Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: Covid : je n’ai pas pu lui dire adieu - Le récit

Europe 1 Europe 1 8/16/23 - 25m - PDF Transcript

Au cours de la longue crise du Covid, on a beaucoup donné la parole aux experts et aux

décideurs politiques et finalement assez peu aux familles des victimes de la pandémie.

Stéphanie Bataille a perdu son père Etienne Graberre au début du mois de janvier 2021.

Son père qui a contracté le Covid à l'hôpital de la pitié salpétrière à l'issue d'une

opération. Et elle dit sa colère dans un livre qui paraît aux éditions de l'Observatoire.

Mon histoire, c'est votre histoire. J'ai écrit ce récit avec Tugduel de Dieu le

Vue, réalisation Céline Labras.

Etienne Graberre était comédien de théâtre et de cinéma. Pas célèbre, mais si vous allez

taper son nom sur Google, D-R-A-B-E-R, vous direz forcément « Ah bah oui, ah c'est lui ! »

Il a tellement joué de second rôle au cinéma et à la télévision. On l'a vu dans Ridicule,

Milouand May, prof, les cordiers jugés flics, et ici dans les Soudoués, une scène d'anthologie,

il jouera un prof qui, devant une élève qui accouche, se transforme en accoucheur.

Etienne Graberre est mort le 11 janvier 2021, emporté par le coronavirus.

Sa fille Stéphanie avait encore quelque chose à lui dire, et surtout, elle a quelque chose

à nous dire.

En novembre 2020, ça fait un an que tu attends une opération en raison d'une fuite de la

valve mitrale. Elle a été programmée puis déprogrammée à cause du premier confinement.

Mais là ça y est, elle est fixée au 10 novembre. Batteries d'examins, analyses, tous les voyants

sont ouverts. La anesthésie est même venue te voir. Et puis au moment de t'installer dans

ta chambre, le docteur vient te voir.

Monsieur Graberre, je suis désolé, monsieur Graberre. L'intervention est annulée en raison

du plan d'urgence Covid. Vous pouvez rentrer chez vous. On vous rappellera.

Tu es contrarié. Tu t'étais tant préparé psychologiquement. Quelques jours plus tard,

tu reçois une nouvelle convocation pour le 13 décembre. Maman t'accompagne à la

pitié salpétrière en début d'après-midi. Admissions, examens, tests Covid. Tu prends

possession de ta chambre en cardiologie. Tu appelles tes frères, ta soeur, tes cousins,

tes filles, tes amis, tes enfants. Je suis ton dernier coup de fil du soir.

C'est embêtant à tous ces théâtres et ces musées fermées. Faut pas arrêter de créer,

c'est vivre deux fois. Créer, bon sang, créer.

Le chirurgien t'a averti que tu seras opéré à 7h30.

Ne me demande pas qu'alors je sors. Je ne sais pas. Est-ce que les familles des navigateurs

demandent quand ? Quand est-ce qu'ils rentreront ? Bon non. Ah bah voilà. Je suis comme un navigateur.

Le lendemain à 9h00, tu m'appelles pour m'annoncer que ton intervention est décalée à 14h00.

trop d'urgence avant toi.

Il doit y avoir plus d'urgence.

Moi, ils m'ont dit ce matin que mes analyses étaient très bonnes et que mon test PCR était négatif.

À 18h30, maman appelle les infirmières pour avoir des nouvelles.

Tout s'est bien passé. Il est en salle de réveil.

Les visites sont possibles dès demain.

Les proches peuvent venir l'après-midi entre 14h et 18h.

Nous mettons en place un planning.

Mon frère Stanislas viendra à 14h, il t'apportera ton déjeuner.

Maman prendra la relève de 15 à 16h30 et moi.

Je terminerai la journée et je m'occuperai de ton dîner.

Le 17 décembre, tu m'appelles vers 16h.

Dis-moi, tu peux m'apporter de la pommade rosate ?

J'ai l'élève rejercé.

Et puis de l'eau pétillante s'il te plaît, la plus froide possible.

Je te retrouve en fin de journée.

Tu bois quasiment la totalité de la bouteille en deux minutes.

Et à travers les bras, je vois tes jambes qui tremblent.

Tu me dis que tu as des courbatures.

Ça m'inquiète.

Je ne suis pas sereine, mais je m'obstine à rester confiante.

Enfin, tu as l'appitier sale pétrière, c'est un hôpital réputé.

Il n'est pas concevable que tu attrapes le coronavirus ici.

De retour dans ta chambre, tu as encore très soif.

Dis-moi, demain, tu pourrais venir avec plusieurs bouteilles de salvota ?

Ce jour-là, je dépasse la limite de l'autorisation des visites.

Je sens qu'il faut que je reste.

Et soudain, un vacarme dans le couloir.

L'homme qui distribue les plateaux repas ouvre la porte sans frapper.

Il a son masque sous le menton et il parle très fort.

Alors, M. Draber, debout jeune homme, c'est l'heure.

Faut manger.

Hélin, il pose violemment son plateau sur la table de chevet,

il prend le piché d'eau et il en rapporte un autre,

sans jamais se désinfecter les mains.

Je le raccompagne dans le couloir.

Vous devriez faire attention à votre masque tout de même.

Le masque, c'est de la connerie.

Je prends peur de Covid.

Le lendemain, maman et mon frère Stanislas m'appellent pour malherter.

Il touche beaucoup quand même.

Il a certainement dû prendre froid.

Enfin d'après-midi, quand je viens te retrouver,

je constate que tu te tous curieusement par saccades de trois coups.

T'as tout vient des bronches.

Elle te fait mal.

Et là, je cache l'angoisse qui m'en veille.

C'est impensable.

C'est impensable que tu es attrapé le coronavirus.

Le lendemain, Stanislas m'envoie un técanisme.

Stanislas m'envoie un texto.

L'hôpital a appelé maman.

Il faut que tu viennes de toute urgence.

Papa aurait fait un AVC.

Quand j'arrive, ta chambre est vide.

Tu as été transportée en radiologie.

Je ne tiens plus en place.

Alors je me mets à faire les sans pas dans le service.

Et je m'arrête devant une chambre à deux portes de la tienne.

Il y a des panneaux plastifiés scotchés dessus.

Interdiction d'entrée.

Covid.

Il laisse donc un patient atteint du coronavirus

en place service de cardiologie.

Je reste cloué sur place.

Et je commence à me faire un scénario noir.

Aggravé par la présence d'une infirmière

qui vint de chambre en chambre sans aucune protection.

Au bout de trois heures,

un médecin vient à ma rencontre.

Une femme de 35 ans.

La mine décomposée qui a du mal à soutenir mon regard.

C'est très grave ce qu'a votre père.

On ne pense pas qu'il s'en sorte.

Mais qu'est-ce qu'il a ?

Qu'il se sort de quoi ?

Je ne sais pas exactement.

Je n'ai pas les résultats désirés.

Ni du scanner.

Depuis quand est-ce qu'on annonce

des nouvelles d'une telle gravité

debout dans un couloir ?

On te ramène à 16 heures

allongée sur ton lit médicalisé.

Vous êtes de la famille ?

Oui.

Oui, je suis sa femme.

Et là, c'est ma fille.

Il n'a pas fait d'avessé.

Mais il y a un problème.

Sûrement une bactérie.

Est-ce qu'il vous a parlé de l'intubation ?

Là, je sors la balise de danger.

Il y a deux secondes, ils évoquaient une bactérie.

Mais tu serais donc en détresse, un respiratoire.

Docteur, est-ce que vous pouvez nous dire ce qu'il a ?

Je ne sais pas.

On ne sait pas.

Les poumons, les reins, le foie, les attestants, le coeur.

Nous sommes entourés

de fatalistes qui t'attonnent,

qui naviguent dans le brouillard, sans regard,

sans affecte,

des animaux à 100 froid.

Je réclame qu'on te fasse un nouveau test PCR.

On s'en fasse, c'est inutile.

Attest négatif le 13 décembre,

on ne peut pas être positifs le 19.

Et de toute façon, il ne prend envisageable

d'effectuer des tests tout le temps.

Au fond de moi,

une petite voix malerte.

Il y a urgence.

20, 21, 22 décembre,

tous les jours nous allons te voir.

Ton état est stationnaire.

Tu as de plus en plus soif,

et tu n'en peux plus du masque à oxygène.

Je te regarde dormir.

De temps en temps, tu ouvres un oeil pour t'assurer que je ne suis pas parti.

Je suis là.

Je serai toujours là.

J'ai enfin réussi à me procurer

la liste des lignes téléphoniques directes des médecins.

Je me sens un peu coupable.

Mais je les appelle.

Pardon, docteur, de vous déranger.

Pouvez-vous me dire où vous en êtes au sujet de la bactérie ?

On ne sait pas ce que c'est.

Vas-y.

Elle ne pousse pas.

Quelle réponse, absurde ?

Est-ce qu'on ne pourrait pas faire d'autres investigations ?

C'est un supportable.

Le 20 de 3 décembre,

l'infirmière nous informe qu'ils t'ont changé de chambre.

On l'a mis dans la 217.

Et pourquoi ?

La 217, où il était une chambre Covid,

est équipée d'un sac et d'une double porte.

Je comprends alors

que tu étais installé depuis 10 jours

dans une chambre Covid

en unité intensif de cardiologie.

Une chambre peut-être et même sûrement affectée.

Comment est-ce possible ?

Enfin, ils ont imposé à tous les citoyens

de vivre dans la précaution à outrance.

L'avez-vous les mains, tenez vos distances,

aérer vos appartements,

porter le masque, plus d'embrassade.

Nous vainquerons le coronavirus ensemble.

C'est une blague absolue.

Nous avons tout respecté à la lettre.

Nous ne l'avons plus embrassé depuis mars 2020.

Et à l'hôpital,

on installe des patients négatifs,

des personnes fragiles ayant subi une intervention

dans des chambres contaminées.

Le 24 décembre,

les médecins sortent de ta chambre

avec un air tupitatif.

Et ils disent à maman,

on va quand même lui faire un test PCR,

même s'il n'y a peu de chance que ce soit ça.

Il était temps.

8 jours que je constate les symptômes.

Et quand est-ce qu'on aura les résultats ?

Demain, c'est Noël.

Après-demain, c'est samedi.

Après-après-demain, c'est dimanche.

Disons lundi, au plus tard.

Ce jour-là, tu es énervé.

Stéph, écoute-moi bien.

Faut me sortir de là.

Sinon, vous n'auriez que les restes.

En une fraction de seconde,

j'essaie d'échafauder ta sortie.

Mais je suis vite rattrapé par la logistique médicale

qui est indispensable à ta survie.

Et puis Stanislas me dit qu'il faut attendre le résultat du test.

Le 25 décembre est notre premier Noël sans toi.

A 15 heures, Stanislas et maman se rendent à l'hôpital.

Tu n'es pas bien.

Le 26 décembre, à 15h30,

Stanislas s'apprend le résultat de ton test PCR.

Tu es positif.

Je suis fou de royer, même si je m'y attendais.

Votre frère est déjà venu, donc vous ne pouvez pas.

A partir de maintenant, c'est une visite par jour.

En fin de journée, le docteur m'appelle.

Je suis vraiment désolé de ce qui arrive à votre père.

Vous allez rire, faut que ce soit pas drôle du tout, pardon.

Nous avons eu 12 cas de contamination dans le service de cardiologie.

Et dites-moi, docteur, le personnel est testé et vacciné ?

Ah non, on peut pas tester tout le monde.

On manque de personnel, puis on l'a pas de vaccin.

L'hôpital laisse donc travailler des soignants porteurs du virus

alors qu'ils sont proches des patients, des bombes humaines.

27, 28, 29 décembre.

Nous partageons nos droits de visite entre nous trois.

Et le temps qui nous est octroyé est de plus en plus restreint.

10 minutes. C'est trop de Dieu.

Le 30 décembre, tu es transféré dans une unité Covid.

Je viens de voir en fin de journée

et je constate qu'il n'y a pas de joli droit alcoolique à l'entrée.

Et à gauche de l'ascenseur, il y a un papier mal scotché.

Visite interdite en unité Covid à partir du 18 octobre.

Je rencontre deux jeunes femmes médecins.

Elles semblent réciter leur texte par cœur.

L'entretien est surréaliste. Je suis pétrifié.

Je leur demande de te voir.

Ah non, non.

On ne voit pas les patients ici.

Les visites sont interdites.

On les voit au dernier moment.

Au dernier moment.

Qu'est-ce que ça signifie ?

Ils ont déjà prévu que tu allais mourir.

C'est une triple peine.

Tu as attrapé le coronavirus à l'hôpital.

On t'a fait patienter plus d'une semaine avant de te tester.

Et là, tu n'as pas le droit à des visites.

Dès que moi, quel est le numéro de téléphone de la personne de confiance ?

C'est-à-dire ?

Eh bien la personne qu'on doit joindre au moment du décès.

C'est stupéfiant.

Je repars comme un zombie.

Tu es dans les mains de monstres.

Qui a pu donner de telles directives ?

Il ne pense qu'à surprotéger.

Mais qu'en est-il de l'amour ?

Enfin, mais c'est où te repasser les règles ?

Nous décidons, Stanislas et moi,

d'aller quand même à l'hôpital.

Et nous voilà plantés au bout d'un long couloir

condamné par une porte-coupe-feu avec un disj'écoute.

Une infirmière sort.

Elle se verra assurante.

Je vous propose de l'appeler en FaceTime.

À ces heures, ça va.

Et grâce à ça, nous avons la joie de te voir.

Certes derrière un écran, mais c'est mieux que rien.

Tu parles sans difficulté.

Tu as l'air heureux de nous voir et de nous entendre.

Tu blagues, tu ris, tu dis que tu as envie de boire une bière et même deux.

Le 2 janvier, nous sommes au bout du couloir.

C'est insoumnable de te savoir à quelque part et de ne pas pouvoir te voir.

Y a de quoi devenir folle ?

Je vous en supplie.

On voudrait le voir puisqu'il va mieux.

On s'habillera avec le même équipement que vous.

On est même disposés à payer si c'est le problème.

C'est non.

Nous sommes abasourdis par tant d'inhumanité.

Le 3 janvier, nous abortons une galette des rois pour le personnel soignant.

Je dois vous dire que vous lui manquez beaucoup.

Ils voudraient vous voir en vrai.

Je viens un peu insister auprès des médecins pour qu'ils autorisent une visite.

J'attends leur retour.

Je vous tiens au courant.

Tenez, je vous ai mis son linge à laver dans ce sac plastique.

Et puis aussi son manteau.

Pourquoi ton manteau ?

Tu n'as pas pu le salir ?

Tu ne l'as pas mis en guise de peignoir ?

C'est un signe qui me mortifie.

Est-ce qu'ils nous préparent déjà à l'impensable ?

Les médecins ont refusé qu'on te voit.

Le 4 janvier, maman a été puisé.

Alors je l'ai soumé d'aller se faire tester.

Et moi aussi depuis hier,

je ne me sens pas très bien.

A 17h, on m'appelle pour établir la connexion par vision.

À l'écran, ta peur est palpable.

Tu nous fais signe de nous approcher au plus près ?

D'un regard, tu sembles t'assurer d'être seul dans la chambre ?

Et puis froidement, tu nous dis...

Sortis de moi de là !

Sinon je vais crever !

Cette affirmation est terrible.

Je ne me sens pas très bien non plus.

Sinon je vais crever !

Cette affirmation est terrible.

Elle est gravée à vie dans ma mémoire.

J'appelle immédiatement le poste d'infirmière.

C'est-à-dire madame qu'il commence...

le processus de glissement ?

Autrement dit, tu te laisses aller.

Le désespoir t'envahit.

Tu ne veux plus manger ?

J'envoie un message de détresse au docteur.

Il faut que nous voyons notre père.

Il nous réclame.

Il fait la grève de la fin.

On ne peut pas laisser les patients dans cette solitude.

Pouvez-vous nous aider à lever cette interdiction qui n'a pas lieu d'être ?

Maman vient de recevoir le résultat de son test.

Elle est positive.

Et moi aussi.

Stanislas, lui, est négatif.

Lui janvier, 17h.

Connexion en vision.

Je constate que tu es allongé sur ton lit.

Tu es... exténué.

Ça ne peut pas continuer.

Je tente de joindre le médecin.

J'y arrive au bout d'une heure.

En fait là, on ne peut pas vous parler.

Il me raccroche au nez.

Alors je le rappelle, je lui dis mon mécontentement.

En fait là, on est occupé sur le cas de votre père.

Il va mal.

En fait là, on est occupé sur le cas de votre père.

Il va mal.

Un problème cardiaque.

Stanislas obtient le droit de te voir 30 minutes

en sarnachant de la tenue COVID.

Tu es brisé.

Tu penses que nous t'avons abandonné.

Le 10 janvier, le docteur me joint en début d'après-midi.

Elle prend des pincettes.

Sa gorge est nouée.

Votre père est en autonomie cardiaque.

Il n'est pas confortable.

Que dois-je décoder ?

Où veut-elle en venir ?

En tout cas, elle lève le véto.

On a l'autorisation de te voir avec Stanislas.

Quand j'arrive, elle me tend la tiraille.

Il est très nerveux.

Je t'aperçois à travers le hublot de la porte.

Tu es torsennu.

Tu te contorsionnes.

Et quand je m'approche doucement,

je découvre que tu as les poignées attachées de part et d'autre du lit.

Ton bras gauche est tuméfié.

Il est bleu, un énorme dème.

Tu te redresses.

Et en s'appuyant sur tes coudes, mais pas paniqué,

tu t'exclames très distinctement à travers le gros masque à oxygène.

Stan...

Stan, je gagne dans mon urine.

Papa...

Je suis là, je vais m'occuper de toi.

Ronte totale.

Monstruux, tortures, bourreaux.

Je baisse un peu le drap.

Tu es complètement nu.

C'est la première fois de ma vie que je te vois nu.

Ils ont mis un lan, je m'a classé sous toi.

Tu marines dans l'urine, du milieu du dos jusqu'au cuis.

Depuis combien de temps, une infirmière n'est pas passée de voir.

Au minimum trois heures.

Alors que tu es en unité cardiologie en soins intensifs.

Votre papa est plus calme.

Mais on va commencer à lui administrer de la morphine,

pour qu'il soit plus confortable.

Non.

Non, docteur, ça, je vous l'interdit.

Ça, vous n'avez pas le droit.

Tu as tiré ta révérence un lundi.

Jour de relâche au théâtre.

Nous allons garder votre père dans cette chambre pendant une heure.

Et ensuite, vous ne le reverrez plus.

Les personnes qui ont le coronavirus sont placées nues dans une housse fermée.

Body bag.

Et il n'est plus possible de les voir.

Ils n'ont plus aucune limite.

L'immoralité est à son paroxysme.

Nous sommes dans l'air de la part barille.

Maman apparaît à ce moment-là.

Le visage diaphane.

À son bras, elle a un sac de voyage.

Il contient les vêtements de ton dernier voyage.

Mais je lui apprends qu'il est interdit de te couvrir.

Ni toilette, ni habillement.

Le 16 janvier, à 7 heures du matin,

nous voilà au funérarium de la pitié salpétrière.

Je vous ai porté des lettres de ces proches

que je voudrais que vous glissiez dans le cercueil.

Et ça, c'est une papillon.

J'aimerais que vous l'y metiez aussi.

Entendu, madame.

Voulez-vous que je fasse une photo

quand j'aurai personnellement mis les objets dans le cercueil ?

Il n'y a plus aucune descense.

Le monde a perdu la raison

et sa boussole morale.

On nous présente ensuite un cercueil fermé.

Est-ce toi ?

Nous ne le saurons jamais.

As-tu les mains unjointes ?

Nous ne le saurons jamais.

As-tu subi des ablations ?

Nous ne le saurons jamais.

As-tu été arrosé d'autres javels ?

Nous ne le saurons jamais.

Crier, je t'aime,

par-dessus toutes les souffrances qui vous sont infligées,

contre toute pudeur,

contre toute contrainte,

contre toute malédiction,

contre le déda des bruts,

contre le blâme des moralistes.

Crier le même contre un cœur qui ne s'ouvre pas,

contre un regard qui s'égare,

contre un saint qui se refuse.

Vous ne le regretterez pas,

car vous n'avez pas d'autres occasions d'être sincères.

Tout le bonheur du monde dépend de l'intensité de votre cri

qui passera de bouche en bouche à l'infini.

Votre cri vous fera grand

il rendira les autres.

Il vient de loin, il ira loin.

Il ne connaît pas de limite.

Parlez.

Les mots d'amour sont des caresses fréquendantes.

Les autres mots ne sont là que pour la commodité de la vie.

Mais c'est l'unique raison de vivre

et la raison de la raison,

la raison du bonheur.

...

Poème de Paul Eluard,

lu par Stéphanie Bataille

aux obsèques de son papa.

Je rappelle le titre du livre dont j'ai tiré cette histoire.

Mon histoire, c'est votre histoire

de Stéphanie Bataille

aux éditions de l'observatoire.

Des centaines d'histoires disponibles

sur vos plateformes d'écoute

sur europein.fr

Machine-generated transcript that may contain inaccuracies.

En janvier 2021 à Paris. L’acteur Etienne Draber meurt après avoir contracté la Covid à l’hôpital. Sa fille a été empêchée de le voir et n’a donc pas pu lui dire au revoir. Aujourd’hui, sa colère est toujours vive.