Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: [BONUS] - La bataille de Marie Deroubaix pour l’euthanasie

Europe 1 Europe 1 11/1/23 - 16m - PDF Transcript

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On de l'âtre raconte.

Christopher de Lattes.

Aujourd'hui, je vous raconte comment Marie de Roubaix, 58 ans, décide en 2011 de se faire euthanasier en Belgique.

Évidemment, j'ai peur de mourir comme tout le monde. Je sais que je vais mourir, mais j'ai surtout peur de souffrir.

Mais à un moment donné, voilà, on pourra pas aller au-delà et je serais obligée de prendre une décision pour éviter les souffrances.

Parce que je ne veux pas souffrir.

Quand elle prononce ses mots, le 14 octobre 2011, devant les caméras de l'émission 7 à 8 de TF1,

Marie de Roubaix sait qu'elle est condamnée.

Elle a 58 ans, on lui a diagnostiqué plusieurs tumeurs cancéreuses au cerveau.

Le médecin lui a dit que c'était incurable.

Elle ne veut pas finir comme un légume.

Elle veut s'éviter toutes ses épreuves et les éviter à sa famille.

Elle a donc choisi l'euthanasie.

Et pourtant, il y a encore 6 mois, elle dévorait la vie.

Marie, elle avait vaincu un premier cancer, un cancer du poumon.

Son pneumologue lui avait dit,

« Madame de Roubaix, votre poumon est parfait. Vous êtes complètement guéris. Revenez l'année prochaine. »

Alors elle était repartie comme en 40.

Et c'est en avril que tout a basculé.

Son mari est en voyage d'affaires.

Elle organise un dîner entre filles chez elle.

Il y a quelques semaines, elle s'est mise au théâtre.

Alors elle est là, debout face à ses copines,

et elle leur joue une petite scène de fédot,

et son ami Michel lui donne la réplique.

Et tout d'un coup, elle sent que sa jambe droite se dérobe et vlan.

Elle tombe en avant.

Ses copines se précipitent pour la relever.

Ça va ?

Tout va bien, Marie ?

Oui, oui, je ne sais pas ce qui m'est arrivé.

T'inquiète pas, ça nous arrive à toute.

On ne va pas vers le mieux.

Et elle rigole toutes ensemble.

Et elles enchaînent.

Mais dans les jours qui suivent, c'est bizarre.

Par exemple, quand elle monte un escalier,

son pied accroche toutes les marches.

Elle a du mal à contrôler sa jambe.

Et puis il n'y a pas que son pied qui dégoise.

Sa main aussi se recroque-ville chaque jour un peu plus.

Alors elle prend rendez-vous avec son rheumatologue ?

Il ne trouve rien.

Mais il l'envoie chez un neurologue

qui lui prescrit une IRM du cerveau.

Et là, là c'est la tuile.

Sur l'IRM, le radiologue voit

une, deux, trois, quatre, cinq,

trois tâches.

Et puis en cherchant un peu, quatre, cinq,

six tâches au total,

six tumeurs cancéreuses au cerveau.

Je ne vais pas vous mentir, madame.

Des métastases de cette taille,

on ne peut pas opérer.

Je suis désolé.

Alors, c'est fini ?

C'est fini pour moi ?

Et ben vous savez quoi ?

Je vais tirer le rideau,

avant que le spectacle soit terminé.

Vous savez quoi ? Je vais me faire euthanasier,

en Belgique.

Mais non,

vous n'en êtes pas encore là.

J'ai une patiente qui a tenu neuf ans

avec des métastases au cerveau.

Quand il dit qu'elle n'en est pas encore là,

le neurologue pense chimiothérapie,

il pense rayon.

Mais pour Marie, c'est non.

C'est clair dans sa tête,

dans son livre et l'écrit,

en France,

il faut souffrir jusqu'au bout.

Tu enfentras dans la douleur,

dit le tout puissant.

Il n'a jamais dit que je sache,

tu mourras dans la douleur.

Je n'ai pas honte de le dire.

Je refuse la souffrance.

Quand on est replié sur son mal,

on ne vit plus.

Depuis son cancer au poumon,

Marie est inscrite à l'association belge

pour le droit de mourir dans la dignité.

En fait,

elle m'en a parlé depuis de nombreuses années,

mais en me disant,

tu sais, moi un jour,

si vraiment ça ne va plus du tout,

je ne me vois pas du tout agoniser

sous morphine avec des tuyaux,

nourrir artificiellement,

en étant drogué.

Mais comme c'est des sujets

qu'on n'a pas envie spontanément,

je lui disais oui, oui, très bien.

Pourvu que ça n'arrive jamais.

Malheureusement,

c'est revenu pour elle.

On a immédiatement compris

qu'elle n'avait aucune chance de s'en tirer.

Et là, elle m'a dit, tu te souviens de ce qu'on s'est dit.

Maintenant, il faut m'aider.

L'aider.

L'aider, mais l'aider comment ?

Au début, Marie pense au suicide assisté

qui est autorisé en Suisse.

La différence avec le Tanasi,

c'est que le patient prend lui-même le brevage

qui l'envoie à Patresse.

Et puis finalement, elle y renonce

et elle choisit le Tanasi

et donc la Belgique où le geste est réalisé

par un médecin.

Au début, on a tâtonné aussi,

parce qu'en Belgique,

certes, la loi existe,

mais c'est pas pratiqué comme ça

tous les matins pour tout le monde.

Il y a des conditions extrêmement strictes

et les médecins doivent être volontaires.

Vous arrivez là, on commence par vous dire

alors vous êtes qui vous ?

Vous êtes français ?

On va vous examiner, on va faire les examens.

Évidemment, c'est normal d'ailleurs.

Dans le système médical belge,

qui lui a une échappatoire.

Voilà, c'est ça la différence.

Mais tous les médecins belges, d'ailleurs,

ne pratiquent pas ces actes non plus.

Il faut donc trouver un médecin

et le convaincre de Tanasi et une française.

Les médecins belges, c'est normal,

ne veulent pas être considérés

comme les liquidateurs de toute l'Europe.

Et c'est le début d'un long processus.

Paris, Bruxelles, Bruxelles, Paris,

Marie et son mari Bertrand

font la route tous les 15 jours.

C'est qu'en Belgique, où le Tanasi est légal,

on ne se fait pas au Tanasi comme ça.

Il faut monter un dossier

et pour commencer, trouver un premier médecin.

Ce sera un médecin de l'Institut Bordier de Bruxelles,

qui comprend tout de suite.

Je devine bien entendu

la raison pour laquelle vous venez me voir, madame.

On ne va pas faire semblant, n'est-ce pas ?

Avant tout, il faut qu'on fasse un bilan complet

de votre état de santé.

Il faut que vous rencontriez des spécialistes.

Si vous demandez le Tanasi,

il faut que vous soyez informé

de toutes les possibilités de traitement.

Quitte à ce que vous les refusiez.

D'accord ?

On ne peut pas transiger sur ce point.

Fin juin 2011,

deux mois après le diagnostic,

à force d'aller autour,

le dossier est complet.

Et heureusement,

parce que Marie a de plus en plus mal.

Sa jambe droite est de plus en plus faible.

Son pied traîne au sol.

Son bras est de plus en plus atrophié.

Et puis il y a les vertiges,

les mots de tête,

et ses fichus bourdonnements dans ses oreilles.

Reste à trouver maintenant

le médecin

qui acceptera de le Tanasi.

Évidemment, ce ne sera pas le cancerologue

qui a monté tout son dossier,

mais c'est lui qui envoie Marie

vers un généraliste qui fait ça,

des euthanasies.

Nous sommes au milieu de l'été 2011,

trois mois,

après le diagnostic,

c'est son dernier été.

Et lui reste à dire adieu

à tout ce qu'elle aime.

Cet été 2011,

c'est le dernier été de Marie.

Elle sait qu'elle va partir bientôt.

Alors elle veut voir une dernière fois tout ce qu'elle aime.

Et au moment de partir,

vous savez,

on ne se reverra plus.

Et à chaque fois,

ça se termine par des larmes, bien sûr.

C'est difficile en vérité

de profiter de la vie

quand on a décidé de mourir.

Mais il y a des choses qu'elle veut absolument

faire avant de partir.

Par exemple, le petit manoir en ruine

qu'elle a acheté dans Lyon, avec Bertrand,

elle veut absolument

finir les plans des dépendances

et prévoir la décoration.

Marie veut aussi que tout soit prêt

pour le jour où.

Elle choisit son cercueil

dans un magasin de pompes funèbres

de Belgique. Il sera blanc,

capitonnait Ivoire.

Elle réserve aussi le funérarium

et elle fait préparer sa tombe

dans le parc de leur manoir de Lyon.

Quand arrive la fin de l'été,

ça devient

très difficile.

Des motocranes très violents,

dès le réveil, qui peuvent durer des heures,

le bruit qu'elle ne supporte plus.

Ces muscles qui s'atroffient

et puis son odorat

qui se déglingue.

Tout sans mauvais, mélange de terre brûlée

et d'ammoniaque.

Sans compter ces crises d'épilepsie

de plus en plus nombreuses et les doses

de cortisone qu'il faut augmenter

son cesse.

Tout les mois ça grossit,

donc ça peut aller très vite.

Donc voilà, dès demain

je peux organiser mon euthanasie.

Désormais,

Marie a besoin de Bertrand

pour se laver, pour s'habiller,

pour se chausser.

Mais, bouffie par la cortisone,

elle se maquille et se coiffe toujours elle-même.

Vous voyez, je suis coiffée,

je suis en fin de vie, mais je m'occupe

de moi.

Je pense que mourir dans la dignité

vis-à-vis de ces proches, en étant toujours

bien, c'est aussi très important

pour leur laisser un souvenir, un bon souvenir.

Trois jours après cette interview,

accordée à l'émission CETA 8 de TF1

et qu'il est convenu de diffuser

après sa mort, le 17 octobre,

4 mois après le diagnostic,

Marie se réveille

en vomissant.

C'est la première fois.

Les heures qu'on suivit, les jours qu'on suivit,

elles s'étaient fondrées complètement.

Elles pouvaient plus marcher, elles pouvaient plus rien faire.

Rien ne soulagait ces mots de tête.

D'ailleurs, elle me disait, c'est pas des mots de tête,

c'est un train que j'ai dans la tête.

J'ai juste envie que tout s'arrête, c'est insupportable.

Marie décide alors

de prendre la route de la Belgique

et elle l'annonce à Bertrand.

Bertrand,

je suis très mal.

Je sens que c'est la fin.

Je peux plus marcher, je peux plus manger,

je peux plus boire.

Alors mon amour,

je veux partir en Belgique.

Je veux franchir la frontière.

Qu'est-ce que tu en penses toi ?

Marie, tu es la seule à pouvoir décider.

Bertrand installe Marie dans la voiture

en début d'après-midi

avec une bassine au cas où elle aurait envie de vomir.

Ils arrivent à Bruxelles en début de soirée

et tout de suite ils appellent

le médecin.

Mais ils n'arrivent pas seuls.

La loi belge impose

deux médecins.

Ils regardent tous les deux le dossier médical.

Il est indiscutable.

Madame,

êtes-vous certaine

de vouloir continuer ?

Oui.

Le médecin explique qu'il doit maintenant

se procurer le produit.

Un généraliste n'a pas comme ça sous la main

de quoi tuer quelqu'un.

Et avant de partir, il lui dit

Si vous vous sentez mieux

et que vous souhaitez rentrer en France,

rentrez.

Mais ils ne rentreront pas.

C'est épouvantable évidemment.

C'est épouvantable.

Le médecin nous avait dit

qu'est-ce qu'il faut faire.

Il nous avait dit le plus important

c'est de vous dire tout ce que vous avez à vous dire.

On s'est dit tout ce qu'on avait à dire.

Pendant deux jours,

Marie et Bertrand parlent la nuit

et le jour.

Bertrand,

qu'est-ce que tu en penses ?

Qu'est-ce que tu ferais à ma place ?

Je fais ça maintenant

ou non ?

Tu me demandes,

je préfère que tu rêves, bien sûr.

Même mal, je m'occupe de toi.

Maintenant,

c'est très égoïste de dire ça.

Je trouve que c'est la personne concernée

qui doit pouvoir choisir

à quel moment c'est plus supportable

même si elle sait qu'elle fait beaucoup de peine.

Si ma femme savait qu'elle ferait beaucoup de malheur

autour d'elle.

Mais elle me disait moi j'en peux plus.

C'est insupportable et de toute façon

c'est une question de quelques jours, de quelques semaines.

Au départ, le téléphone sonne.

C'est le médecin.

Le produit sera livré demain.

Et il viendra après

ses consultations de l'après-midi.

Juste avant qu'il n'arrive,

Bertrand et Marie s'échangent

des mèches de cheveux.

C'est leur dernier rituel.

A 17h, le médecin entre

accompagné de son collègue.

Bonjour Marie.

Êtes-vous toujours décidé à mourir ?

Ok, oui.

Oui.

Je n'en peux plus.

C'est un soucis absolu.

C'est un martyre absolu.

Elle n'en pouvait plus.

C'était à pleurer.

Elle s'est tapée la tête sur le mur.

Marie s'habille.

Elle a choisi un t-shirt noir.

Une veste de tailleur noir.

Un pantalon noir.

Et des chaussures à talons.

Et elle s'est maquillée.

Docteur.

Où est-ce que je me mets ?

Vous le souhaitez.

Marie s'allonge sur un lit.

Le médecin lui explique pour la millième fois

ce qu'il va faire.

Une première piqûre pour l'endormir.

Et une seconde pour arrêter son cœur.

Et jusqu'au bout, il lui répète,

qu'elle peut tout arrêter.

Mais non.

Elle sert très fort, très fort.

La main de Bertrand.

Le médecin fait la première piqûre.

Et Marie s'endort d'un seul coup,

exactement comme elle le voulait.

Et puis,

il fait la deuxième piqûre.

Allô ?

Ça y est.

Marie est partie.

Elle est partie sereinement.

Et Bertrand reste toute la nuit auprès d'elle.

Et le lendemain, il reprend la route pour Paris.

Cette fois, il est seul.

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En 2011, Marie Deroubaix, 58 ans, apprend qu’elle a six métastases au cerveau. Elle refuse les traitements et s’oriente vers un médecin généraliste volontaire pour pratiquer l’euthanasie…