Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: Azouz Begag : une histoire française - L'intégrale
Europe 1 8/18/23 - 38m - PDF Transcript
Asus Begag est un inclassable. C'est un rebelle, il ne rentre pas dans les moules. Asus Begag
est un ambitieux que j'ai vu avec des étoiles dans les yeux, le jour où il a été nommé
ministre et avec des larmes dans les yeux quand il n'a plus été ministre. Asus Begag
a le sang chaud. Asus Begag est un macho. Asus Begag ne croit ni à Dieu ni à Diable,
et tous les ans, il fait le ramadan. Asus Begag est plein de contradictions. Alors s'il vous
énerve, et surtout s'il vous énerve. Venez avec moi, je vous emmène là où il a grandi,
au Chaba. Et quand vous saurez, alors sans doute, vous lui pardonnerait tout. Nous voici en 1965.
Asus a eu 8 ans, aux 12 avenus monins à Villeurban, près de Lyon. Et là vous imaginez une maison,
un immeuble, pas du tout. Aux 12 avenus monins à Villeurban dans ces années-là, les années 60,
il y a un bidon ville. Les habitants de l'endroit qui sont tous des immigrés algériens l'appellent
le Chaba. En arabe ça veut dire le trou paumé, et pour le coup c'est paumé. Une trentaine de barraques
de planches et de toles collaient les unes à côté des autres. C'est là qu'il habite, le petit Begag,
avec son père Bouzid et sa mère Mesaouda, et toute la malade de ses frères et sœurs Aisha, Zora,
Fatia, Mustafa, et lui, c'est le petit dernier. Qu'est-ce qu'il a fait, le père, pour mériter
d'habiter avec cinq enfants dans une cabane en planche ? Il n'a pas de travail ? Il est au chômage ?
Pas du tout. Il est maçon dans une entreprise qui s'appelle l'avenir. L'avenir, tu parles ? Non,
c'est simplement qu'en 1965, en France, c'est la crise du logement. Et donc dernier arrivé,
dernier servi. Les immigrés algériens qui au début étaient célibataires ont fait venir
leurs familles. Il n'y a pas de logement. Les Begags sont inscrits pour un HLM, mais la liste
d'attente est très longue. Alors en attendant, ils sont là, au Shaba.
Et depuis quelque temps, il y a un débat au Shaba, à cause de Raba, le cousin d'Azuz. Il a trouvé
un moyen d'améliorer l'ordinaire. Les jeudi et les dimanches, quand il n'y a pas école, il va
sur les marchés. Et il fait le tour des étales. Il y a de l'embauche ? Il y a de l'embauche ? Il y a
de l'embauche ? Et il y a toujours quelqu'un pour lui proposer de charger ou de décharger la
marchandise. En échange, on lui donne la pièce et surtout on lui donne des invendus. Et Raba
rentre au Shaba, les bras chargés de fruits et de légumes. Et ça, je peux vous dire que ça fait
causer dans les cabanes, y compris chez les Begags, mais Saouda, la mère, est admirative.
Vous n'avez pas honte feignant ? Regardez Raba, lui, au moins, rapporte de l'argent et des légumes
chez lui. Oh, pourquoi m'a-t-on donné des idios pareils ?
Mais à zoos à huit ans, les marchés, ça ne l'emballe pas. Il préfère faire les 400 coups,
il y a une forêt près du Shaba. Avec ses copains, il a construit une cabane. Il a installé des
pièges à oiseaux. Il est mieux là qu'au marché. Et là-dessus, il a le soutien de son père.
Je préfère que vous travaillez à l'école. Moi, je vais à l'usine, pour vous. Je me crève si il faut.
Mais je ne veux pas que vous soyez ce que je suis, un pauvre travailleur. Alors si vous manquez d'argent,
je vous en donne. Mais je ne veux pas entendre parler de marché. N'empêche que ça n'est pas
lui qui décide, manifestement. Et le jeudi matin suivant, à zoos, à zoos, réveille-toi. Il est six heures.
C'est son grand frère qui le réveille, pour aller au marché. Et c'est bien pour lui qu'il y va.
Le cousin rabat donne les consignes. Vous attendez qu'un marchand arrive à une place de camionnettes,
et dès qu'il commence à installer ses étalages, vous allez vers lui et vous lui dites,
il y a de l'embauche, monsieur. Il y a de l'embauche, monsieur, s'il vous plaît. Et à zoos se met donc
à arpenter les allées du marché. Au loin, son frère a déjà trouvé un patron. Il lui fait signe de
se bouger les fesses. Mais lui, il n'a pas envie. Il a envie de pleurer. Et en même temps, il ne veut pas
décevoir sa maman. Donc il y va, timidement. Il y a de l'embauche, s'il vous plaît. Il y a de l'embauche, s'il vous plaît.
Et évidemment, personne ne veut de lui. Si, si, une vieille dame pour décharger des cajots de salade.
Mais je peux te donner que 50 centimes seulement, gamin.
Et il accepte. À zoos Begag, à 8 ans, il vient de rentrer en court moyen, un. Et donc tous les matins,
il quitte le shaba avec les autres, avec son cartable en plastique sur le dos, et sa blouse boutonnée jusqu'en bas.
Et à pied, il va jusqu'à l'école Léo Lagrange de Villeurban. Et en matin, le maître, monsieur Grand,
fait l'appel. Il écorge tous les noms arabes, comme d'habitude. Et il annonce.
Ce matin, les enfants, le son de morale.
Et là, tout y passe. Il faut être obéissant. Il faut prendre soin de ses affaires. Il faut respecter son maître,
respecter ses parents. Et il ajoute.
Quand on est un enfant bien élevé, on dit bonjour. On dit bonsoir. On dit merci aux adultes.
Est-ce que l'un d'entre vous est déjà venu saluer le directeur et les maîtres le matin quand ils attendent sous le préau ?
Un peu plus tard, monsieur Grand dit.
Par exemple, un enfant bien éduqué embrasse ses parents tous les soirs avant d'aller se coucher.
Et là, Azou se sent tellement différent. Ça ne se fait pas chez les Bégag,
s'embrasser le soir avant d'aller se coucher. Ça ne se fait pas. Il ne l'a jamais fait.
Et comme tous les copains du Chabat qui sont là, au fond de la classe, ils se disent
c'est tellement loin de moi tout ça. Je ne veux plus être différent.
Je ne veux plus être faible. Je ne veux plus être un ignorant. Je veux m'extirper du fond de la classe.
Et dès l'après-midi, ils s'y collent. Ils s'installent au premier rang, celui des enfants sages.
Monsieur Grand est un peu surpris. Et ça n'est que le début.
Azou a décidé d'être le plus obéissant conformément à la leçon de morale.
Azou a décidé de tenir incarné du jour propre, nickel.
Azou a décidé d'avoir des ongles impeccables.
Et maintenant, dès que le maître pose une question, il lève le doigt.
Moi, monsieur, moi, monsieur !
Incroyable métamorphose d'un gamin de 8 ans qui ne veut plus être différent.
Et le lendemain, quand Azou arrive dans la cour de l'école, il va droit sur le directeur et sur le maître
et je peux vous dire qu'il a le cœur qui bat.
Bonjour monsieur !
Il a dit ça en leur tendant la main.
Mais qu'est-ce que tu fais, mon petit ?
Mais vous savez ce que c'est.
Une fois qu'on a tendu la main, on ne peut plus faire marche arrière.
On ne peut pas la rembobiner, sauf à passer pour un imbécile.
Alors il assume.
Bonjour monsieur !
Et les deux hommes éclatent de rire.
Ce n'est pas de la méchancée, c'est même un rire plutôt bienveillant.
Mais Azouz, lui, lui, il veut se fondre dans la masse alors il a honte.
Il a honte, il est rouge comme une pivoine.
Heureusement, au moment d'entrer dans la classe, le maître lui pose la main sur l'épaule.
C'est bien ce que vous avez fait, Bégag.
Mais il faut seulement dire bonjour, il ne faut pas tendre la main.
Ce sont les grandes personnes qui font ça.
Mais c'est très bien, il faut être toujours poli comme aujourd'hui.
C'est exactement ça qu'il lui faut, à Azouz,
de la compréhension et des encouragements parce qu'il est très motivé.
À part ça, Azouz continue de faire les marchés avec son cousin et avec son frère
mais il a trouvé un travail plus juteux.
Il vend des lillas qu'il va cueillir dans la forêt
et certains jours ça lui rapporte 30 francs.
Mais ce qui est amusant, c'est que le nouvel Azouz,
celui qui s'est installé au premier rang à l'école,
se pose des questions.
Genre, est-ce que c'est bien moral de vendre des fleurs qu'on cueille dans la forêt ?
Est-ce que le maître approuverait ?
En tout cas, depuis qu'il a pris ses résolutions, Azouz a de bien meilleures notes.
Il a même décroché la deuxième place à la dernière compoque de français.
Du coup, un soir, la mère de son copain Nasser vient le voir à la sortie de l'école.
Azouz, écoute, viens voir.
Remets-moi un service.
Assez-toi à côté de mon fils Nasser pour l'aider pendant les compositions.
Vous imaginez ce qui lui passe par la tête.
Ça n'est pas moral, ça n'est pas honnête.
Et donc, il dit, je me mettrai à côté seulement si le maître accepte.
D'autant plus que le maître, il a d'autres projets pour Azouz.
Il a décidé de la soire à côté de Jean-Marc Laville,
le premier de la classe, celui qui rafle tous les bons points et toutes les images.
Vous vous rendez compte de la décision de ce monsieur.
Il met le petit arabe du Shaba à côté de son meilleur élève.
Il croit en lui.
Et évidemment, du coup, vis-à-vis des copains du Shaba qui sont toujours au fond de la classe,
l'autre passe pour un gros faillot.
Les enfants sont sans pitié.
Un matin, son cousin Hassen, qui est dans la même classe, lui dit.
T'es pas arabe, toi ?
Bah si je suis arabe.
Non, je te le dis, t'es pas comme nous.
T'es toujours avec les Français.
Il faut savoir citer avec eux ou avec nous.
Il faut le dire franchement.
Azouz a maintenant 9 ans.
Et un matin du printemps 66,
il se réveille sur son matelas posé à même le sol, dans la cabane,
et il entend du rafus à l'extérieur.
Il passe une tête en farinet,
et là, il voit les voisins, les Bouddhawis, au grand complet, dehors,
en dimanche et façon mariage,
avec autour d'eux des cartons et des sacs,
visslés à la va-vite.
Les Bouddhawis quittent le shaba.
Ils vont aller habiter à Lyon, dans des bâtiments.
Et le père Bouddhawis parle avec son père.
Si t'as oublié quelque chose, c'est pas perdu.
Oh Dieu sait si je reviendrai un jour.
Je préfère te laisser les choses que je laisse ici.
J'ai pas besoin de tes affaires.
Elles mourront où tu les as laissées.
Mais non, Bouzid, je te dois quelque chose.
Tu m'as accueilli ici avec ma famille pendant des années.
Tu as trouvé un travail chez ton patron.
Je ne t'ai jamais donné un dinar pour te remercier.
Et là, une voiture arrive,
branque-ballant sur le chemin terreux.
Le taxi qui les emmène vers leur nouveau vie.
Et dans les semaines qui suivent, d'autres familles partent.
Et petit à petit, le shaba se vide.
Et au passage, évidemment, il perd de son âme.
L'endroit qui était si vivant avant.
Et Azuz, évidemment, ça le perturbe.
Et maintenant, il n'a plus qu'une idée.
Décampé.
Lui aussi, il veut t'habiter dans les bâtiments à Lyon.
Il ne comprend pas pourquoi son père s'obstine
à vouloir rester dans le bidonville.
Pourquoi est-ce qu'il ne cherche pas à partir ?
Le soir, comme tous les soirs,
le père est assis sur une marche
avec sa chique de tabac coincée dans la joue.
Il écoute la radio.
Et Azuz ose lui dire, en espérant que ça ne va pas trop les nerver.
Papa, je suis en l'emmarque d'être dans les baraques.
Je veux déménager.
Je veux déménager.
Une fois ça passe, deux fois ça passe.
Mais à un moment, le père se laisse.
Il fait trois pas vers Azuz.
Il le prend par les oreilles.
Il le pince très fort.
Tu veux déménager ?
Je vais t'en donner du déménagement.
Et il lui colle une correction mémorable.
Et plus quelques jours plus tard, dans la soirée,
la mère est en train de préparer à dîner des patolets.
Le père est branché sur Radio Alger.
Et Azuz écoute Richard Anthony à la radio.
...
Et le grand frère Moustap se met à crier.
Hé ! Venez voir qu'il arrive !
Les Bouchaouis sont devant la porte.
Les parents bégaques sortent sur le péron pour les accueillir.
Oh ! Comment ça va ?
Oh, les enfants, comme ils ont grandi, à l'assalouer !
Pour fêter l'événement,
la mère d'Azuz se lance dans un couscous.
Et à table, ils discutent.
Les Bouchaouis racontent leur nouvelle vie,
leur appartement, les robinets, l'électricité.
Tu cherches pas à partir d'ici, Bouzid ?
Ah ! Toi aussi, t'es comme eux.
Tu penses pas que je suis ici chez moi ?
Je te dérange personne, je dois rien à personne.
Je suis bien ici.
Tu crois que je vais retrouver ça ailleurs ?
Tu n'as même pas l'eau dans le robinet, Bouzid ?
Viens voir chez moi.
Tu comprendras ce que c'est que de tourner un bouton
et puis d'avoir l'eau chaude ?
Le confort.
Écoute-moi, Bouzid.
J'ai trouvé un appartement pour vous à Lyon.
Tout confort, près de chez moi.
Tu seras mille fois mieux qu'ici.
Je fais ça pour toi, Bouzid.
J'ai rien à y gagner.
Et puis les Bouchaouis repartent chez eux
dans leur appartement, à pied.
Et les bégaques se couchent
et Azouz entend ses parents qui parlent à voix basse.
On va aller le visiter, cet appartement.
Mercredi, d'accord ?
Sur son matelas posé à même le sol,
Azouz est aux anges.
...
Le déménagement a lieu le premier week-end
du mois d'août 1966.
Un collègue du père est venu avec sa 403.
On la charge jusqu'à la gueule.
Les lits et les meubles fissolés sur le toit.
Le père veut emmener la cuisinière qui sert de chauffage.
Il faut un peu de temps pour l'an dissuader.
Il n'y croit pas à cette histoire de chauffage central.
...
Et puis à un moment, il faut partir.
Dira Dieu aux Chabins.
Le petit Azouz est là.
Il est planté dans la cour.
Il regarde une dernière fois les baraques en bois et en tol.
L'allée terreuse.
Alors Azouz, qu'est-ce que tu fais ?
Tu veux rester là ou quoi ?
Tu aurais pour déménager.
Maintenant qu'on part, tu traînes.
Allez, dépêche-moi.
Ah, ce nouvel appartement.
Le rêve.
Un couard, une cuisine,
un salon avec 2 minuscules alcoves,
des chambres et des toilettes
avec une chasse d'eau.
Fini la guérite branlante
avec sa fausse avidée.
Et pour Azouz, un nouveau quartier
à découvrir.
La rue Therme, la Croix-Rousse,
la mer qui tous les jours s'applique
à briquer le carrelage,
à astiquer les chaises et la table,
à nettoyer tout doucement le frigo
comme si elle craignait de l'écorger.
Et puis c'est la fin des vacances.
Et pour Azouz, c'est la rentrée
en CM2,
dans une nouvelle école.
À 200 mètres de l'immeuble,
l'école Sergent Blondant.
La maîtresse, Madame Valar,
pas très chaleureuse,
avec sa blouse verdâtre
et ses petites lunettes rondes posées
sur le nez.
Nous avons un nouveau,
à ce que je vois.
Et là, tous les regards se braquent
vers Azouz. La maîtresse
prend son carnet scolaire,
elle lit les appréciations
de Monsieur Grand.
Nous avons un petit génie avec nous.
Elle a dit ça
avec ironie.
Et Azouz l'a bien sentie.
Alors, d'entrée, cette Madame Valar,
il peut pas l'encarrer
et elle le lui rend bien.
Quand elle remet les copies
de la première composition de Français,
elle prend son temps,
elle laisse monter l'inquiétude dans les rangs.
Azouz begague.
17e, sur 30.
C'est pas terrible pour un ancien petit génie.
On s'était habitués
à être le premier garçon.
Et voilà comment.
Et pourquoi Azouz
va faire un CM2
médiocre, passable, comme on dit,
au sens propre et au sens figuré,
puisqu'il passe en 6e.
Madame Valar n'a pas le plaisir
de l'annoncer directement à ses parents.
Parce qu'Azouz a tout fait pour que son père
et sa mère ne soient pas au courant
des réunions de parents d'élèves.
Pourquoi ?
Parce qu'il a peur.
Il a peur de mettre son père en difficulté
lui qui ne parle pas bien le français.
Il imagine assez bien dire
oui à tout ce que dit la maîtresse
sans jamais comprendre un seul mot.
Alors ça lui fait de la peine.
Quand il entre en 6e B
au collège Saint-Exupéry,
Azouz a un bon pressentiment
qui tient essentiellement
à son professeur principal, Monsieur Loubon.
Qui dès le 1er jour, au moment de l'appel,
lui pose 1000 questions.
Vous êtes algérien, Begag ?
Oui, monsieur.
Et de quelle région ?
De cet if, monsieur ? Enfin, mes parents.
Moi, je suis né à Lyon.
Et bien moi aussi, j'habitais en Algérie.
C'est près d'Oran, vous connaissez ?
Non, monsieur.
Je suis jamais allé en Algérie.
Et bien vous voyez, moi je suis français
et je suis né à l'Algérie.
Et vous êtes né à Lyon, mais vous êtes algérien.
Je suis venu en France après l'indépendance.
Vous êtes un pied noir alors ?
Un rapatrier de l'Algérie.
Mais on dit aussi pied noir.
Cette conversation du 1er jour
va sceller entre le petit Azouz
et Monsieur Loubon
une sorte de connivance.
Un jour après le cours,
Monsieur Loubon lui donne un livre
de Jules Roy, les chevaux du soleil.
Vous connaissez cet écrivain ?
Non, monsieur.
C'est un Algérien comme nous.
Un très grand écrivain d'Algérie.
En fait, Azouz, je ne vous ai jamais demandé.
Vous voulez faire quoi plus tard ?
Je veux devenir président de la République, monsieur.
Cette année-là ?
Cette année de 6e, honnêtement,
les résultats d'Azouz sont moyens.
Juste de quoi passer en 5e.
Mais pour la dernière rédaction,
au mois de juin,
le sujet est libre.
Et Azouz raconte sa vie de jeune lyonnais.
17 sur 20.
Premier de la classe.
Et Monsieur Loubon
lit son dossier.
C'est ce qu'il y a.
C'est ce qu'il y a.
Et Monsieur Loubon lit son devoir devant
tous les élèves.
Azouz est fou de joie.
Il est ivre de fierté.
Il est le seul arabe de la classe
devant tous les Français.
Alors il ne saura pas
président de la République,
mais il saura tout de même
ministre.
Mais il saura écrivain.
Ça, c'est sûr.
On de la tracante.
Je vous ai raconté aujourd'hui
en appuyant sur le best seller
qu'il a publié il y a 30 ans,
le Ghosn du Chabat,
un petit bout de l'enfance
d'Azouz Begag, ancien ministre, chercheur
et écrivain.
Et je l'ai fait d'ailleurs,
alors que sort aujourd'hui, son nouveau roman
Mémoire au soleil, aux éditions du seuil.
Et Azouz Begag est là avec moi
pour débriffer cette histoire.
Et je veux qu'on parle de cette scène
fondatrice.
Ce court moyen 1 avec Monsieur Grand,
qui est votre instituteur,
vous avez 8 ans et
en une journée, vous prenez la décision
de devenir un élève modèle,
vous passez du fond de la classe au premier an.
Est-ce que d'abord c'est grâce à lui,
Monsieur Grand, est-ce que c'est
grâce à sa leçon de morale ?
Non, c'est grâce
à deux enseignants, d'abord Madame Gattari,
qui était l'institutrice d'avant.
Oui, celle de l'école maternelle,
maternelle,
c'est qui m'a fait découvrir la magie de la lecture,
et ensuite Monsieur Grand,
qui m'a fait lui découvrir la magie
de l'apprentissage,
des calculs, des récitations,
des compositions en français.
Mais les deux profs, autrement dit,
ce sont les enseignants,
qui peuvent sortir les enfants du monde
de leur charabat, ce sont les enseignants,
c'est clair.
Le carisme de ces enseignants,
la séduction personnelle ?
Bienveillance.
Évidemment, on pense aussi
à cette Mme Valar,
qui n'était pas bienveillante, qui était cruel.
Et qui vous a
planté l'année de CM2.
C'est à vous travailler pour Monsieur Grand,
pour vous, pour exister dans ses yeux,
mais vous ne travaillez plus pour exister
dans les yeux de Mme Valar.
Une fois, j'avais fait une superbe récitation,
j'avais bien travaillé à la maison
pour rédiger une récitation,
et elle m'a écrit
dans la marge de ma rédaction
« Vous avez très mal
copié mot passant.
»
Je ne savais même pas
qui était mot passant.
Et ça m'avait blessé,
parce que c'était juste moi qui avait écrit
ces petites choses.
Alors, ce qui est intéressant,
c'est que vous avez quatre frères et sœurs.
Donc on peut imaginer
que, évidemment, la figure tutelaire
de votre père
m'a demandé, puisque lui disait
« Je me tue au travail, à vous de réussir,
je ne veux pas que vous soyez un ouvrier comme moi ».
En gros, c'est ça le message.
Mais est-ce que Zora, Aisha,
Fatia et Moustaf
ont eu le même déclic que vous ou pas ?
Oui, ils ont réussi leur vie.
C'est-à-dire qu'ils sont bien installés dans leur vie.
Ils ne sont pas des intelligents, ils n'ont pas fait d'études,
ils ne sont pas allés très loin,
mais chacun est doué d'un savoir-faire
technique,
très particulier, très singulier,
c'est-à-dire que mes frères et mes sœurs
et tous les individus dans ma famille
ont trouvé un équilibre personnel
qui leur permet de dire aujourd'hui
« Non, pas j'ai réussi ma vie,
mais je me suis réussi ».
C'est-à-dire, je sais qui je suis
et je suis en équilibre dans cette identité.
C'est cela l'essentiel dans une vie.
Alors quand on a écouté
ce chapitre de votre histoire,
évidemment, je me dis que les réacs
en conclurant qu'il faut récapir
les leçons morales,
c'est un peu raide
à l'ancienne. Est-ce que ça serait
la bonne conclusion ?
Oui, il faut apprendre aux enfants les leçons morales
parce que ça ne vient pas comme ça.
Si vous ne le rapprenez pas
très tôt, d'abord qu'il faut lire,
il faut bouquiner, c'est important
d'abord pour rendre fier ses parents,
puis en plus, ensuite pour
réussir sa vie. Et puis à dire bonjour
à laisser passer les adultes
et les personnes âgées avant vous
quand vous êtes dans l'autobus, tout un tas
de principes élémentaires
qui font la bien séance
des uns et des autres. Ce sont les enfants
qui doivent apprendre ça. Oui, je n'ai aucun
scrupule avec ça.
À dire cela,
ce que vous visez
à ce moment-là, c'est ce qu'on appelle
l'assimilation, c'est-à-dire
se fondre dans la masse.
C'est pire que ça.
Être en haut ? Non, c'est pire que ça.
Je voulais que mon père
soit fier de moi.
Je voulais que mon père qui signait
avec un X, mécarné
de scolaire, mécarné de note
qui ne pouvait pas écrire son nom
est un jour
son fils qui soit premier
de la classe
chez les Français, devant les Français.
C'est cela que je voulais
dire un jour à mon père, papa, regarde
je suis numéro un dans la classe.
J'ai gagné tout le monde. C'est moi qui suis arrivé
le premier. J'ai des 10 partout.
C'est ça le moteur ? C'est ça le moteur.
Mon pauvre père,
ma pauvre famille de malheureux
c'était
un Noël
pour devoir leur petit rejeton
là qui sort de nulle part
et lui, comme les autres
devenir
un très bon élève
à l'école de France.
Mais il y a tout de même cette scène qui est violente
de votre cousin qui vient vous dire
mais t'es avec qui toi ?
T'es avec eux les Français ou t'es avec nous
il faut que tu choisis.
Oui parce que nous les Arabes on est toujours au fond de la classe
d'abord parce qu'on veut aussi
identifier en tant que tel, on est en 1960-65
on se dit
l'Algérie vient d'être indépendante
on va pas devenir français
donc on reste au fond de la classe
pour créer une communauté géographique
et une communauté ethnique distincte
et quand le maître dit
nos ancêtres, les Gaulois
avaient des moustaches
tous les élèves français répètent ça
ils ne le répètent pas
parce que ce n'était pas nos ancêtres
et quand le maître dit
notre pays, la France, a 550 000 km2
de superficie
eh ben les petits Français répètent ça
et nous on ne répète pas
parce que c'est pas notre pays
c'est à vous le nôtre
il en a 2 millions de 250 000
et il est de l'autre côté de la Méliterranée
sauf que le petit Azous un jour il dit
notre pays, la France, a 550 000 km2
de superficie
on vous l'a reproché ça
eh bien sûr
parce que c'est l'assimilation
dont on ne veut plus vraiment entendre parler aujourd'hui
que toute une partie des Français souhaitent
mais qui n'est plus
d'actualité
dans les années 60 c'était parce qu'on allait rentrer chez nous
au bled donc il n'y avait aucune raison
de s'embarrasser des affluents de la scène
de l'histoire des rois louis et des récitations
parce que c'était l'idée de vos parents à l'époque
rentrer en Algérie à un moment donné
la présence en France était vécue comme
un transitoire
quelques années de quoi faire un maximum
d'argent, remplir les caisses
et retourner au bled, monter la maison
du retour
c'est Ulis, c'est exactement Ulis et le retour
à Itac
nous étions tous par et je le répète
tous nos amis italiens, portugais, espagnols
polonais étaient dans la même visée
que nous, on est là pour quelques années
seulement avant de rentrer
à Itac, avant de rentrer chez nous
et d'ailleurs vous ne prenez la nationalité française
de 30 ans, c'est-à-dire cette idée
de rentrer au pays, elle vous a travaillé
très longtemps, oui, elle était toujours en moi
c'est un pays révolutionnaire
c'est un pays nouveau, un pays où il y avait
des révolutions agrères, culturelles
intellectuelles, économiques
c'était un pays prometteur
c'était le nôtre et puis ensuite
les choses ont changé
ont tourné, oui
et on s'est rendu compte, nous malheureusement
grandissant en France en 1975
au moment où les 30 glorieuses
se terminent, c'est-à-dire
ce cycle de 30 années de prospérité
économique, 1945
1975, prenons fin
à cause de l'augmentation du prix
du pétrole par les pays producteurs
on se rend compte qu'on a 18 ans
et qu'on est en plein
racisme parce qu'il y a la crise
il y a du chômage et les français
désormais nous regardent
comme des étrangers bourré
aux as parce qu'ils n'ont plus de pétrole
dans leur pays et qui continuent à nous
et qui n'est ici
Avant de passer à M. Loubon
je veux qu'on reste 2 secondes
sur cette histoire d'assimilation
qui était votre projet
vous êtes un migrant
fils de migrant assimilé
plus français que les français
vous mangez pas
à l'âle
le plus important c'est que je suis obsédé
des compléments d'objet direct
c'est ça le plus important
je suis fou des compléments d'objet direct
quand à la télévision, à la radio
ou dans la rue, les gens font des fautes d'accord
je bandis
ma francité, sors de moi
Est-ce que l'assimilation
comme vous l'avez vécu, vous
est encore jouable aujourd'hui ?
Non, elle est plus jouable
parce que les temps ont changé en particulier depuis quelques années
avec l'apparition du terrorisme islamiste
les choses ont complètement changé
la crise est toujours là, la crise économique
et la crise identitaire
s'est installée
la politique on jouait
sur ces leviers que constituent
les peurs, les angoisses identitaires
et on est mal barré pour quelques années
donc de ce point de vue là
je suis relativement pessimiste
mais quand on se demande à quoi ça sert d'être pessimiste
à rien du tout, il vaut mieux
comme nous le faisons, rester optimiste
et trouver les portes, les échapper
pour pouvoir trouver de l'oxygène
pour cette identité française
parce que c'est
ça fait partie des choses qu'on vous a beaucoup reprochées
d'être carrière à la fois politique
de polémiste, de débateur
c'est d'être le défenseur
d'une assimilation
alors qu'aujourd'hui
tout le monde s'accorde à dire qu'on ne pourra pas aller plus loin
que l'intégration et qu'au fond
les Arabes de France resteront des Arabes de France
et ne deviendront jamais véritablement
des Français
Oui, non mais c'est un vrai problème
notamment si ils gardent leurs noms et leurs prénoms
et moi je trouve vraiment terrible
qu'une société démocratique
puisse contraindre
ces citoyens à changer leurs prénoms
à ne plus s'appeler Rachida
Karim Mohamed
mais d'adopter des noms catholiques
chrétiens pour pouvoir mieux se glisser
dans le courant général
et pouvoir en fait
devenir invisible
comme le furent nos parents
Il ne faut pas aller dans cette direction
Au contraire, je crois que
l'affirmation identitaire des uns
et des autres, mais pour le bien
de la société en général
pour le bien d'une société
française multiculturelle
c'est cela qu'il faut faire
sans perdre les traces
avec ces racines personnelles
On est capable de fabriquer
un tronc commun avec la France
et donner des branches
magnifiques avec des feuilles magnifiques
C'est pour ça que je réponds à tous les Français
qui se vendent des Français de souche
que nous sommes des Français des branches
et qu'ensemble nous formons
un bel arbre démocratique
qui doit être, au plan mondial
prestigieux
Alors la scène avec monsieur
Loubon, oui, il vous dit moi aussi, je suis d'Algérie
je viens de Tlemcen
Magnifique
Elle est troublante aujourd'hui quand on la lit
avec Durkul, parce que certains diraient
que monsieur Loubon était un colonial
et il n'y avait pas d'accord possible
entre Begag, le fils
d'immigrés algériens et monsieur Loubon, le colonial
Et pourtant, il y a eu un accord
Il y en a tous les jours
Dans mon dernier livre, moi au soleil
je raconte une histoire aussi truculante
une petite histoire entre algériens
Quand je rencontre Henri Comacias
on parle algériens
On chante algériens
On rigole algériens, on a la même gueule
Quand je lis Albert Camus
et quand je voyais
Albert Camus
on avait lui et Mouloud
Ferraoun en particulier
l'écrivain du fils du pauvre
était des frères
Aujourd'hui, c'est très important de reconstituer
avec les juifs d'Algérie
avec le pied noir de l'Algérie
une histoire commune entre algériens
C'est ce que Georges Morin, l'asile m'écoute
le patron du salon du livre
du Maghreb
qui s'est tenu récemment à Paris
essaye de
de construire depuis
20 ans
une société
de toutes ces compositions
religieuses
et ethniques
et c'est cela vers lequel il faut aller
autour de la notion de Méditerranéen
parce que nous sommes avant tout
des Méditerranéens
Nous, ouais
Pas tous, non
Vous par exemple, vous ressemblez plus
à un type du Nord
un type du Nord qui est un Méditerranéen
Mais nous les Maghrebens
quand on va en Italie, en Espagne, au Portugal
ou en Grèce, on a la même gueule
pour les autres, on fait vraiment
une fraternité
autour des philosophes grecs
C'était le rêve de Sarkozy, de composer
cette union pour la Méditerranéen
Oui, l'union pour la Méditerranéen
dans le président marocain
Fatala Sigel-Massi
a terminé le mandat hier
C'est une belle idée
Vous avez ça en commun avec Sarko au moins
Non
C'est moi qui lui avait suggéré l'idée
C'est vrai ? Non
Qu'est-ce qui est devenu Jean-Marc Lavin
Parce que ça, ça m'intéresserait vraiment
Est-ce que vous le savez ? Non
Jean-Marc Lavin, c'est donc le meilleur élève
de la classe
et l'instituteur
vous fait asseoir à côté de lui
Vous offre une chance extraordinaire
mais qui est une manière de dire
de vous mettre à égalité tous les deux
Très juste, très juste
Immédiatement, me vient à l'esprit
le nom de Richard Descoin
Le feu Richard Descoin, l'ancien patron
qui, dans les années 2000
avait construit des ponts, des conventions
entre les lycées des Epes
dans les cités en difficulté
et Sciences Po
pour essayer de faire mettre ensemble
Azous Begag, le fils du prolo des Bidonville
et Jean-Marc Lavin
le fils de Boulevard Saint-Germain
C'est comme ça qu'il faut travailler
pour que les uns et les autres prennent confiance
dans leur association
Alors si quelqu'un connaît Jean-Marc Lavin
qui donc était à l'école
comment s'appelait-elle?
Léo Lagrange
et qui avait comme maître M. Grand
si quelqu'un connaît Jean-Marc Lavin
ce serait formidable que vous le retrouviez
que vous posiez vos gics en raconte
Je ne suis pas sûr qu'on ait eu la même histoire
et qu'on a encore des éléments pour échanger
Mais je dois préciser que quand j'étais petit
au CE1 et au CE2
l'école du sergent Blondant
relatait le sergent Blondant
était un soldat qui avait 18 ans
et qui est mort en Algérie
Il a été tué par mon grand-père sans doute
alors qu'il faisait une sortie
et tout de suite derrière l'école de Saint-Exupéry
peut-être est-ce Antoine de Saint-Exupéry
qui m'a emmené vers le monde
de la littérature aussi
avec l'histoire des moutons?
Dans votre histoire vous dites à un moment
M. Loubon
qui vous demande qu'est-ce que tu veux faire dans la vie
vous lui dites je veux être président de la République
C'est vrai?
Vous n'êtes pas arrivé à être président de la République
Mais vous avez été ministre
est-ce que pour vous
c'est le top
de votre réussite?
Non non non je ne le mets pas
toutes ces expériences
dans des domaines différents
sur le même plan
il n'y a pas quelque chose qui serait mieux
que l'autre
j'écris des scénarios pour le cinéma
j'adore ça, je place l'excitation que cela me procure
au même niveau que d'avoir été ministre
pendant deux ans
cependant je crois que j'ai ouvert la voie
de ma fille mentale
de tout un tas de jeunes dans les cités
qui désormais veulent aussi être ministre
et non plus seulement ressembler à Karim Benzema
notre buteur
du Real Madrid
Des centaines d'histoires disponibles
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Azouz Begag a grandi dans les années 60 dans un bidonville, le Chaâba, à Villeurbanne près de Lyon. A l’âge de 8 ans pour aider ses parents, il faisait l’homme à tout faire sur les marchés contre l’avis de son père qui lui disait : « Moi je travaille pour vous, je me crèverais s’il le faut. Mais je ne veux pas que vous soyez ce que je suis, un pauvre travailleur ».