Hondelatte Raconte - Christophe Hondelatte: Affaire Aurélie Beaugendre, meurtre avant Noël - Le débrief

Europe 1 Europe 1 3/25/23 - 12m - PDF Transcript

Pour commenter son histoire du jour, Christophe Ondelat reçoit un invité, acteur direct de son récit.

Voilà pour le débrief de cette histoire, je suis maintenant avec maître William Pino du Barreau II.

De Rennes vous étiez maître dans ce dossier, l'avocat de la maman d'Aurelie et de sa sœur.

Peut-être pour commencer un commentaire sur cette peine de 25 ans de réclusion criminelle,

pour assassiner, il ne sort pas si mal, il incourait perpétuité.

Est-ce qu'il n'y a pas là, au fond, la prise en compte de circonstances atténuantes qui tiennent, je ne sais pas,

à son histoire personnelle, à ce père mort lorsqu'il était très jeune?

Alors vous avez raison, il incourait en réalité, si je veux dire, doublement perpétuité.

C'était un assassinat et à ce titre-là, il pouvait être condamné à la réclusion criminelle à la perpétuité.

Mais c'était tout simplement un meurtre sur une femme par son conjoint.

Ce titre-là encore, il incourait la perpétuité.

C'est d'ailleurs en réalité sous cette qualification parce qu'elle était finalement plus simple à appréhender

qu'il était jugé devant la cour d'assises.

Pour répondre à votre question, je crois que oui, sa personnalité a été largement prise en compte,

mais comme toujours, on le souhaite, en tout cas, devant les cours d'assises,

l'histoire complexe de cet homme, on y reviendra peut-être,

la personnalité abandonnique qui a fait qu'il a considéré comme absolument insupportable

que la femme le quitte, a été prise en compte et a sans doute pesé dans ce verdict

qu'on peut considérer comme relativement clément, oui.

C'est un homme qui est abandonné en fait à plusieurs reprises, son père meurt.

Quand son père meurt, si j'ai bien compris, sa mère démissionne complètement de son rôle de mère.

C'est exactement ça. C'est un double abandon symbolique dans l'enfance.

C'est l'abandon du père bien involontaire puisque celui-ci meurt accidentellement.

Et puis c'est l'abandon dans la réalité de cette maman qui s'effondre,

qui ne remplit plus son rôle de mère et paradoxalement dans ce vide qui est celui de cet enfant

qui n'a plus ni figure paternelle, ni figure maternelle.

Il prend une place parentale, ce garçon, et il l'apprend de manière totalement biaisée

et sur un mode tyrannique que vous décriviez tout à l'heure.

Vos clientes, la maman d'Aurélie et sa sœur ont pu comprendre ça, accepter ça.

Alors vous savez, je crois que les cours d'assises ne sont jamais là

pour prononcer des peines qui réparent les douleurs.

Et les peines ne sont souvent pas à la hauteur de ce que ressentent de souffrances

qui ont perdu un proche dans les circonstances affreuses.

C'est en tout cas ce que j'explique à mes clients,

lorsque je les accompagne sur le banc des partis civils.

Et je crois qu'à partir du moment où elle n'avait pas forcément beaucoup d'attente

sur cette réponse judiciaire, sur cette peine prononcée,

elles n'ont été ni agréablement, ni désagréablement surprises par ce verdict.

Ça m'intéresse bien, ça veut dire que systématiquement, quand vous êtes avocat de partis civils,

vous faites un peu de pédagogie judiciaire auprès de vos clients en leur disant

« ne vous attendez pas forcément à perpètes, ils ne sont pas là en gros pour soigner votre chagrin ».

Ça me paraît absolument essentiel que l'avocat de la partis civile fasse cela pour ses clients,

pour qu'il soit préparé à la réalité de la décision judiciaire qui sera rendue,

qui encore une fois n'est pas là pour œil pour œil d'entourdant,

selon une loi du Talion qui ne fait pas partie de nos principes juridiques,

réparer la souffrance. C'est là pour sanctionner un comportement infractionnel grave

pour mettre à l'abri la société de tel comportement,

pour punir, pour réparer d'une façon symbolique, mais pas pour réparer la souffrance.

Donc oui, j'essaie à moi en tout cas de leur expliquer cela.

Vous ne faites pas que de la partis civile, je le pressens comme ça.

Vous êtes parfois en défense aussi. Ah non, mais il y a des avocats qui ne font que de la partis civile,

qui ne sont pas à l'aise avec la défense, et vous en entend que vous êtes aussi parfois en défense.

Le premier procès quand même, c'est un moment étonnant.

Il n'est donc pas dans le box des accusés.

Il reste au centre de détention, à la maison d'arrêt où il est incarcéré.

Pourquoi est-ce que le président ne le fait pas venir de force?

C'est ce qu'on fait en général.

Pour commencer, c'est proprement une situation sidérante.

C'est-à-dire que tous les avocats et magistrats du parc et du siège présents à cette audience

rencontrent là une première.

Qu'un accusé se comporte mal pendant les débats d'une cour d'assises

sur plusieurs jours et qu'il soit pendant quelques heures, une demi-journée,

évacué par le président à titre de mesure de police de l'audience,

et puis qu'il y revienne après avoir présenté ses excuses,

et on reprend le cours de l'audience, tout ça, on l'a connu.

Mais qu'un accusé refuse catégoriquement et totalement de sortir de sa cellule

pour s'expliquer, c'est véritablement une première pour beaucoup d'entre nous.

Je crois que le président ne fait pas le choix de la comparution forcée

parce qu'il y a tout de même des épisodes de fragilité

qui ont donné lieu à des passages à l'acte chez Sébastien Mogendre

tout au long de la procédure.

Tentative de suicide, c'est ça?

Voilà, alors des tentatives, en tout cas des alertes qui ont inquiété sur sa santé

puisque au moment de l'instruction, à la faveur d'un interrogatoire projeté,

il va effectivement ingérer des médicaments en quantité modérée,

mais on a le processus évidemment de contrôle de sa situation,

est-ce qu'il est véritablement en danger, est-ce qu'il est en état de comparaitre

et puis en général il y a un report, c'est ce qui s'est passé à l'instruction

et puis ça s'est passé de la même façon lors d'une première fixation

de l'affaire en décembre 2015

où une nouvelle fois un gestion de médicaments, expertise médicale

qui dira que pour quelques jours, en tout cas,

il est hors d'état de comparaitre et il faudra de nouveau reporter le procès.

Je crois que le président plutôt que de se retrouver confronté

à un nouveau report qui serait lié à un geste auto-agressif

de Sébastien Mogendre,

a fait le choix de faire passer l'audience hors sa présence

pour qu'il y ait un premier jugement et puis que peut-être c'est ce qui se passera

après un premier verdict qui ne le satisfaiera pas

et bien il choisira de faire appel et de comparaitre cette fois.

Pourquoi est-ce qu'à votre avis maître,

il ne reconnaît pas qu'il est l'assassin de sa femme?

Est-ce que ces avocats, est-ce que vous avez senti ça, l'ont amené à avouer ou pas?

Alors mes confrères ont fait je crois tout leur possible

pour ouvrir une porte de vérité

et permettre à Sébastien Mogendre d'avouer ce meurtre,

cet assassinat qui paraissait indiscutable

à qui il compte qu'il avait regardé le dossier de prêts.

Pourquoi est-ce qu'il ne s'est pas ouvert à cette vérité-là?

D'abord parce que je crois c'est une personnalité extrêmement rigide,

que les fragilités d'abandon dont on a parlé,

d'abandon infantile qui sont les siennes,

ont été protégées, la souffrance qu'ils pouvaient ressentir

ont été protégées par une carapace comme ça,

très forte chez cet homme qui s'est construit comme cela.

Et que donc chez Sébastien Mogendre, quand il y a un avis,

une position, changer d'avis et changer de position

est presque, consubstantiellement impossible.

Ça c'est la première explication un peu psychologique,

c'est ce que diront d'ailleurs certains experts de lui.

Et puis la seconde raison c'est l'enjeu d'image par rapport aux enfants.

Il ne faut pas oublier que Sébastien Mogendre

dira à ses enfants, mais y compris les yeux dans les yeux de ceux-ci

à la cour d'assises d'appel lorsqu'il comparètera,

il les regardera, il les appellera par leur prénom,

il leur dira, papa n'a pas tué maman.

Et il veut Sébastien Mogendre conserver cette image d'innocence

aux yeux de ses enfants.

Et je me demande si cette absence précédente

dans le processus judiciaire n'était pas destinée

qu'à permettre ce moment symbolique

où il viendrait à la cour d'assises d'appel

pouvoir dire à ses enfants, je n'ai pas tué votre mère,

je reste innocent.

C'est vraiment un enjeu d'image à l'égard de ses enfants.

Enfin en tout cas c'est une des raisons de mon point de vue

qu'il a rigidifié dans cette position de dénégation.

Vous êtes en train de me dire que des enfants qui avaient quoi

14, 12, 11 ans dans ces eaux-là

ont assisté au procès de leur père ayant tué leur mère

du début à la fin?

Absolument, oui.

Ça fait des masses dans la famille?

Alors, ça a été travaillé, réfléchi et choisi

avec des équipes éducatives et d'intervenants psychologues,

travailleurs sociaux qui accompagnent les enfants

depuis les premiers instants de cette tragédie

remontant à 2012.

Donc la question de savoir s'il devait ne pas être là

a été débriefée et il a été choisi qu'il puisse être là.

Mais c'est pas un hasard quoi, ça a été travaillé, c'est l'essentiel.

Non, ça a été travaillé.

Évidemment, ils ont été protégés des moments d'évocation,

des détails les plus terribles de cette affaire,

tout ce qui pouvait concerner la médecine légale,

la balistique, etc.

Les enfants ont été constamment cadrés.

D'ailleurs, l'un de mes confrères,

Saby en l'année du bar de Rennes,

était à leur côté spécifiquement pour porter leurs paroles,

très en contact avec les travailleurs sociaux

et les psychologues qui accompagnaient ces enfants,

tandis que j'étais moins l'avocat de, on l'a dit,

la sœur de la victime qui est aussi celle qui les a recueillies

depuis le décès de leur mère et qui les élève, absolument.

Eux, ils pensent quoi?

Ils pensent que leur père a tué leur mère?

Je me garderai bien de traduire cette pensée que je connais pas

et qu'ils ont conservé dans leur intime.

J'étais en plus pas leur conseil,

donc je ne sais pas ce qu'ils ont pu exprimer.

On me dit qu'au moment du verdict,

ils sont allés embrasser leur père, c'est vrai?

Oui, bien sûr.

Bien sûr, avant même le verdict pendant le temps du délibéré,

ils ont manifesté eux le souhait,

mais leur père évidemment le manifestait tout autant

de pouvoir aller lui parler, de pouvoir l'embrasser,

lui tenir les mains.

Ça aussi, ça a été discuté, ça a été accompagné

et vous comprenez bien que des enfants qui n'ont plus qu'un parent,

parce que l'autre leur a été retiré dans les circonstances que l'on sait,

il a été assassiné,

et bien se raccroche à cette asiatique parent,

quand bien même il est le bourreau,

il est celui qui a tué leur mère.

C'est un réflexe naturel,

on sait même que les enfants terriblement abusés sexuellement

par des pères souvent continuent à leur conserver de l'affection,

ou en tout cas à dire qu'ils en ont encore,

et à vouloir continuer à entretenir des liens avec eux.

C'est très complexe évidemment.

C'est complexe et passionnant.

J'ai une dernière question pour vous.

Est-ce qu'il vous semble que Sébastien Beaujandre est intelligent?

Parce que dans ce crime,

il y a une scène qui est à garder pour un téléfilm policier.

Enfin, cette idée d'aller acheter à posteriori un pistolet d'alarme

après le meurtre, dans une armurie arène,

d'aller l'essayer sur un parking

pour justifier la présence de poudre sur ses mains,

c'est presque du génie.

Alors, incontestablement,

il a une intelligence pratique, pragmatique, adaptative

qui fonctionne très bien.

Cette intelligence pratique, pragmatique,

il l'a mise au service d'un projet,

d'une résolution ferme, je tuerai

celle qui ne peut pas m'abandonner

parce qu'elle est mon objet,

elle est mon objet de rassurance

et je ne supporterai pas qu'elle s'en aille.

Et si elle doit s'en aller,

eh bien elle disparaîtra pour tout le monde.

Et dans cette obsession qui n'a cessé de croître

de jour en jour dans les semaines qui précédaient

la mise à exécution,

eh bien effectivement,

il a su mettre en oeuvre cette intelligence

et mettre à bien son projet,

le construire de manière intelligente

en concevant les moyens qu'il pensait être utiles

pour se dédouaner ensuite.

C'est finalement ce qui va l'accuser,

la lettre de Mme G,

c'est de la maladresse aussi,

c'est aussi ce qui fera des traces ADN

qui confirmeront les soupçons contre lui.

Bref, pour répondre à votre question,

c'est un garçon qui a été intelligent,

élaboré dans la construction du meurtre qu'il a commis.

C'est dommage qu'il n'ait reconnu aucun des faits

parce qu'il n'a pas pu évidemment s'expliquer là-dessus.

Peut-être qu'il a pêché une ou deux de ses scènes

dans des séries policières.

C'est possible que le petit écran

ait été une source d'inspiration importante

pour lui, c'est possible.

J'ai adoré parler avec vous, maître Pino.

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En 2012, Aurélie Beaugendre est tuée d’une balle dans la tête devant son domicile à Val-d’Izé, en Ille-et-Vilaine. Au réveil, ses trois enfants de 4 à 10 ans découvrent son corps. Une enquête dans laquelle un coupable s’impose d’entrée ! Mais est-ce le coupable ?