser
la fameuse question.
Pourquoi tu n'as pas d'enfant?
Pourquoi expliques ma maladie?
Tout ce sang qui coule à l'intérieur
et à l'extérieur.
Et l'une d'elles, timide,
me révèle entre de gorgée et de thé
qu'elle aussi perd beaucoup de sang
et qu'elle a très mal.
Dans mon égoïsme de femme blanche parisienne,
je n'avais jamais pensé
à la réalité de toutes les autres,
dans le monde.
Cette jeune femme a recours
à des décoctions
et à la prière.
Elle n'a pas les moyens
d'acheter des protections hygiéniques.
Oh, je mélange de l'argile
avec des bouches de vache.
Et je tapis le fond de ma culotte.
Et oui,
combien d'entre nous
bourre-t-elle leur culotte
de papier toilette?
Au Sénégal,
il y a un grand orphelinat.
Et là,
je trouve des réponses
en plongeant mon regard
dans les yeux des enfants,
en restant assises des heures et des heures
sur le péron, en regardant les petits
aller et venir.
L'adoption sera ma prochaine aventure,
celle de ma vie,
la plus jolie.
Avec mon utérus malade
et mes jambes bancales,
nous sommes prêts désormais
à la moitié
de notre vie.
J'ai tiré cette histoire du livre
Dénora Malagré chez Jélu,
dans un podcast d'or et déjà disponible.
Machine-generated transcript that may contain inaccuracies.
Issue d'une lignée de femmes atteintes d'endométriose, Enora est confrontée, chaque mois, à des douleurs insupportables. Alors qu'elle rêve d'un enfant, les fausses couches se multiplient.