Bookmakers: Constance Debré (1/3)

ARTE Radio ARTE Radio 10/18/23 - Episode Page - 48m - PDF Transcript

Les écrivains au travail par Richard Guetté

Sur Arthéradio

On est tous constitués par une histoire drôle qui résume notre rapport au monde.

Et moi, il y en a une que j'adore.

C'est l'histoire du fou qui prend sa brossadone pour un chien.

Il est soigné pour cette pathologie, cette croyance, ce délire.

Il est hospitalisé, on estime qu'il est guéris, on va enfin le relâcher.

On lui dit bon, alors cette brossadone, qu'est-ce que vous pouvez m'en dire ?

Ah oui, c'est une brossadone, je ne sais pas comment j'ai pu croire que c'était un chien, je suis désolée, très bien.

Ok, vous pouvez sortir, vous êtes guéris, c'est formidable.

Il sort, il regarde sa brossadone et il dit, on les a bien eus, mais d'or.

La plupart des livres mentent. On est donc en droit de leur envouloir.

On devrait arriver à parler des livres normalement, arrêter de croire qu'ils nous surplombent,

les jeter contre un mur quand on n'est pas d'accord.

Les livres sont souvent bêtes.

La plupart des livres publiés valent moins, moralement, politiquement, esthétiquement, qu'un macdo.

Il fout un certain aplomb pour annuler, en cinq phrases, la quasi-totalité de la production littéraire contemporaine.

Ma première invitée de la saison, à qui l'on doit cette déclaration, n'en manque pas.

Quand Constance de Bré surgit en librairie en 2018 avec Playboy,

Brève autofiction qu'elle présente à 46 ans comme son premier roman,

cette fougueuse avocate pénaliste s'apprête à ranger au placard sa longue rôme noire à rabat blanc

pour entrer en littérature comme dans les ordres, en plus fun quand même,

selon la formule de Virginie des Panthes qui adore son écriture désinvolte mais dévorée d'anxiété.

L'envie n'a qu'il alors de dialoguer avec ses tassematiques parisiennes qui, sur le papier,

a le souffle de se rêver en héros, autrice en cinq ans de quatre livres à succès

dont le récent Offense, publié début 2023.

Constance de Bré apparaît à notre micro avec un cuir noir épais sur les épaules

et un chapeau mou marron posé sur son crâne rasé pour partager, dans ce premier épisode,

son enfance à la garçonne, ses lectures capitales de Blaise Pascal et Saint Augustin

ou ses premiers taffes dans les coulisses de l'Assemblée et les comptes en suboursier.

Elle en profita aussi pour clore le débat sur ces deux véritables premiers bouquins sortis en 2004 et 2007

intitulés « Un peu là, beaucoup ailleurs » et « Manuelle pratique de l'idéal, ABCDR de survie »

aujourd'hui renier parce qu'il manquait la volonté.

Elle allait pourtant jusqu'à inscrire dans ses pages initiales sa propre épitaph.

Cette épitaph est la suivante.

Elle ne plaisantait pas.

...

Bonjour Constance de Bré.

Bonjour.

Pour commencer, une question simple en apparence à laquelle je vous conseille de répondre sans trop réfléchir.

Quel est le mot qui correspond le mieux, selon vous, à votre œuvre, à votre univers littéraire ? Un seul mot ?

Je suis désolé, je peux pas.

Non, je fais des livres. Je fais des phrases et des livres et encore des phrases et encore des phrases. Je peux pas dire un mot.

Pour moi absolument qu'un sens, qu'un intérêt même.

Ok.

Et des mots qui reviennent trop souvent.

Les mots que vous chassez, que vous coupez à chaque fois.

Ce que je coupe ne correspond pas, me semble-t-il.

Enfin, à des mots qui reviennent trop souvent.

La répétition est une figure de style que je peux aimer d'ailleurs.

Vraiment, je trouve que c'est un truc de lycée, si vous voulez.

Ah, t'as déjà employé ce mot « training » plus tôt.

Donc là, il faut employer un synonyme.

Alors là, vraiment, j'ai l'impression d'être en cinquième.

Constance Debray, vous êtes né en 1972 à Paris.

Pour comprendre d'où vient votre œuvre, permettez-moi d'esquisser l'arbre généalogique dont vous avez de livres en livres, si et les branches.

On doit cette formule à mon confrère Arnaud Laporte de France Culture.

Pour résumer, vous êtes la petite fille de Michel Debray, le premier premier ministre de la Vème République sous la présidence du général de Gaulle,

qui dirigea la rédaction de notre actuelle constitution.

Michel était lui-même le fils de Robert Debray, médecin, à l'origine de la pédiatrie moderne et de la création des CHU de France.

Et ce sont comme vous, les descendants du grand rabbin de Neuilly-sur-Seine, Simon Debray, venu d'Allemagne à la fin du XIXe siècle,

et auteur en 1933 d'un livre sur l'humour judéo alzacien.

Dans le clan, on dénombre un maître de la peinture abstraite, de nombreux tout-bibes, cet académicien et un ex-président du Conseil constitutionnel, votre oncle, Jean-Luc Debray.

Mais vous êtes surtout la fille de Maélis Ibarnegaré, issu d'une noble lignée du Pays Basque, qui fut mannequin,

et de François Debray, qui fut journaliste, reporter de guerre en Afrique ou en Asie, et qui vivait plutôt en marge de sa famille.

Que lisez vos parents, qu'elles étaient leurs auteurs et autrices de chevets ?

Commençons si vous êtes d'accord par votre mère, cette femme, je cite, effrayante dans sa beauté, pour tout le monde et pour elle-même aussi,

une femme qui tutoie en permanence, jamais snob, une sorte de duchesse de parmes, comme chez Proust, vous écrivez qu'elle avait un goût presque physique des phrases,

des phrases des autres ou des siennes ?

Des siennes, alors ça c'est quelque chose qu'on retrouve complètement dans Proust, la manière de parler,

la manière de parler des guèrements, il en parle dans des pages et pages, et je crois qu'il y avait tout à fait ça dans la famille de ma mère.

Il y avait une langue, enfin une manière de prendre la langue, d'étirer les mots, enfin il y avait des discussions sur les livres que j'ai eus,

c'était plus tard, c'était avec mon père parce que ma mère est morte quand j'étais adolescente et donc au moment où moi,

je commençais à m'intéresser vraiment de près à ces choses-là, que j'ai eu des discussions avec mon père,

ou même qu'on allait ensemble à la une, à l'époque.

Qui est une librairie présidente ?

Oui, et qui est ouvert jusqu'à minuit, et on y allait tous les deux un souvenir, et qu'en plus, c'est donc qu'on achetait des livres,

et il me dit, tiens, c'est pas mal, il y ça.

Ça c'est une paix de ma vie, je pense, quand j'avais 18 ans.

C'est un bon souvenir après des années assez dures, et après la mort de ma mère,

ma sœur était petite, on était tous les trois, et en fait, on a une bonne discussion avec mon père.

C'était bien, quoi.

Mon père a passé pas mal de temps dans les hôpitaux pour des raisons de drogue,

enfin voilà, parce que des périodes de cure, ça a marqué toute sa vie,

et puis après, pour des maladies physiques qui ont fini par le tuer,

mais donc j'ai passé beaucoup de temps à aller voir mon père à l'hôpital,

et c'est tout un moment, c'est bon, que j'aimais bien, en fait.

Donc je lui apportais des livres.

Tiens, ça y ça, et puis, parfois, il me dit non, c'est pas de moi nul de ton truc.

Ah bon, tu crois, non, je suis pas d'accord.

On avait un goût commun qui était des romans policiers.

Quelque chose que j'ai toujours beaucoup aimé avec mon père, un type comme Manchette.

Jean-Patrick Manchette, auteur du petit bleu de la côte oueste,

de la position du tireur couché, où s'exprime bien son numéro des 1 volt.

Qui adapte, en quelque sorte, le roman policier américain, roman noir,

en France.

Il y a des passages, je sais plus dans lequel, sur le yoga, c'est hurlé de rire.

Il y a une fusillade dans un monoprix, qui est de mes passages préférés,

les livres que j'ai lu ces dernières années, enfin, il y a des choses géniales.

Dans votre livre Playboy, la narratrice, qui vous ressemble beaucoup beaucoup,

raconte qu'à 4 ans, son arrière-grand-père a insisté pour qu'on lui fasse des radios du cerveau,

une IRM censée expliquer la peur du néant qui tourmente la fillette.

Les médecins ne trouvent rien, on l'envoie chez une pédopsy,

elle joue avec ses poupées, qu'elle fait pisser sur la moquette,

puis on lui fait sauter une classe et elle laisse tomber la grande inquiétude.

Avez-vous sauté une classe ?

On oublie ce qu'on a écrit parfois, mais...

Bien sûr, oui, ça, c'est des choses tout à fait vraies.

Je ne fais que utiliser des événements vrais de ma vie vraie,

mais la classe que j'ai sauté, c'est peu de mérite,

ces dernières années de maternelle.

Je sais que j'ai une grande crise existentielle à cet âge-là,

c'est assez classique, c'était peut-être très fort chez moi,

mais vers quatre ans, quand on comprend qu'on va tous crever,

et donc qu'on va crever tout seul.

J'ai eu une période comme ça, je ne pouvais pas aller plus du tout,

aller en cours, enfin, en cours.

Je sais pas si on dit en cours, quand on va maternelle.

J'avais un tempérament inquiet et très sensible,

et je me souviens aussi de nangoisse très précise,

à la pensée de l'infini.

Mais même à la pensée abstraite, c'est des nombres qui n'avaient pas de faim.

Au calcul.

Et de l'espace et du temps aussi.

Je me souviens de ça, la nuit, c'était pour moi absolument terrifiant.

Du côté de ma famille paternelle,

on partit une famille de médecins,

c'était le cas de mon grand-père qui était encore vivant.

Donc tout ce qui relève de l'âme n'existe pas.

Tout est physique et physiologique.

Et ça, je me souviens d'avoir été un examen IRM.

Enfin, j'imagine que c'était un IRM du cerveau.

Je vérifie que c'était pas une tumeur ou je sais pas quoi, mais non, non.

Je suis pas guérite de l'orgoisse de la mort, enfin, évidemment.

Mais on fait avec.

Je suis fait comme si c'était pas grave, comme tout le monde sur Terre.

Quel est votre plus vieux souvenir d'écriture ?

Je veux dire l'écriture d'un texte, à vous,

aussi modeste soit-il, qui a produit de l'effet sur quelqu'un.

J'étais quasiment enfant unique,

parce que j'ai une petite sœur mais qui habitant de moins que moi.

Après, je pouvais faire venir entrer des copains ou des cousins.

Soit on jouait être soldats, détectives, des histoires de pirates, des histoires de chevaliers.

Chevaliers, nous défendrons l'honneur du royaume à la force de l'épée.

Mon joie, Saint-Denis !

C'est quoi, ce dragon ?

Ça passait aussi souvent par des lettres que j'écrivais.

Et je mettais de la cire là.

Petit saut du Moyen Âge.

Voilà, on fait ce genre de choses,

ou des fausse-cartes de police.

On se pique d'un petit.

Nous n'avons plus qu'une heure pour arrêter cette dangereuse cabrioleuse.

Elle a volé mon slip.

Il y avait un aspect matériel assez jeux,

de déguisement, de rôle, en quelque sorte.

Et dans ces aspects matériels, il y avait pas mal d'écriture, oui.

Je pouvais créer le journal du chevalier bidul, la lettre, l'agent secret, machin.

Chère agent X99,

votre mission, si vous l'acceptez, sera de retrouver ce microfilm

qui nous permettra enfin de remettre la main sur le chocapique.

Finalement, mon usage de l'écriture

relève de la performance dès l'enfance.

Parmi les premiers livres qui vous remuent,

il y a Le Compte de Montécristaux, d'Alexandre Dumas,

que vous avez lu à 13 ans.

Qu'est-ce qui vous plaît de temps

dans cette histoire de jeune marin trahi, jalousé,

emprisonné à tort pendant 14 ans au large de Marseille,

qui finit par s'évader pour reconquérir fortune et liberté

grâce à son intelligent.

Surtout quand on est enfant, mais il faut savoir que ça continue.

On est toujours pris par l'injustice, touché par l'injustice.

La définition de la justice dans ce livre, c'est la vengeance.

Il y a quelque chose, je crois, d'assez terrible,

mais qui est extrêmement satisfaisant.

Il va jusqu'au bout de la vengeance.

J'ai le souvenir d'un été où ce qui comptait,

c'était ce gros livre vert que je traînais.

C'est très agréable.

C'est les gros livres qui vous tiennent longtemps.

Ce qui est intéressant, comme déclaration,

quand on connaît la taille de volir.

Ben oui, moi je sais pas faire ça.

Mais en revanche, j'essaye de tenir l'électeur.

J'ai grandi dans des familles

où les femmes étaient viriles,

où elles chassaient, elles conduisaient, elles fumaient,

où les hommes pouvaient préférer dessiner,

lire rimbauds et ne pas aimer la chasse.

C'était gender fluide, la noblesse de maman

et la bourgeoisie de papa.

Au moins dans la lure, mais c'est déjà beaucoup pour moi,

c'était un bon point de départ.

J'ai eu ma première carabine à 15 ans,

cadeau de maman,

en cire mannequin, toujours parfumé, toujours maquillé.

A ton âge, il serait temps que tu apprennes à tirer,

conduire naturellement, je savais déjà.

À l'adolescence, à Paris,

ou lors de vacances en Bretagne,

vous aimez avoir les cheveux courts

et les mêmes shorts-reilles

et bleu et blancs que vos cousins.

Vous construisez des cabanes et des maquettes,

vous jouez avec des soldats J.A. Joe

et que votre père vous emmène aux puces

pour acheter des vêtements militaires.

Vous pissez debout, vous voulez vous engager dans l'armée.

En outre, vous priez le soir

pour que votre poitrine ne se développe pas trop.

Et vos parents sont cools avec ça.

Votre mère vous a dit un jour, je crois,

si ça pouvait te rendre heureuse, je te ferai greffer un zizi.

Vous écrivez dans votre livre Playboy,

à 4 ans j'étais homosexuel, je le savais très bien

et mes parents aussi, après c'est un peu passé,

aujourd'hui ça revient, c'est aussi simple que ça.

Des lectures qui vous ont aidé d'une façon

ou d'une autre, à accepter ce qu'on appelle

souvent un peu bêtement votre côté garçon

et je ne dis surtout pas garçon manqué

qui est encore plus bête.

Oui mais moi ça ne me gêne pas garçon manqué,

je trouve ça mignon.

Des lectures non pas la moindre.

Je disais des trucs de garçons,

ça m'allait très bien, moi j'étais tout à fait là-dedans,

mais je sais pas quand je regardais les représentations

des filles mais n'avais peu dans les livres,

en tout cas dans ce que je disais, je trouvais ça

moins débile.

Ce qui m'intéressait c'était l'aventure

je la suivais via des héros masculins,

moi je voulais être un héros,

ce que je finis par faire quand je fais

l'autofiction d'une certaine manière.

Vous êtes l'une des rares invités de ce podcast

à avoir eu un père écrivain.

François Debray rêvait d'être Albert Londres,

Joseph Kessel ou Henri de Montfred,

connaissait les guerres de l'opium,

les fumeries de Toulon, les paroles de Bob Dylan

et les dynasties chinoises.

À votre naissance, votre père a 30 ans,

ses articles paraissent en pleine page dans le monde

et il a déjà publié deux livres.

Suivrons un ouvrage sur le Cambodge

qui recevra l'une des plus hautes distinctions du journalisme,

le prix Albert Londres,

ou encore le livre des égarés

sur une famille juive d'Alsace

qui est nommée pour le concours.

Les avez-vous lu ?

Oui, bien sûr.

Est-ce que vous les aimez ces livres ?

J'ai pas relu ce que vous avez cité,

mais je pense avoir relu

ces tout premiers livres,

la 21ème chinoise

et puis un autre,

des livres de jeunes hommes,

de pure littérature,

pas ni romans historiques

comme le livre des égarés,

ni journalistiques

comme le livre sur le Cambodge.

Oui, bien, c'était pas mal.

Je pense que tout le monde devrait écrire.

J'aimais beaucoup mon père,

je me sentais assez proche de lui.

Un de ses regrets,

c'est de pas avoir assez écrit

et assez travaillé

aussi sur la question des reportages.

J'intéressais beaucoup.

J'aimais bien qu'il parle du travail,

pas la mort de ta mère,

vous, mes pauvres chéries,

comme je vous ai embêté avec ça.

Je parle de...

qu'il aurait aimé plus travailler.

Je pense que la drogue a été son destin.

C'est un destin que je respecte absolument.

Que chose de totalement...

contre tout,

et compris contre soi-même,

contre la raison,

contre la société.

Il y a une part de plaisir très importante,

je crois, dans tout ça.

Mon père et ma mère,

il y avait un respect absolu

de ce que pensent les êtres,

enfant ou pas enfant.

Et moi, je respecte

ce qu'il avait de sa vie.

C'était super dur pour lui,

pareil pour nous, c'est autre chose,

mais...

il était en face de quelque chose de vrai.

Je crois que vous avez un exemplaire

dédicacé de bonjour tristesse.

Est-ce que vous l'avez toujours, d'une part,

et qu'est-ce que,

son autrice, François Sagan, vous a écrit ?

Je ne sais pas très bien

où est ce livre, si je l'ai gardé ou pas.

Sagan, c'est quand même une figure qu'on aime bien.

Son allure, son attitude dans l'existence.

Certainement pas un mauvais écrivain, quand même.

Il y a failli à quelque chose de très...

impressionnant,

dans Mon Jour Tristesse.

Du fait du très jeune âge aussi,

où elle l'a écrit.

17 ans.

Donc j'avais 18 ans,

quand elle m'a fait cette dédicace.

Un truc banal, mais gentil, drôle.

Et j'aime aussi les circonstances

qu'elle m'a fait cette dédicace.

C'est simplement qu'elle partageait

avec mon père le même dealer.

Au début des années 80,

vous entrez en 6e

au prestigieux collège parisien Henri IV.

Lorsque l'univers familial commence à vaciller.

Motorisez-vous à évoquer ces épisodes difficiles

qui apparaissent en filigrane

dans trois de vos livres.

Bien sûr.

Ils vous arrivent de vous lever la nuit

et de voir vos parents allonger,

en train de fumer de l'opium,

ce qu'ils font parfois en compagnie de cinéastes

ou de hauts fonctionnaires,

voir d'un écrivain prestigieux,

Joseph Kessel,

résistant et auteur de l'armée des ondes

ou de belles-de-jour.

Puis, ils passent à l'héroïne.

Vous vous souvenez très bien

de ce moment de bascule.

Ils ne sont plus flamboyants,

deviennent malheureux,

consomment de plus en plus.

Il a des tremblements,

des crises de manques,

ils arrêtent de travailler,

sans dette.

Votre mère ne mange presque plus,

cache ses yeux sernées.

Vos parents vendent l'appartement

de l'avenue de l'observatoire,

s'installent à l'hôtel

et se retrouvent vite désargentés.

Puis locataires d'une sorte de HLM

derrière Montparnasse,

déclassement total,

selon vos propres mots.

Vous et votre sœur,

de huit en votre cadette,

séjournés chez vos grands-parents,

avec toujours les mêmes meubles,

les mêmes plats

et les mêmes phrases du grand-père,

l'ancien premier ministre

du Général de Gaulle,

qui commence par

« Les Français pensent que… ».

Puis, un après-midi de 1988,

vous apprenez que votre mère

a fait un malaise,

elle meurt peu après

d'une rupture d'anébrisme,

vous avez 16 ans.

Vous avez déclaré

l'expérience de la mort

d'un parent

lorsqu'on est jeune,

vous apprend qu'on peut survivre

au plus grand manque.

Cette grande douleur

donne beaucoup de force.

La pire chose

que vous pouviez imaginer

est arrivée.

Et en fait, ça va.

Votre père vit la mort

de sa femme comme une punition.

Ils s'enfoncent dans ses addictions

et passent ses journées

reclus dans sa chambre.

Quelques mois plus tard,

il est arrêté

en compagnie de son dealer.

Il sera ensuite interné

contre son gré à Paris

et enchaîne

ses jours en psychiatrie.

Est-ce que l'écriture,

à cette époque-là,

a pu vous consoler

d'une manière ou d'une autre.

Tenez-vous, un journal

et écrivez-vous des nouvelles.

Non, pas du tout.

D'abord, je ne crois pas

que l'écriture soit là

pour consoler.

Avant d'écrire

de vrai livre,

l'écriture n'existe pas.

Ou c'est pour le travail.

Quand je fais du droit,

il y a un travail

avec l'écriture, mais...

Non.

Etiez-vous bon élève ?

J'ai une période

où j'étais très mauvaise élève

et curieusement,

je suis redevenue

très bonne élève

après la mort de ma mère.

C'était très compliqué

à la maison avant.

J'ai complètement décroché.

Et après,

en fait, il y a une période

de calme,

évidemment de grand chagrin,

mais de calme.

Et là, j'ai retrouvé

un grand intérêt

pour les études.

Je me suis sentie tout à fait

sauvée

par les choses d'esprit.

J'avais un professeur

de français

fou mais génial,

tellement fou

qu'il était interdit

de correction en bac,

parce qu'il nous mettait

entre 2 et 5 sur 20,

et nous insultait vraiment.

Et à chaque fois,

on se faisait maltraité,

mais ça nous faisait du bien.

Il nous a appris à écrire.

Je pense que je dois beaucoup.

Il nous a appris à penser,

à structurer

ce professeur de lettre.

Il s'appelait Philippe Azoulay.

Et il était un peu fou.

Il s'habillait toujours

de la même manière.

Pantalon, gris, en flanelle,

un blaiseur bleu marine,

et évidemment,

il partait toujours une cravate.

Ça, c'était son costume d'hiver.

Et il était,

c'était la même chose

avec une veste,

me souviens,

sur ses coeurs,

bleu et blanche.

La crainte de tout le monde

quand on arrive en première,

c'était d'être dans la classe

d'Azoulay,

parce qu'on savait qu'on allait

souffrir.

Au lycée,

on vous met sous les yeux

les écrits du philosophe,

mathématicien et théologien

Blaise Pascal,

génie précoce des sciences

qui connut une expérience

mystique bouleversante,

et dont le livre emblématique

est une compilation

de pensées

en forme d'apologie

du christianisme publié

en 1670.

Vous avez dit

Pascal,

c'est une manière

de devancer l'angoisse,

celle du vide,

de l'abîme,

de la mort,

de la perte,

de l'infini.

Pourquoi ?

Comment est-ce que Blaise

vous met à l'aise ?

Ça,

je me dis,

tiens, enfin,

enfin, c'est sérieux.

Il y a chez Pascal

l'apologie du christianisme,

oui, mais enfin,

ça, c'est pas la part

qui m'intéresse.

Il y a surtout

un pessimisme radical,

la petite fille que j'étais

à 4 ans

avec cette très forte

crise d'angoisse,

quand des années plus tard,

je dis Pascal,

je suis là,

ben oui, c'est ça.

Au moins, voilà,

quelqu'un qui ne ment pas.

Et qui, disons,

fait un plaisir

de l'homme sans Dieu,

enfin,

de la condition humaine,

en fait,

en tir les conséquences

sur la société.

L'hypocrise et sociale,

je m'y retrouve complètement.

C'est-à-dire qu'on ne peut pas,

il me semble,

faire l'expérience

de notre tragédie,

la tragédie de la condition humaine,

et ensuite,

aller dans la société

va petit mousse,

le vent te pousse.

C'est impossible.

Ou alors,

on est vraiment des focus.

Après le bac,

vous démarrez des études

de droit à Assas,

près du Panthéon.

Qu'est-ce qui vous pousse

à étudier précisément ça,

le droit ?

Est-ce une tradition familiale

doublée d'une envie

de comprendre

comment est ordonné le monde ?

Oui, les deux.

Alors,

une tradition familiale, certainement,

quand on ne sait pas

quoi faire,

on va faire du droit

dans le milieu

dans lequel je grandis,

disons oui.

J'avais passé, donc,

de la 6e interménale en R4.

Hors de questions

que je continuais

avec les contraintes

d'une prépa,

j'avais pas du tout envie

de faire ça,

donc il fallait que j'aille

à la fac.

Il y a des cours d'enfis,

on y va, on y va pas,

ça te regarde

et on est une grande personne.

Tout il est de l'est,

moi j'ai un esprit

de contradiction,

je tiens dans l'autre sens.

Donc,

si un emploi du temps

j'y vais pas,

en revanche si on me disait

t'es pas obligé de venir,

bah là je peux venir.

Et je suis tombée

sur de très bons professeurs

de droit,

je pense que le droit

peut être très ennuyeux

et très bête.

Il peut être absolument

passionnant,

ça l'a été

pour essayer

de traverser

le chaos de l'existence.

Votre premier boulot,

c'est à l'Assemblée nationale.

Vous rédigez des notes

pour le président

de la Commission des Lois,

Pierre Mazot,

qui est considéré

votre grand-père

comme son père spirituel.

Pierre Mazot se rappelle

à votre sujet

d'une collaboratrice

enthousiaste et efficace.

Qu'apprenez-vous

à l'Assemblée ?

Il me fait marrer,

Mazot.

J'ai dû travailler jeune

parce qu'avec toutes ces

histoires de mère morte

et de père toxico

à l'hôpital,

il faut se débrouiller

par soi-même assez tôt.

Mazot avait entendu

parler de moi,

de ses amis,

qui étaient profs de droit.

Et donc, on commence

à discuter.

On n'était pas d'accord.

Et du coup,

il m'a dit,

si tu veux travailler

avec moi, viens.

Ce que j'ai accepté,

c'est qu'un d'assez pur.

Il était assez monomagnique.

Il avait la passion

de la montagne,

la passion

de la musique baroque

et la passion

de la politique.

Chose que je comprenais

moi.

Et c'était un grand juriste

à l'Assemblée.

Il n'avait pas beaucoup

à l'époque.

On s'est beaucoup

pangueulés.

Mais c'était chouette.

Vous angueulez

politiquement ?

Non, ça.

On ne s'engueule pas politiquement.

On peut avoir des discussions.

Après, il y a eu des histoires

de campagne.

Il fallait aller dans son bled.

Il m'avait prêté sa bagnole.

Je me suis fait enlever

la bagnole.

Il fallait choses comme ça.

Il m'engueulait.

C'est quelqu'un

d'assez sanguin.

Et moi, je pouvais

être assez têtu.

Mais c'était drôle.

Moi, je reste lié

à ma zone.

Rien que mon allure,

le fait que j'ai crâne

rasée,

des tatouages

ou ce que j'écris,

ce que je fais

des histoires familiales

doit lui être

totalement incompressible.

Voir le heurter profondément.

Mais ce qui est très

élégant de sa part

et moi qui me touche

beaucoup, c'est qu'il ne va

jamais le dire.

Il est toujours là,

ma petite constance.

Mais d'ailleurs,

il faut que je l'appelle.

Vous vous mariez

avec un avocat ?

D'abord, je rencontre

celui qui va devenir mon mari.

Il met des années plus tard

à la fac de droit.

Partir de notre vie,

raconter des épisodes

où il a un rôle moins

glorieux.

Mais c'était super.

C'est un 20 ans,

un peu ensemble.

On l'isait beaucoup.

Il y a quelque chose

de très,

comme il peut y avoir

dans ces amours

de jeunes gens,

quelque chose

d'un peu frère et sœur

et un peu,

j'aimais l'air.

On s'est fait du bien,

je pense.

Et la suite,

ce sont des études

de commerce à l'ESSEC,

à Sergi Pontoise,

en Levaldoise.

L'ESSEC,

à un moment,

j'ai compris que c'était

bien d'avoir un autre diplôme.

J'ai vaguement passé

ce concours, je l'ai eu.

J'ai dû passer 6 mois

à Sergi Pontoise.

Mais c'est aucune importance.

Puis un passage

dans un cabinet d'affaires américains.

C'était dans ces cabinets-là

qui était la plus haute

exigence intellectuelle.

C'est passionnant

parce qu'il faut être intelligent,

physiquement,

faut tenir.

Mais

l'objet de ce travail,

c'est l'époque

des fusions d'acquisition,

me paraît c'est

totalement incompréhensible,

voire immoral.

J'ai eu du mal

avec le commerce.

Et puis un manje,

non mais ça n'a aucun sens,

et je me suis tiré.

Vous rejoignez ensuite,

en stage,

le luxueux cabinet parisien

de Jean Denis Brodin,

qui fut entre autres

un ardent défenseur

de la présomption d'innocence,

l'avocat de Bernard Arnaud,

de Jean-Luc Lagardère

ou d'Ives Saint-Laurent,

et aussi,

sa pristie,

membre de l'Académie Française

de 1989 à 2021.

Brodin,

à l'époque,

ne venait plus beaucoup

au cabinet,

je pense déjà.

Enfin, je n'ai eu pas ça,

comme ça,

quelqu'un de toujours

très urbain.

Dans son cabinet,

vous vous spécialisez

en contentieux boursiers.

Ce qui suffirait,

si on me obligait à faire ça,

à me faire prendre

le premier bateau

d'Ile-Philgie.

Ah, vous ne savez pas

ce que c'est.

Qu'est-ce qui vous plaisait,

justement,

dans les contentieux boursiers ?

Y a-t-il une poésie

du placement qui dérape

ou des actions qui chute ?

Quand vous faites du contentieux boursiers,

vous n'êtes pas là

à dire,

je suis pour ou contre

la bourse.

Il y a un litige

sur un point de droit

et vous essayez

de réfléchir

avec le droit

et la langue.

Quand une fois,

je rappelle que ça,

c'est quand même

un truc essentiel

pour moi et pour la suite.

Il n'y a pas une autre matière

qui donne autant d'importance

à la langue.

Parce qu'en droit,

chaque mot

emporte

une qualification juridique,

c'est-à-dire

emporte des règles

qui sont contraignantes.

Si vous dites

contrat

ou si vous dites

complice,

vous avez un régime

éventuellement

des peines,

des contraintes

qui peuvent être

appliquées

avec la force publique.

Donc il faut être

très précis, en fait.

Quand vous faites

du droit,

vous écrivez des conclusions

juridiques.

C'est médical,

ça, j'adore.

J'ai fait du droit.

J'ai fait du droit

pour comprendre,

pas pour être avocat.

Avocat s'est venu plus tard

quand il a fallu choisir

son camp.

Ceux de ma famille

font la loi.

Je préfère plaider contre.

Ceux de ma famille

sont dans le camp des vainqueurs.

Je préfère les vaincus.

Mais le droit,

d'abord, c'était pour comprendre.

C'est comme ça

que je fonctionne dans la vie.

Souvent,

ça me prend beaucoup de temps.

Par exemple,

pour mon corps,

ça m'a pris 40 ans

de comprendre

ce que je devais en faire,

que je devais

ne plus m'embarrasser,

dire oui ou non

et puis c'est tout.

Je veux, je ne veux pas

pour tout,

un dîner,

un amour,

un métier,

sans se justifier,

sans s'expliquer.

J'ai fait du droit

pour comprendre le monde,

pour connaître la loi,

comprendre comment

la loi explique le monde,

comment elle leur donne,

vraiment,

matériellement,

dehors et dedans.

Pas comme la philosophie

qui n'est que dans la tête,

mais en vrai,

dans la vraie vie des gens,

dans leur tête

parce que le droit

est dans la tête des gens

et puis dans leur corps

et dans leur vie,

parce que le droit

est matériel,

parce que c'est partout le droit,

c'est tellement partout

qu'on finit par croire

que ce qu'on pense,

alors que c'est la loi,

alors que c'est l'ordre.

L'ordre du dehors

qui entre dans la tête des gens,

dans leur corps,

dans leur maison,

leurs amours,

leur sexualité,

le droit qui façonne les gens.

Tout le monde devrait faire du droit,

ça rend plus fort.

Les pauvres surtout,

pour parler à égalité

avec les autres.

Mais les pauvres ne font pas de droit,

ils ne font rien de ce qu'il faut.

Les pauvres ne font pas d'études

ou bien des études

qui servent à avoir du travail,

pas des études intelligentes

pour refuser le travail

et être fort.

Les armes de l'adversaire.

J'ai plein d'idées comme ça.

En 1996

Constance debrée,

non.

Pendant ce temps,

en 1996,

votre père se remet à écrire.

Peu après la mort de son propre père.

Il a 56 ans.

Dans le roman

autobiographique

30 ans avec Sursi,

il décrit la déchéance d'un fils

et la faille profonde

qu'il a menée à la drogue

et raconte aussi

pour la première fois

la mort de sa femme.

l'introspection à ciel ouvert suscite le malaise chez les deux brés, mais votre père

ni attache semble-t-il pas beaucoup d'importance. Quel leçon avez-vous tiré de ce geste,

l'introspection sous le manteau de la fiction, faisant fi du candidaton, ce que vous ferez

en quelque sorte 20 ans plus tard ? Quel regard portez-vous sur cet ouvrage ?

J'étais très hausse qu'il l'écrive parce que c'est quand même un moment où il reprend

un peu d'un force. C'est dans ce livre que j'ai lu le détail de la mort de ma mère.

Il commençait à passer quand il avait été la chercher dans le café et qu'il l'avait

déposé aux urgences. J'allais pas lui demander si c'était trop violent et donc c'était

passé par un livre. Je pense pas du tout que c'est la moindre incidence sur mon travail

et après vraiment non, pas du tout. Par ailleurs il passe par un personnage inspiré

de lui-même, enfin c'est à la troisième personne, de mémoire il s'appelle Bertrand.

Non moi je préfère le côté un peu beaucoup plus ambigu je pense et plus direct de la première

personne. Après trois ans à traiter les comptes en

suboursier, vous ennuyez. Vous traversez une profonde phase de doute. Au même moment

vous héritez de votre grand-mère maternelle décédée en 2001, une somme qui vous permet

de vivre sans travailler et donc de réfléchir. Ce qui se traduit dans les faits par quatre

années mossades que vous avez une fois résumé ainsi. Je fais ma crise d'adolescence, j'achète

un chien, je lis, j'écoute de la musique, je ne vois personne.

J'ai hérité d'un peu d'argent, pas des masques mais un peu. Mais surtout oui, le

barreau d'affaires me paraissait absurde et j'essayais de trouver du boulot mais honnêtement

je ne savais pas quoi et surtout personne n'en avait rien à foutre de moi. J'avais

pensé au journalisme mais ça ne marchait pas. Donc je galerais, je ne savais pas quoi

faire et j'avais un chien. La période chienne, mais ça se finit.

Vous suivez votre mari aux États-Unis ? Où ça et pendant combien de temps ?

C'est tellement bizarre quand vous dites votre mari parce qu'on ne s'est jamais appelé

comme ça. Je dis mon mec, je l'appelais par son prénom, mari et femme, c'est grand

d'ailleurs c'est marié très tard. Donc on est parti aux États-Unis, à New-York,

je pense un an. Lui est un moitié américain. Dès que je pouvais faire un stage, j'allais

à New-York, j'allais m'aimais été accepté dans des facs américains avec des bourses mais

bon, j'étais acceptée à Columbia et Noyau, New-York University en droit mais je ne suis

pas allée parce que c'était trop cher d'y vivre un an. Je ne gagne pas ma vie à cette

époque-là et j'essaye d'écrire un premier livre. J'ai vaguement un peu de ronds qui

me reste. J'ai commencé par des métiers où j'étais bien payé et maintenant systématiquement

je baisse mes revenus.

Est-ce que c'est à ce moment-là que vous vous mettez à lire très fort les Confessions

de saint Augustin ?

Est-ce que c'est à cette époque-là ? Aucun souvenir, enfin c'est pas un livre très

underground, c'est assez facile de tomber dessus, le mec n'est pas assez totalement

inaperçu.

Alors justement, rappel.

Ouais.

Augustin Dipone, ou saint Augustin, né et mort en Algérie entre 354 et 430 après Jésus-Christ,

donc il y a très très longtemps, est un philosophe et théologien chrétien qui fut l'évêque

d'un porc côté algérien. Il est l'un des quatre pères de l'église occidentale parce

qu'il a permis, si j'ai bien compris, au christianisme d'intégrer une part de l'héritage

grec et romain. Il est parfois désigné comme le penseur le plus influent du monde

occidental jusqu'à Thomas d'Aquin, au XIIIe siècle, soit près de mille ans plus tard

s'appelle son homme. Il sera également la figure clé d'un nouveau genre littéraire

en occident, l'autobiographie, à cause d'une oeuvre maîtresse, que vous avez je

crois compulsivement lu, ses confessions, dans lesquels saint Augustin entend à la fois

avouer ses péchés et ses fautes à Dieu, mais aussi proclamer la gloire de son Seigneur.

Cet œuvre, constitué de 13 livres, a été écrite en latin en 4 ans, entre 397 et 401,

à l'époque il a 45 ans. Augustin y confesse donc son rejet de l'école et son goût pour

le jeu, un vol de poire, son goût pour l'astrologie, la mort d'un ami ou la mort de sa mère,

très envahissante, qui le suivait partout, sur terre et sur mer, ses amours impurs et

sa concubine de cartages qui lui donnera un fils, et même une toute simple érection

à 16 ans dans des bains publics, laquelle est réaction, selon le professeur Stephen

Greenbalt de Harvard, a donné beaucoup trop d'écho au concept de péché originel.

En toute lucidité, on voit donc un pont de l'église jeter sa vie à la merci des

admirateurs comme de ses adversaires, donnant des armes à la polémique au dénigrement,

et comme l'a écrit Frédéric Boyer en préface de sa nouvelle traduction des confessions

chez P.O.L. paru sous le titre Les Aveux, la nouveauté tient au projet de présenter

le soi comme fiction adressée aux autres et à soi.

Le texte, enfin, marqueur à des philosophes comme Jacques Derrida ou Ludwig Wittgenstein

ou des augres en quête de spiritualité comme Gérard Depardieu.

Pour vous aussi, c'est une grande affaire, ce texte, que vous apprendt-il ?

Ah c'est merveilleux ! D'abord, il y a effectivement l'écriture à la première

personne.

C'est quelque chose que j'ai toujours beaucoup aimé et c'est bouleversant quand c'est

quelqu'un qui vous parle depuis le fond du temps dans un monde qui n'est vraiment

plus du tout le nôtre.

Il a pris l'existence très au sérieux.

La même chose, c'est Pascal.

J'aime beaucoup les récits, les existences dans lesquelles il y a une césure et une

conversion, quelle qu'elle soit, d'un moment où on semble comprendre quelque chose et on

va mettre en application pour soi-même cette prise de conscience.

C'est très beau et c'est ça Augustin.

Il y a surtout deux parties, c'est la vie d'avant, celle dans laquelle on se reconnaît,

on se sent beaucoup plus proche d'Augustin avant.

Augustin qui raconte, c'est quand même lunaire, père de l'Église, qui raconte une érection.

Il y a ce truc du vol de poire qui est très beau quand il raconte son plaisir pour le

vol de poire.

Donc on se sent très proche et à un moment, il va rompre toutes les pages sur l'amour

de Dieu.

Là, je décroche un peu.

Mais oui, il y a un jeu qui est pris très au sérieux, être sur terre, c'est quelque

chose de très sérieux.

Qu'est-ce qu'on doit faire de soi ?

Moi, c'est la grande question, c'est la seule qui m'intéresse et pour ça que tout

d'un coup, j'ai adoré la philo, qu'est-ce qu'on doit faire de soi ?

Dans l'un de vos livres, dans non, vous dites que vous avez Sainte Auge tatouée sur le

cul.

Je suis tenté de vous demander si c'est vrai.

Oui, absolument.

En tout petit.

Et je ne le vois pas par définition, enfin, c'est rarement.

Mais d'autres le voient.

Je ne sais pas.

Soyez-vous d'accord pour nous lire quelques fragments des confessions de Sainte Augustin ?

Je vais essayer, oui.

Ma beauté s'est desséchée.

J'ai pourri sous tes yeux.

Je me plaisais en cherchant un plaire aux yeux des hommes.

Mon plaisir, aimer et être aimé.

Je cherchais quoi aimer et m'en aimer.

Je haïssais la sécurité.

Les chemins s'entraquenaient.

Au fond de moi, j'étais affamée.

Feux, soupirs, pleurs, agitation.

Jamais de repos ni de recul.

Je portais mon âme déchiquetée et sanglante.

L'horreur était partout.

Je n'aimais pas ce que je faisais dans le monde.

C'était devenu écrasant pour moi.

La douleur de mes souvenirs m'a arraché de nombreux cris profonds et puissants.

J'aurais aimé que ceux qui aiment toujours le vide

et sont toujours à la poursuite du mensonges les entendent.

Boulverser.

Ils auraient peut-être tout vomis.

Pas mal.

Boulverser.

Ils auraient peut-être tout vomis.

Quatrième siècle.

Oui, la question est toujours la même.

Il y a quelque chose d'insupportable à voir les autres qui font

comme si tout va bien, qui ne vomisent pas justement.

C'est une espèce de colère qui nous sauve du désespoir et on va de l'un à l'autre.

Il n'y a pas que ça.

Mais c'est très beau.

C'est drôle parce que cet extrait des confessions résume un peu

la couleur de votre premier livre publié, intitulé

« Un peu là, Poucou ailleurs » qui sort en 2004 aux éditions du Rocher.

La première phrase donne le temps.

J'existe très peu, physiquement.

Je suis vague, brouillé, incertaine.

Je suis à peine.

Sur 110 pages, la narratrice se décrit presque comme un fantôme.

Quelqu'un qu'on aurait oublié d'informer de sa mort,

qui ne reçoit des autres qu'une indifférence grise,

qui vieillit silenciement, qu'on lui adresse le discours gentil,

qu'on réserve parfois aux enfants.

Elle ne fait rien, elle attend,

elle ne gagne pas le moindre franc,

le tout dans un confort petit bourgeois décrit comme désespérément propre.

Elle aime son asme et ses insomnies,

déclare qu'il n'est pas dans sa nature d'être heureuse,

se demande si elle va totalement disparaître.

Le mot mensonge revient souvent,

de même que les mots peur et angoisse,

de même que les notions de floue ou de déception.

Extrait, quitter, partir, décevoir.

Voilà bien la seule chose que j'ai jamais su faire,

et que je fasse toujours avec une constance exemplaire.

Je déçois. Est-ce que ça ne sonne pas comme une devise ça ?

Pfff, franchement.

Voilà pourquoi j'ai bien fait d'arrêter d'écrire un certain nombre d'années,

parce que c'était complètement un espèce de truc adolescent,

ou c'est pas complètement nul, mais ça n'a aucun intérêt.

Je peux vous poser quelques questions quand même sur cet ouvrage ?

Je peux pas sure d'y répondre, mais allez-y.

La narratrice dit qu'elle n'était pas partie pour écrire,

qu'elle n'en a nullement l'intention,

mais que l'écriture l'a prise, comme dans un exil.

En quittant les cabinets d'avocats, je voulais terminer une thèse,

et puis finalement je me suis mise à écrire ce texte.

C'est la première fois que j'écrivais.

Je crois que la personne qui était derrière a été encore trop floue,

et c'est un bouillon, voilà.

Dans ce livre, votre alter ego formule ce qui fait peut-être

figure de petits piliers théoriques de votre pratique.

À ce que je suis et à ce qu'il m'arrive,

je m'intéresse assez peu finalement.

Et seulement en ce que cela peut me mener vers cette chose imprécise,

et pourtant certaine, qui m'obsède,

que l'on pourrait nommer par convention vérité.

Et qu'il me semble parfois approché à travers ce jeu,

dont je me serre, comme d'un instrument d'optique.

Ça, vous allez beaucoup le répéter par la suite.

C'est vrai.

Ce qui me gêne, en fait, dans ce livre, c'est le ton de conflétion

que je crois que j'ai moins dans les autres.

L'écriture à la première personne, point commun global

à tous vos orages, c'est un microscope pour voir mieux,

à partir de l'étude d'un cas particulier,

des vérités partagées par le plus grand nombre.

Là, il y a quelque chose de flou et que ce soit pas complètement con.

Cela n'a aucune importance, c'est pas la question.

C'est pour ça qu'il n'est pas réussi.

Ce qu'on fait de cette première personne n'est pas clair.

Ce qui m'intéresse, c'est le projet littéraire.

Je commence à le trouver avec Playboy.

Et c'est celui de qu'est-ce qu'on fait avec le jeu et on va le saisir.

C'est vraiment l'instrument.

Ça, c'est génial.

Après, la seule question de la littérature,

c'est évidemment la question d'universalité,

d'une solitude dont on ne peut pas sortir et de ce qu'on sent du monde.

J'aime lier les livres comme des modes d'emploi.

De l'existence ?

Oui, bien sûr.

Quoi d'autre ?

Dans ce livre également,

sur votre méthode, vous dites quelque chose qui peut-être n'a pas changé.

À mesure que j'avance, je coupe, je retranche.

Plus encore que je n'ajoute, j'avance à reculons,

toujours plus lentement, toujours plus près de l'immobile.

Anaratrice dit qu'elle sculpte la matière au fur et à mesure.

Je sens, je tâche, je creuse.

Est-ce que c'est toujours comme ça ?

Pas de plan ? Écrire à l'instinct ?

Pas de plan, non.

Ça, c'est vrai.

J'ai jamais fait de plan.

Même si j'ai quand même quelques idées de structure.

Oui, il y a des idées.

C'est pas l'amuse, l'homme souffle à l'oreille.

J'écris comme ça.

La production du texte même, c'est pas 3% de mon travail.

Le reste, c'est de retravailler la forme.

Relire et écrire, relire et écrire, relire et écrire tout le temps.

J'ai eu ma première crise d'asme à l'âge de mes premiers mots.

Parce que je ne sais pas parler, parce que je ne sais pas respirer,

parce que je traverse l'existence, la gorge serrée, j'écris.

Et le repli de l'écriture est comme celui de la crise d'asme.

Écrire pour retrouver, pour réinventer en moi le souffle qui me manque,

écrire chaque phrase sous la menace de la plnée,

écrire le cordon dû par l'effort, sans plaisir, sans intention,

juste pour persévérer dans l'être, juste pour être là.

Cette maladie qui vous étouffe, la nuit surtout,

croyez-vous que cela puisse être l'origine de votre usage si fréquent des phrases courtes,

parce que physiologiquement, vous manquez de souffle.

La question de l'asme, oui, ça a été très important dans ma vie.

Certainement constituer mon rapport au monde anxieux de mon enfance.

Puis c'était une époque où les médicaments n'étaient pas très évolués,

donc franchement, c'était spécial.

Détouffé.

Quand on est comme ça, quand on n'a pas de souffle, on n'a pas d'air.

En fait, il faut être extrêmement calme et extrêmement concentré

pour ne pas s'affoler et arriver à tenir le peu d'air qui entre.

Tout le monde est affolé autour de soi, mais il faut être super calme

avec un truc qui est assez en voie.

Donc c'est aussi une éducation,

écrivain les plus connus qui avait de l'asme prouste,

et puis un écrivain que j'adore,

mais vraiment que j'adore qui est Thomas Bernard.

Et les deux, c'est des phrases qui n'en finissent pas.

C'est des phrases qu'ils peuvent faire quatre pages.

Non, je pense que ce n'est pas la raison pour laquelle j'aime les phrases courtes.

Je peux aimer les phrases courtes parce qu'elles ont un truc,

pas fa, fa, fa, que j'aime beaucoup.

Plus prélude de Bach que asme.

Pam, pam, pam, comme ça.

Oui, il y a un truc, quelque chose qui fin d'un peu brutal dans les phrases courtes.

C'est un peu...

D'accord, un peu red aussi.

C'est pas la narration, les rondeurs, le machin, non, c'est pas...

Pouf, pouf, pouf.

C'est comme le rap, si vous voulez, c'est un truc comme ça.

Ça, ça, j'aime beaucoup ça.

Par quel hasard, publiez-vous ce livre aux éditions du rocher basé à Monaco.

Avez-vous un contact dans la principauté ?

Non, mais ils avaient un truc à barrer, mais personne ne voulait de mon livre.

J'ai galéré.

Donc c'est un envoi par la poste ?

Ah bah oui.

L'avez-vous retravaillé avec un éditeur ou une éditrice ?

J'ai aucun souvenir, mais je crois, ouais.

Il se vendra 839 exemplaires de ce premier livre.

C'est pas si mal, vous m'apprenez quelque chose, tiens.

Non, non, mais en fait, je ne veux plus dire un mot de ce livre, en fait, c'est fini.

Faites ce que vous voulez vous, mais moi, je me t'aime.

Je signale que, 3 ans plus tard, en 2007, vous publiez toujours aux éditions du rocher

un manuel pratique de l'idéal sous-titré ABCDR de survie,

qui prend en effet la forme d'un ABCDR.

Il sauve sur une citation de Balzac, tirée de sa théorie de la démarche en 1833,

qui peut fournir une définition à la fois de sa démarche littéraire et du lectorat rêvé.

Je parle pour les gens habitués à trouver de la sagesse dans la feuille qui tombe,

des problèmes gigantesques dans la fumée qui s'élève,

des théories dans la vibration de la lumière,

de la pensée dans les marbres et le plus horrible des mouvements dans l'immobilité.

Je me place au point précis où la science touche à la folie,

et je ne puis mettre de garde fou.

Vous soulevez les sourcils alors qu'il y a pas mal de passages de ce livre-là qui m'ont intéressé.

Je dis juste, que s'en suivent des dizaines d'aphorismes,

de bons mots, classés par ordres alphabétiques,

des réflexions assez lapidaires, tanteaux inspirés, tanteaux fumeuses,

souvent drôles et pince sans rire.

Prenons par exemple, autre définition des tripes.

Se trouvent dans les boucheries, je fais pas ça.

Alors je passe.

Merci.

Il y a quelque chose qui est totalement essentiel,

qui vous donne un peu la raison pour laquelle je ne veux pas

tellement entrer dans les détails des premiers livres,

c'est que pour moi, je comprends

ce que je veux écrire,

plutôt comment je veux écrire,

après avoir été avocat pénaliste.

Mon écriture vient de là.

C'est justement là que je comprends.

Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org

Machine-generated transcript that may contain inaccuracies.

Les circonstances

Bookmakers #26 - L'autrice du mois : Constance Debré
Née en 1972 à Paris, Constance Debré se décrit parfois comme « le baron de Charlus option Sid Vicious ». C’est-à-dire : un authentique noble proustien, raffiné et ambigu, qui aurait mis les doigts dans la prise du punk des Sex Pistols, avec le désir revendiqué de « dire la violence » et « l’obscénité » de nos « vies lamentables ». « C’est jubilatoire », confie-t-elle avec un léger chuintement dans la voix, qu’elle nomme avec humour son « accent snob ». Ex-avocate pénaliste, elle est surtout l’autrice, en seulement cinq ans, de quatre livres à succès principalement autofictionnels, épurés et nerveux, en rupture avec les conventions sociales ou familiales, de « Play boy » (Stock, 2018) à « Offenses » (Flammarion, 2023).

Constance Debré (1/3)
« La plupart des livres mentent. On est donc en droit de leur en vouloir. On devrait arriver à parler des livres normalement, arrêter de croire qu’ils nous surplombent, les jeter contre un mur quand on n’est pas d’accord. Les livres sont souvent bêtes. La plupart des livres publiés valent moins, moralement, politiquement, esthétiquement, qu’un McDo. » Il faut un certain aplomb pour annuler, en cinq phrases, la quasi-totalité de la production littéraire contemporaine. Quand Constance Debré surgit en librairies en 2018 avec « Play boy », brève autofiction qu’elle présente à 46 ans comme son premier roman, cette fougueuse avocate pénaliste s’apprête à ranger au placard sa longue robe noire à rabat blanc, pour « entrer en littérature comme dans les ordres, en plus fun quand même », selon la formule de Virginie Despentes – qui adore « cette écriture désinvolte, mais dévorée d’anxiété ».

Elle apparaît à notre micro un cuir noir épais sur les épaules, chapeau mou marron posé sur son crâne rasé à blanc, pour partager, dans ce premier épisode, son enfance à la garçonne, ses lectures capitales de Blaise Pascal et Saint-Augustin ou ses premiers tafs dans les coulisses de l’Assemblée nationale et les contentieux boursiers. Elle en profite aussi pour clore le débat sur ses deux véritables premiers ouvrages parus aux éditions du Rocher, « Un peu là beaucoup ailleurs » (2004) et « Manuel pratique de l'idéal » (2007), aujourd’hui reniés… « parce qu’il manquait la volonté ». Constance Debré allait pourtant jusqu’à inscrire en ces pages sa propre épitaphe : « Ci-git (…), elle ne plaisantait pas. »




Enregistrement : septembre 2023 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Montage : Mathilde Guermonprez - Musiques originales : Samuel Hirsch - Piano : Vincent Erdeven - Lectures : Samuel Hirsch, Manon Prigent - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Clarisse Le Gardien, Joseph Hirsch, Lou Marcelet, Alicia Marie - Production : ARTE Radio

- Samuel Hirsch